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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

Tic tac

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Lundi 14 janvier 1 14 /01 /Jan 17:56

Tranches de vieRetour sur mon passé.

Derrière moi la continuité d'une ligne mais surtout, des boîtes. Des boîtes qui correspondent à des époques, des boîtes avec des gens dedans. Ceux que je fréquentais alors, ceux dont j'étais proche, ceux que j'aimais ou détestais.

Occupée à vivre à l'intérieur de la boîte, je n'en voyais pas le couvercle. Il était là, pourtant. Et un beau jour - ou un jour triste - il s'est refermé, souvent de lui-même.

Puis la boîte, scellée, a trouvé sa place sur les étagères de ma mémoire.


Hauts, bas, côtés... Il est des boîtes aux contours flous, des boîtes qui se superposent, s'interpénètrent ou se repoussent. Difficile de dire quand les tranches de vie qu'elles contiennent ont commencé, quand elles se sont achevées.

Il est des boîtes au contenu piégé (de moins en moins, heureusement).

Le décès de ma mère et le temps du deuil, mon enfance marquée par la peur et la violence de mon pèreFeu mon amour et ma maladie... Au fil du temps leurs bombes se sont désamorcées, leurs échardes se sont émoussées, leurs menaces ont perdu de leur puissance, leurs dangers de leurs risques, leurs risques de leurs pouvoirs.

Du coup, les rouvrir ne fait plus (si) mal.


Il est aussi des boîtes enchantées.

Un merveilleux été dans le Sud, mon amour qui conduit éclaboussé de soleil, souriant de ma paume qui étreint son bras, ma peau bronzée et ma jupe qui tourne sur mon body rouge... Leurs souvenirs, c'est du carburant pour la route, des onguents contre le vague à l'âme, du rose limpide contre les idées noires.

En pleine tempête y piocher, se requinquer à leur chaleur, se redorer à leur soleil.

Il est des boîtes un peu grises mais traversées d'éclairs. Des boîtes noires aussi.

Il n'est pas de boîtes neutres. Insipides, celles-là sont parties au tout-à-l'égout de l'oubli. 

Il est des boîtes refermées avec joie, soulagement, douleur ou regrets.

Je suis moi, certes, mais aussi la juxtaposition de toutes ces boîtes, le patchwork de toutes ces personnes mêlées à mon histoire. Et si aujourd'hui je suis moi, c'est également grâce à eux.

 

Tranches de vie 2Allez, une boîte, au hasard : Paris 2000-2003, dans cet appartement-là. Cinquième sans ascenseur, une pièce unique chambre-salon-salle de bains-bibliothèque avec vue sur la cour intérieure de l'immeuble.

En biais un étage plus bas, la fenêtre de la cuisine d'Irina.

Irina était jolie, brune, coquette, italienne. Nouvelle locataire, je la croisais en me cantonnant au bonjour de politesse. Une après-midi nous butâmes l'une contre l'autre dans le hall et Irina s'arrêta. J'étais en pleurs.

Aussitôt elle demanda de son accent chantant :

- Que vous arrive-t-il ?

- J'ai perdu mon chien. Il s'est sauvé.

- Comment s'appelle-t-il ?

- Socrate.

Irina sourit. Je ne lui précisai pas que j'avais récupéré ce bâtard, alors sans identité, à demi-mort à la SPA. Qu'il n'était pas très malin mais que son nom, justement, devait le rendre plus intelligent. À l'époque je croyais encore à ce pouvoir des mots.

L'histoire de Socrate pouvait attendre, pas Socrate lui-même.

Chamboulant sur le champ ses obligations, Irina partit avec moi à sa recherche. Nous écumâmes les rues adjacentes, les cours intérieures, le square de l'avenue.

Mon chien ne reparut qu'épuisé par sa fugue, fugue qui fit de ma voisine une amie.


Irina était photographe. Sans guère de travail, ce qui lui laissait beaucoup de temps libre. Du temps libre, j'en avais aussi.

Bientôt nous nous vîmes chaque après-midi.

Jamais ma voisine n'aurait de son propre chef grimpé l'escalier afin de s'inviter chez moi. Elle connaissait mes horaires décalées, mon mode de vie fantaisiste, mon isolement dans le travail. Lorsqu'elle souhaitait me voir, toujours elle me téléphonait pour me proposer un café.

Italien, bien sûr, envoyé du pays par ses parents.

Sur les fourneaux la cafetière, un modèle métallique à vis plus lourd qu'une cocotte-minute, chantait. Le breuvage d'un noir d'encre était fichtrement serré, la cuisine exiguë, la table minuscule. Dans l'air flottait une délicieuse odeur de sauce, au fond des casseroles adhéraient des restes de pâtes, sur l'égouttoir la vaisselle du repas séchait.

La cuisine d'Irina était paisible comme le quotidien, rassurante comme une berceuse et aussi chaleureuse que sa propriétaire.


Tranches de vie 3Elle et moi discutions des heures durant. De son compagnon qui partageait les lieux et que je connaissais peu, du mien qui logeait à deux rues de là. De nos idées, de nos espoirs, de nos soucis. D'expos, de théâtre, de peinture, de bouquins et de photos.

De mon studio je voyais si, le soir, Irina s'attardait dans sa cuisine.

De sa cuisine elle guettait, vers midi, l'ouverture de mes stores annonçant mon réveil.


Jour après jour et chaque jour davantage nos vies s'entrelaçaient. C'était à la fois superficiel et profond, doux, bon et riche

Irina et moi étions les mutuels témoins de nos existences. Position qui ne nous gênait pas, au contraire.

Nous avions trop de respect pour nous épier, trop de discrétion pour nous imposer. Notre affection réciproque, nos sensibilités si proches, notre facilité à nous comprendre à demi-mot, notre certitude, aussi, de partager "l'amour de l'art", étaient les garantes de notre amitié.


La veille de ses vacances en Italie, Irina me confia ses clefs. Charge à moi de veiller sur son domaine.

- Toi qui rêves de dormir chaque soir dans un lit différent, utilise le mien !

Qu'Irina flattât mes marottes m'émut. Je songeai que là était bien l'attitude d'une amie : ne pas comprendre mais offrir quand même, juste pour le plaisir de faire plaisir. Si je ne profitai pas de cette liberté généreusement allouée, je faillis bien séjourner chez elle contre mon gré.

Un midi, mal réveillée, en simple chemise et sans culotte, j'empoignai son trousseau en croyant tenir et le mien et le sien. Claquai ma porte qui se verrouilla, descendis d'un étage et arrosai ses plantes.

J'évitai la cuisine. Désertée, sans parfums, elle me parut vide, banale pièce sans histoire en l'absence d'Irina.

C'est en voulant entrer chez moi que l'évidence me frappa : mes clefs étaient à l'intérieur. Irina en possédait un double, mais son appartement était grand.

Pas le choix, je devais le fouiller.

J'inspectai les trousseaux accrochés à l'entrée, inspectai le vide-poches, ouvris les tiroirs de son buffet.

Rien.

Un quart d'heure de vaines recherches me découragea.

Je m'assis sur son lit pour réfléchir. Où planquais-je, moi, les objets précieux ?

Réponse : au milieu de ma lingerie, dissimulés dans les replis des dentelles.

Retourner celle d'Irina m'embarrassa, mais l'intrusion fut brève : mon amie avait les mêmes cachettes que moi.

 

Tranches de vie 4Une nuit elle me fit rire aux larmes.

Je remarquai qu'à deux heures du matin, sa lumière était toujours allumée. Un oubli, sans doute.

Un bruit de vaisselle me détrompa.

Je l'appelai. Elle décrocha.

- Tout va bien ? questionnai-je.

- Oui, oui, je rase ma poule !

- Ta poule ? répétai-je ébahie.

Irina avait beau être une excellente maîtresse de maison doublée d'un cordon bleu, que diable pouvait-elle bien faire d'une poule ? Et à cette heure indue ?

Mon silence interloqué l'amena à préciser :

- Ma poule, tu sais, la bleue à franges ?!

- Aaaaaaaaah... Ton pull !

- Oui, c'est bien ça : ma poule !

L'opération "rasage des bouloches de la poule" se termina en nuit blanche.


Au milieu d'un fou rire, au détour d'une confidence, il m'arrivait de penser qu'un jour, Irina s'en irait. Elle souhaitait un enfant avec son compagnon, leur appartement ne comptait qu'une chambre.

À cette pensée mon coeur se serrait. J'ouvrais alors grand les yeux et les oreilles pour m'imprégner, tout entière, de cette minute. En moi graver le visage d'Irina, ses larges iris sombres aux paupières un peu lourdes, ses longs cheveux balayant ses pulls à bouloches, ses colliers chics et sa voix qui chantait les voyelles. Une pause volée au flux du temps, un arrêt dans cette course qui inéluctablement nous emportait.


La boîte n'était pas encore close que déjà, j'éprouvais de la nostalgie, une tristesse diffuse, un sentiment de perte teintant nos après-midis d'une drôle de saveur. Une plus intense car en sursis. Une presque amère car plus jamais.

Si je n'anticipais pas une rupture, je savais qu'Irina partie, notre amitié changerait. Différente, plus lointaine sans doute car privée d'un quotidien partagé, de ces mille et un liens que tissent de petits riens : un paquet gardé par l'une en l'absence de l'autre, une bouteille d'huile d'olive prêtée en cas de panne sèche, des recettes qu'on échange et des épices qu'on donne, des rigolades sur les disputes des voisins, des emplettes dans les boutiques du quartier...

Irina a déménagé, eu un enfant, s'est séparée de son conjoint.

Lentement nous nous sommes perdues de vue.

Lentement le couvercle de la boîte Paris 2000-2003 s'est rabattu.


Tranches de vie 5Depuis mon expatriation la conscience des boîtes a encore gagné en acuité. Sans doute parce que j'habite une île que nombre de gens traversent.

Des touristes d'abord. Eux ne s'attardent pas, c'est la règle du jeu.

Des voyageurs en recherche de travail, ensuite. La plupart instructeurs de plongée, ils s'envolent vers d'autres cieux, d'autres contrats, d'autres dive shops une fois la haute saison terminée.

Quelques mois, c'est déjà suffisant pour se connaître, s'apprécier, s'attacher.

Il le faut pour ressentir la joie d'être ensemble. Pas trop non plus pour s'éviter de souffrir. Et c'est encore plus vrai quand l'amour s'en mêle.

Ma chance est ici d'être flexible, de n'appartenir à aucun lieu ni de ne dépendre d'aucun pour assurer ma subsistance.

Je peux demain me séparer des objets, vêtements, bijoux accumulés dans mes armoires, mes tiroirs, ma cuisine. Ne garder que l'essentiel pour mon sac de voyage. Rendre mes clefs à Olüg, quitter ma maison sans me retourner et retailler la route.

Je peux mais ça n'empêche pas les boîtes, ce fichu va-et-vient de métronome égrenant l'incessant passage d'un état à un autre.

Tic tac, tic tac.

Unis puis séparés.


J'ai conscience que vivre revient à écrire, chaque jour, une histoire à mon insu. La vie telle une main folle qui sans arrêt, sans répit, sans pitié, noircit des pages et des pages jusqu'au point final.

J'ai la conscience aiguë, trop, douloureuse, souvent, flamboyante, parfois, que tout est si fragile.

Que c'est ici et surtout maintenant.

Et que cet ici et ce maintenant ne sont, tous comptes faits, qu'un chapitre. Le chapitre d'une boîte qui un jour se refermera.

 

 

 

Juste, au cas où : ce n'est pas moi sur la dernière photo.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso - Communauté : les blogs persos
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Dimanche 13 janvier 7 13 /01 /Jan 20:20

 

Koh Tao, Thaïlande, début décembre 2013.

 

 

7-eleven 1J'ai rencontré Min à la plage. Ou plutôt, sa haute taille s'est imposée à moi en me cachant le soleil.

J'ai observé ce géant à la peau diaphane, au large chapeau de paille et aux lunettes de soleil stylées mouche. L'ai sur le champ pensé Japonais ou Coréen, avec une préférence pour Coréen.

Le tee-shirt 7-Eleven*, sans doute.

Je ne me trompais pas.

 

Min est un Coréen qui, comme nombre de ses compatriotes, ne parle - hélas - qu'un anglais rudimentaire. Mais Min est, se veut et se réclame différent.

Lui recherche le contact des étrangers.

Lui se déplace seul, surtout pas en groupe.

Se mêler aux hordes de Coréens en vacances, pas question. Quand Min part à l'étranger, c'est pour agrandir ses horizons.

Sauf que Min reste malgré tout très Coréen.

"Tu peux enlever un homme de la jungle, mais pas la jungle de l'homme", avait un jour prophétisé un instructeur de plongée.

Il avait mille fois raison.

Min fuit le soleil qui fait virer au caramel. En Corée le bronzage est jugé laid, voire infâmant - comme (presque) partout en Asie.

Min ne sait pas nager. Se baigner, c'est pour lui marcher sur le sable, à faible profondeur, en agitant les bras. Vu de loin, sa brasse mêlée d'éclaboussures fait illusion. De près, elle attendrit.

Min vit encore chez papa-maman, toujours dans sa minuscule chambre d'enfant. Il la quittera lorsqu'il se mariera, s'il se marie un jour : à 30 années moins une, Min accuse un sérieux retard.

Son frère aîné, également célibataire, est également resté au nid.

Leurs parents s'en attristent : les fils, ça prend femme et ça fait des enfants. À 25 ans dernier carat.

 

Ce n'est pas le seul souhait familial auquel Min a dérogé.

Min n'a pas un bon travail, un qui rapporte. Min une passion, la musique, une guitare qu'il ne traîne pas en voyage et le rêve fou de s'exiler aux États-Unis, à Memphis la patrie du blues. Mais de Seoul à Memphis, oh Americain, long is the road.

Alors Min a tracé une croix sur ses espoirs.

Alors Min cumule les petits boulots pour s'en sortir : livreur, cuisinier, serveur dans un bar branché, où il est vite devenu la coqueluche des filles.

Faut dire que Min est très grand. Très musclé aussi.

- Et je n'ai pas le nez plat ! s'enorgueillit-il dans une moue coquette. Toi non plus, d'ailleurs.

- Mais moi, c'est normal. Je suis Européenne.

Long nose... Il s'étonne du surnom peu flatteur que nous donnent les Philippins. Pour Min, "long nose" est un compliment.


7-eleven 2Au lit Min ne s'autorise pas un mot, ne lâche pas une plainte, ne se permet pas un soupir.

- Ce n'est pas viril. Un homme qui s'exprime ? Une lavette. Honte à lui !

Dans les Love Hotel, on ne doit entendre que les femmes et on n'entend d'ailleurs qu'elles. Souvent à un volume tel qu'elles semblent se livrer à une compétition d'une chambre à l'autre.

- Pendant l'amour, seules les femmes crient, insiste Min. Et crier, elles le doivent, à plein poumons ! Toi, par exemple, tu ne cries pas assez...

Je fixe Min d'un air ahuri.

Voilà bien la première fois qu'on m'adresse ce reproche !


Min affirme que les Coréennes sont superficielles, ne prêtent attention qu'au physique - à commencer par le leur. Mais Min prend également grand soin de son apparence.

Min sait ce qui est tendance et ce qui ne l'est pas. Il a l'oeil du lynx et des avis d'expert sur ma robe, mes yeux, mes fesses, mon tatouage iban, ma chevelure "à couper comme ci, comme ça, jamais".

Ses doigts miment des ciseaux pendant ses lèvres chuintent tchhk tchhk tchhk !

Min m'imagine en lolita. Min me recoiffe en midinette.

- Arrête ! dis-je. Je ne suis pas une poupée !

- Dommage...

Pour me venger, j'étouffe Min sous l'oreiller. Il glousse.


 

Min n'hésite pas à partager ses opinions ni à demander ce qu'il désire. Ainsi, debout près du lit, m'enjoint-il :

- Rhabille-toi, s'il te plaît !

- Pardon ?

Je ne suis pas certaine d'avoir bien compris, pas sûre que mon amant ait bien exprimé sa pensée. Mon désarroi le pousse à joindre le geste à la parole, à mimer, d'une main, l'enfilage d'une veste en me tendant, de l'autre, ma robe.

- Trop tard ! dis-je. Nue je suis, nue je reste !

Min s'assombrit. Il préfère les femmes habillées, rien que pour le plaisir de leur ôter leurs vêtements. Tous sauf leurs dessous qu'il aime palper, griffer, écarter façon étreinte à la dérobée.

- Excitant... souffle-t-il. Comme interdit. Comme dangereux.

Min voudrait de la résistance là où il n'y a qu'abandon.

Min a l'obsession du blanc. Des dessous blancs, donc. Parce que le blanc est pur, délicat, virginal. Les modèles doivent en plus être simples, sans dentelles ni fioritures.

Et pour la matière, Min a son exigence : coton obligatoire.

Pourtant épurée, ma lingerie noire le déçoit. Pas assez candide ni virginale, sans doute.

Je pense à ces Japonais excités par les culottes d'écolière.

Je frissonne, un peu.

 

7-eleven 3Min a l'obsession de la propreté.

Pas de chaussures dans le bungalow.

Pas de pieds non rincés sur les draps.

Pas de caresses sans s'être lavé les mains.

Pour Min, une douche de dix minutes n'est pas une douche.

Alors que, peau savonnée, dents lavées et cheveux propres, je regagne le lit, lui reste à se savonner, se frictionner, s'astiquer à s'en décoller l'épiderme.

Je songe aux grands réservoirs de l'île, déjà à moitié vides en fin de saison des pluies. L'eau douce est ici une denrée précieuse, probable qu'elle soit bientôt rationnée.

Min s'en moque. Une douche de dix minutes n'est pas une douche.

Min a dû me prendre pour une truie.

Mais ça, c'est moi qui m'en moque.

 

Min s'affirme bon amant, en toute sincérité et modestie.

Il va d'ailleurs s'employer à me le prouver. À l'oral d'abord.

- In Korea... commence-t-il en butant sur la première syllabe de son pays comme s'il manquait d'entrain pour le prononcer d'un trait ou reprenait sa respiration, comme si "Korea" était une injure à scinder pour qu'elle glisse mieux.

Mais non, je m'égare.

Min a en anglais la même découpe des mots qu'en coréen. Monosyllabique, poussée d'un fort souffle à chaque entame.

In Korea (donc), one minute stand-by, thirty minutes fucking. Then, finish. Sleep.

Stand-by ? Je lève deux sourcils interrogateurs.

Min lance des bisous dans le vide, pose des paumes furtives sur sa poitrine, son sexe, son derrière.

J'ai compris. Le mot qu'il cherche, c'est foreplay (préliminaires).

Min a néanmoins raison : stand-by est plus évocateur. Là où les anglophones voient l'amorce d'un jeu, les Coréens se figurent une pause, un passage obligé leur ouvrant l'accès à leur désir.

Le droit à la pièce de résistance, en somme.

Je pouffe que le sexe made in Korea semble triste. Une minute de préliminaires, trente de fornication, éjaculation et bonne nuit.

- Yes, yes ! approuve Min. In Korea very sad ! Boring !

Mais Min n'est ni prévisible ni ennuyeux. Ni même trop directif car au lit en Corée, la femme ne bouge pas. Ou point trop.

C'est l'homme qui, prenant les initiatives, la tourne et la retourne, la plie et la ploie.

Devant mes yeux incrédules, Min empoigne un corps aussi imaginaire qu'étendu, le meut, le tord, le secoue avant de le lâcher sur le sommier.

- Aïe ! fais-je. Very painful, no ?


7-eleven 4Min est obsédé par les odeurs. Faut qu'à ses narines ça sente le frais, le neuf, le récuré.

Il faut que mais en vérité, il ne faut pas.

Le pipi doit sentir le pipi, la chatte la chatte.

Je ne souligne pas la contradiction entre les douches interminables et cette revendication sensorielle. Min ne m'écouterait pas.

Là, il lape ma sueur.

Renifle mon sexe, le lèche, s'en délecte.

Enfonce ses doigts dans mon cul, les renifle, les goûte, défaille.

Me demande de vomir dans sa bouche et de déféquer sur son torse.

Je dis non aux deux.

 

Min m'a donné une autre vision de moi-même.

Moi qui me croyais ouverte aux nouvelles expériences, j'ai reculé.

Moi qui me jugeais libérée, voilà que je me découvre coincée.

Heureusement qu'en juin, je pars en Corée !

 

 

 

* Seven-Eleven : chaîne de supérettes très présente en Asie.

 

L'image - sexuelle notamment - de la Corée n'engage que Min. Je n'ai que répété ses paroles. Pour se forger une opinion personnelle, une immersion in situ s'impose. :)  

 

Photos : Doisneau, Zang Huibin, Will Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Samedi 12 janvier 6 12 /01 /Jan 11:20

Des gouttes pour la routeLa pharmacie n'a pas de porte. Seulement accessible au personnel, la longue salle aux étagères surchargés de boîtes, de pansements et bouteilles de sirop s'étend derrière trois guichets vitrés.

Je m'approche.

À travers la glace, une Philippine aux mèches cuivrées me sourit.

Ce n'est pas elle qui m'a servie la dernière fois, la petite boulotte qui a compté et recompté, une à une, les gélules vendues ici à l'unité, avant de les enfermer dans un sachet.

Ce sachet, je n'ai pas pris la peine d'ouvrir.

Erreur.

L'employée s'était trompée.


La semaine suivante, un peu agacée, un peu fataliste, je revins avec mon sachet, mes gélules intactes et l'addition :

- Vous ne m'avez pas vendu le bon médicament.

- Ah, ah, c'est parce qu'ils commencent par la même lettre ! s'est esclaffée la Philippine. Sorry, Mââm !

Elle a ri encore. Elle trouvait ça hilarant. Moi beaucoup moins.

J'ai pensé aux malades illettrés, aux vieux à demi-aveugles et aux distraits.

Avoir besoin d'un anti-coagulant et se retrouver avec des laxatifs, ça fait quoi ?

Chier, sûrement.

 

Les mèches cuivrées s'agitent, attentives, devant mon nez. J'explique que partant en voyage, il me faut regarnir ma trousse à pharmacie.

- Aucun problème, Mââm ! Je vous écoute...

Extirpant un bloc-notes de mon sac, j'énumère :

- Antibiotiques : 28 comprimés de ciprofloxacine et le double de métrodinazole... Doxycycline aussi, tiens. Disons 30. Dosage maximum.

L'employée acquiesce et commence à virevolter enre les rayons.


Et des gouttes 2- Attendez, je n'ai pas fini ! Antidouleurs à base d'opiacés, 20 gélules, anti-histaminiques en cas d'allergie, anti-inflammatoires, anti...

La Philippine encaisse la longue liste de mes anti sans sourciller. Sa pharmacie, c'est open bar, avec des promotions "une boîte achetée, une gratuite".

Possible, même, de cumuler les réducs en présentant sa carte de fidélité Viagra ou Celebrex.

- Et pour finir, des gouttes pour les oreilles, s'il vous plaît.

L'employée renifle avec suspicion :

- Des gouttes antibiotiques, Mââm ?

- Oui, oui. Antibiotiques, les gouttes.

Son jeune visage se crispe. Elle a soudain la bouche gênée et un pli dur aux sourcils.

- Ah non, Mââm ! Impossible, les gouttes. Il me faut la prescription d'un médecin. Absolument.

Ah oui, c'est vrai, une ordonnance. Que n'y ai-je donc pensé plus tôt ?

 

 

Dessin d'Enki Bilal.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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Mardi 9 octobre 2 09 /10 /Oct 20:38

Adri mailDeux petites journées et deux messages d'hommes surgis du passé, Adrien et l'amant de la chambre 12Et la même surprise, la même émotion à les lire.


La visite surprise d'Adrien m'avait laissée sur un sentiment mitigé. Je ne le reverrais ni ne l'entendrais plus, supposais-je.

Nous avions néanmoins un vague rendez-vous, le dimanche 29 juillet à Manille. Manille d'où il s'envolait pour rejoindre la Suisse, Manille où j'atterrissais au retour de Pékin, hasard de nos calendriers pour une date en chassé-croisé.

Je ne la lui rappelais pas. Lui non plus.

Y pensais pourtant, tout en pensant qu'il n'y penserait pas parce qu'il ne pensait plus à moi.

Je me trompais. 

Un soir, telle une bouteille lancée à la mer depuis l'Europe, un mail arriva dans ma boîte. L'expéditeur me fit arquer les sourcils.

"Tiens... Une voix du passé", m'étonnai-je, une que j'avais même failli supprimer de mes contacts la veille.


Adrien.

Adrien qui, en dépit de son désintérêt pour les correspondances, prenait enfin le clavier.

Adrien qui couchait mon prénom précédé d'un "ma" tendrement possessif. Qui confiait me garder toujours près, très près, souvent. À qui je manquais et qui désirait tant me serrer entre ses bras. Qui, "tombé amoureux de la sincérité et du vide total qui entourait ce soir-là", me remerciait pour les moments partagés et les souvenirs qu'il chérissait.

Qui confirmait, également, ma certitude de notre nuit fauve : quelque chose s'était passé. Une communication plus profonde que celles des corps et des mots. Un trouble qui nous avait saisis puis emportés, une communion qui se fichait bien de nos différences, à commencer par le fossé séparant nos âges respectifs.

Peu importait que les trois durent ou non, soient voués à un avenir ou un échec. Ils étaient là, aussi incontestables que mon sac posé sur le lit et impalpable que l'odeur d'Adrien qui longtemps flotta sur ma peau.

Lui évoquait une "relation belle et spéciale", impression que j'avais éprouvée, puissante, à Puerto Princesa, mais qui s'envola lors de son passage chez moi, puis de la pénible confrontation avec sa famille.

Son message me toucha beaucoup. Me chagrina aussi, car j'y lus entre les lignes - à tort ? - qu'Adrien n'allait pas bien. Peut-être même très mal.

 

Passé présent 2Pauwels, l'homme de la chambre 12, c'est différent. Lui n'a jamais entièrement disparu de ma vie, mais s'en tient tellement à la périphérie que cette distance équivaut à une absence.

Le travail, la pression, les soucis... Pauwels a ses batailles à mener, et celles-ci ne lui accordent que peu de disponibilité. Malgré tout, je sais qu'il veille sur moi à sa manière affectueuse et lointaine, amicale sans être intrusive. Que si je lui demande de l'aide, il répondra présent.


Pauwels fut toujours là dans les coups durs, me téléphonant à la clinique après l'opération, m'encourageant quand j'hésitais, me soutenant quand je flanchais, tentant d'apaiser les discordes d'un forum qui me tenait à coeur, intervenant dans une épineuse panne d'ordinateur à la garantie expirée.

Me proposant des dîners, des sorties, des week-ends.

M'écoutant et se confiant à moi.

Relation franche, ouverte, chaleureuse et distante à la fois. Toujours ce fameux temps trop compté, nos impératifs et ma bougeotte faisant ressembler l'année à un morceau de gruyère.


Pauwels et moi correspondions avant de nous rencontrer. Il était curieux, je crois, et ma tenue le fit sourire : un vrai uniforme de Domina, long manteau et courte jupe en cuir, bottes à hauts talons, collier fermé par des menottes entrecroisées.

Nous bûmes un verre là, un autre ailleurs, et Pauwels me dit ce qu'il n'aurait jamais dû savoir, puisque je ne lui en avais jamais parlé. Il me fit aussi une prédiction qui, elle, ne réalisa pas.

C'est ainsi... Des intuitions parfois le transpercent, des voix parfois lui parlent. Il en connaissait davantage sur moi qu'il ne l'aurait lui-même soupçonné.

Ce qui, tout étrange et indiscret que ce fut, ne me dérangeait pas.

À Pauwels je n'avais rien à cacher.

 

Je me souviens de ses costumes impeccables, de ses yeux translucides et de la fatigue sculptant ses traits. De confidences, de secrets et d'intimité. De caresses, de massages et d'étreintes. D'abandon, de longues discussions et de fous rires. Comme le jour où, prenant sa boîte professionnelle pour son adresse personnelle, je lui envoyai un mail très privé et plutôt salace.

Je me souviens de mes conseils qu'il n'arrivait pas à suivre, de mon irritation, parfois, à le voir s'épuiser, à se montrer si généreux sans assez recevoir en retour.

Je me souviens de petits moments, un apéro dînatoire à la maison, un verre en terrasse rue Oberkampf, le gin-tonic qui m'attendait sur la table, mon imperméable jaune ne cessant de glisser sur mon corset.

Je me souviens des friandises qu'il me ramenait de ses voyages et que je dégustais au lit, en compagnie d'un bon bouquin.


Passé présent 3Je n'avais pas compris, sans doute, à quel point Pauwels m'appréciait.

C'est son dernier message qui me le révéla.

Ricochant sur celui d'Adrien, il me fit penser qu'on se rend rarement compte de la trace qu'on laisse chez les autres, du sceau dont on les frappe. De la façon dont on habite leurs mémoires alors qu'on s'en croit délogés.

Parce que, suppose-t-on, ils sont passés à un autre chapitre, une autre ère.

La tendance - du moins la mienne - serait de sous-estimer ces empreintes, voire de les nier tellement nous n'y percevons rien d'exceptionnel.

On a juste été soi, rien de plus.

Les négliger, oui, sauf si ces autres nous le disent ou nous l'écrivent noir sur blanc.


Voilà qui me donne envie, à mon tour, de le signifier à certain(e)s qui m'ont marquée, pierres blanches ou solides rocs semés sur mon chemin.

Sans peut-être même s'en apercevoir.

 

 

Pin up de Gil Elvgren, photos de Flor Garduno.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Jeudi 4 octobre 4 04 /10 /Oct 17:16

Le début ici.

(Et la suite déconseillée aux âmes sensibles)

 

 

Pres de l'os 6... Et pourtant l'évidence, à nouveau.

Pierrig et moi, c'est la rencontre explosive de deux natures volatiles, l'osmose de deux corps parfaitement, miraculeusement taillés l'un pour l'autre.

Ma bouche pour son sexe qui, d'habitude long à venir, se retient d'exploser dès que ma langue l'effleure.

Mes seins pour ses mains qui, dépliées, les recouvrent tout entiers.

Mes tétons qui, malmenés par ses ongles, se dressent.

Ma chatte, mon cul pour son gland qui les fouille.

Pierrig et moi, moi et Pierrig, c'est une histoire de peau. Une alchimie rare, précieuse, presque une torture, intense à en être insupportable.

Sur elle ni lui ni moi ne parvenons à fermer le ban.


Pierrig est mon obsession et mon corps est la sienne. Morceau après morceau, de la Chine à la Slovénie, du Togo à l'Iran, de la Nouvelle-Zélande à la Bretagne, celui-ci défile derrière ses paupières.

Mon ventre alors qu'il cherche le sommeil, ma croupe quand il ne peut le trouver.

Ma fente lorsqu'il se caresse, mon oeillet lorsqu'il crache sa semence.

Et toujours nos jeux en toile de fond, scènes ad nauseam de nous dans une chambre, un autocar, un train.

- Impossible de monter dans un wagon sans penser à toi. Ni dans un bus, d'ailleurs. Tu te souviens, dis, du trajet de Kenting à la gare ferroviaire ?

Bien sûr que je me souviens. Des mains de Pierrig dans ma culotte. De ses doigts qui par tous les orifices me pénètrent tandis que je ravale mes cris. De sa hâte à baisser sa braguette, ouvrir son pantalon. De sa brusquerie lorsque, m'arrachant de ma place, il me précipite sur sa verge érigée. De sa hargne à l'enfoncer soudain, jusqu'à la garde, dans mon cul.

Je m'écrase contre le siège avant, le lacère de mes ongles, me mords la langue à l'entailler. À bout de souffle et écarlate, pas de honte, non, mais de béatitude, oui.

Les deux collégiens installés derrière nous sont descendus à leur arrêt. Face à moi, une télévision crachotante qui diffuse un stupide programme, les crânes tranquilles des autres passagers qui ne doivent pas se douter, pas nous surprendre.

Retenue, discrétion et silence sont de mise.

Un silence inhumain, quasi impossible à observer tandis que j'ondule, tangue et me tortille.

Et que Pierrig me tire les cheveux à pleines poignées, me chuchote à l'oreille des ordres crus, m'agonis de "petite salope sodomisée".

Et qu'il s'enfonce en moi à grands coups de boutoir.

Et que mes chairs s'écartent pour l'accueillir.

Et qu'il me veut si toute, si entière qu'il agrippe mes hanches pour m'abattre plus violemment sur ses cuisses.

Et que je jouis en croyant m'évanouir.

Et qu'il vient aussi en baignant mes tripes d'un jus brûlant.

Comment oublier ?


Pres de l'os 7Comment effacer nos jeux si particuliers, réservoir d'images, alambic de désirs, terreau à fantasmes ?

- Mais Pierrig, ai-je protesté, je ne suis pas un fantasme. Je suis une réalité.

En filigrane des mots prononcés, d'autres gardés secrets :

"Ta réalité d'amante et de putain, de salope et d'amoureuse, de maîtresse et de fantôme. Si j'existe quelque part, c'est dans ton cerveau. À jamais nue et ouverte, hurlante et offerte, consentante et déchirée.

C'est toi-même qui me l'as dit.

Et tu ne mentais pas, vrai ?"

 

La vérité ? Pierrig m'a dans la peau. Je suis l'écharde qu'il échoue à retirer - s'il en a jamais eu l'intention.

J'apparais et il s'électrise. Incontrôlable réaction animale, indomptable attirance nous projetant l'un vers l'autre, perceptible rien qu'à mon odeur, effluves de femelle suintant sa faim par tous les pores.

On peut maîtriser ses regards, ses gestes, ses phrases, mais pas son odeur. La mienne est à chaque fois un aveu aussi limpide qu'embarrassant.

Plus lourde et musquée, celle de Pierrig s'altère à l'unisson. 

Même lorsque, défaite et malade, je le croise par hasard dans une ruelle de Chiang Mai, qu'il mémorise mon numéro pour me texter dans la foulée :

"C'est bon de te revoir. Next time quand ? Où ?"

Même lorsque dans un hôtel à Cebu ou un bar à Pékin, je lui suis inaccessible. Le désir ignore la distance et Pierrig le repos.

Il me parle d'aimants, de rapprochement magnétique et de courant. Lui la prise mâle, moi sa pièce manquante. Tant que nous ne sommes pas raccordés, fiches serties jusqu'à la butée du socle, Pierrig se sent incomplet, frustré, fébrile.

Seule notre réunion a le pouvoir de l'apaiser.

       

De temps en temps, d'un continent à l'autre et au détour d'un croisement informatique fortuit, nous parlons.

De ce que nous avons déjà fait.

De ce qu'il fera avec moi ou de moi s'il me revoit.

De ce que j'aimerais qu'il me fasse.

Arrimer des cordes à ma peau pour artistiquement les tresser, les entrelacer et les serrer, fort, jusqu'à tous deux en suffoquer.

Bondage ou shibari.

 

Pres de l'os 8Ma chair par le chanvre comprimée, creux rougis et saillies à malaxer, tordre, croquer.

Jusqu'à la lymphe.

Jusqu'au sang.

Jusqu'à l'os.

Jusqu'à la vérité d'une volonté qui plie, d'un corps qui abdique, d'une âme qui capitule.

Vertige de soumission, guerre du silence de la bataille au drapeau blanc, armistice sans condition avant la complète reddition.

Crucifiée jambes écartées, chatte écartelée, être à Pierrig, me soumettre à cet homme qui m'enfourche et m'empale.

Voir ses iris métalliques se durcir d'autorité et d'orgasme.

Craindre sa bouche rétractée sur ses dents.

Boire le long jet de sa salive, crachat de plaisir remonté de ses entrailles.

Entendre ses plaintes et ses jurons proférés dans un délire, "Putain !" et "Bon sang de merde !" en preuves de lâcher-prise.

M'inonder de son sperme, l'étaler sur mon visage, le savourer tel un nectar.

Pierrig à la peau qui m'affole, à l'odeur qui me grise. Pierrig en chef d'orchestre de mes excès, Maître de mes supplices, tyran de mes martyrs.

Être sa prisonnière. Et les cordes une fois dénouées, inoffensifs serpents enroulés sur le plancher, l'être encore parce que tel est mon désir. Désir d'union, d'alliance-ecchymose imprimée en jaune, bleu, violet.


C'est moi qui l'ai initié à ces jeux nommés BDSM, m'emparant d'une place que nul ne me conteste et que nulle de ses amantes, amoureuses, compagnes, ne m'a encore disputée. À ce titre je sais que jamais Pierrig ne m'oubliera. Parce que j'ai été la première à l'entraîner sur les chemins de traverse, la première à le marquer au fer rouge.

- Je t'appartiens, m'a-t-il écrit un jour.

- Non. Personne n'appartient à personne, toi pas plus à moi qu'à une autre.

Mais qu'il était tentant de dire "oui", de m'aveugler pour me contenter, de me payer d'un bon mensonge qui ne cause de tort à personne. À personne sauf à moi, et charité bien ordonnée commence par là.

Alors taire ces mots qui sont autant de conneries :

"Oui, tu m'appartiens. Chéri. Salopard.

À moi toutes tes forces et les fêlures, toutes tes faces et tes facettes, les sombres comme les claires, les évidentes comme les secrètes.

À moi qui à Bangkok t'ai tant désiré, qui après Taiwan t'ai tant méprisé.

À moi qui ai tant souhaité te détester sans y parvenir. Dommage, te quitter aurait ainsi été plus facile. Parce que te haïr, c'était déjà te tuer.

À moi, moi, MOI." 

- Tu as raison. Alors, pour le tourner différemment : ma sexualité t'appartient.

- Voilà qui me semble plus juste, ai-je soupiré. Mais pas forcément plus vrai.


Pres de l'os 9La vérité ? Je ne comprends pas qu'il n'y a certainement rien à comprendre.

Il y a quatre ans et demi, Pierrig m'avait proposé une place à ses côtés. Une grosse, tant qu'à faire, vu qu'il n'était pas radin.

J'étais avec Feu mon amour, j'avais refusé. Longtemps après je fus prête, mais Pierrig ne l'était plus. La chance avait tourné, la main avait passé sur l'air des "trop tard" qui valent des "plus jamais".

Pourquoi ?

J'ai beau réfléchir, soupeser, analyser, je percute sans cesse le même mur. Bien sûr je sais que les offres d'amour expirent comme les boîtes de conserve. Date de péremption outrepassée, ticket invalide après la limite, sans raisons à invoquer ni explications à fournir, hormis :

- C'est comme ça. 

Mais quand même...

Pourquoi hier et plus aujourd'hui ?

Qu'est-ce qui a donc changé ?

Cette nouvelle donne me blesse tel un rejet et pire qu'un désaveu. De mon point de vue, l'essentiel est là, à l'identique : Pierrig et moi avons beaucoup en commun, des petites choses aux plus grandes.

Le cul.

L'expatriation, le voyage et la faculté de s'adapter ailleurs, loin de nos repères.

L'envie de parcourir le monde et de partager.

Des traumatismes similaires qui façonnèrent notre vision du monde et de l'existence, au coeur de notre inoubliable discussion sur les rives du Mékong.

Comprendre vraiment quelqu'un et s'en faire vraiment comprendre, c'est rare.

Alors ?...

 

Je repense avec émotion au drôle de pendentif que, glissé dans une chaîne, Pierrig gardait autour du cou. Lors de notre discussion dans le wagon-restaurant, il était invisible. C'est en touchant sa peau que je butai contre ce morceau de métal tiède.

Un bijou, pensai-je.

J'avais tort. S'écartant, le col du vêtement dévoila une petite clef. Plate, argentée, toute simple.

Je m'en étonnai.

- La clef de chez moi, m'apprit Pierrig. Enfin, du seul endroit sur terre que je peux appeler chez moi, puisque je n'ai pas de maison.

- Où est-ce ?

- Au nord de la Thaïlande, dans la jungle, près d'une rivière. Une cabane en planches fermée par un cadenas, sans rien dedans. Elle n'est pas à moi mais à l'ami qui m'a confié cette clef. Je suis libre d'y aller quand je veux, pour la durée que je veux.

- Oh, fis-je en songeant que moi non plus, je n'avais pas de chez moi.

Chez moi, c'était la place délimitée par mon sac à l'hôtel, dans des chambres de hasard puis des habitations transitoires, du bungalow à la maison déglinguée. Confort minimum, insectes, geckos, souris, rôdeurs mais pas d'eau chaude, éclairage à la bougie lors des pannes d'électricité... Ça m'allait.

 

Près de l'os 10Il m'avait fallu longtemps pour me sentir appartenir à un lieu, une terre. Affirmer que là était "chez moi", y déposer enfin mon barda, y planter mes racines, y déployer mes branches.

Aussi savais-je exactement ce que Pierrig me signifiait : cette importance de l'attache, même lâche. Du territoire, même exigu, dont on fait notre patrie. De cet endroit, périmètre de rêverie, d'indolence ou de repli, qui attend notre venue.

Le comprendre si bien sans qu'il ne partage mon trouble me perfora le coeur.


Mon chagrin est cependant une fièvre à éclipses.

Pierrig me manque beaucoup puis plus du tout.

Je grille de le revoir puis me refroidis.

Je pense énormément à lui puis l'oublie. Enfin, jamais tout à fait...

J'ignore si je le reverrai ou non. Il en a été question pour cet automne, mais sûrement est-ce dangereux pour moi. Je risquerai d'avoir mal.

Surtout au coeur.

 

 

Photos : portrait perso ;  3e : Ken-Ichi Murata,

4e : Frédéric Fontenoy, 5e : Marcel van der Vlugt ; 6e : Araki.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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