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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Mardi 1 mars 2 01 /03 /Mars 21:12

      Hier, Annie Girardot est morte. Elle portait le même prénom que ma mère,

écho presque parfait de celui de ma grand-mère, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire.

Atteinte comme Annie G. d'une maladie dégénérative, elle l'a toutefois oublié.

Moi, je perpétue cette tradition familiale (inconsciente), mais de manière tronquée :

mes deux prénoms furent séparés sans trait d'union. L'usuel et l'autre, hérité, qui ne sert jamais.

Divisée dès l'origine et, malgré tout, sous le signe du lien placée.

Ce soir sera placé, lui, du côté de la vie. Face à Pierrig avec la nuit derrière la vitre.

 

 


newton cigareLa nuit a dévoré les champs et les rizières. Le wagon-restaurant fermera dès que les employés auront chassé le dernier trio de touristes. Ceux-ci ne veulent pas partir. Ils veulent boire, boire encore pour être plus ivres, plus bruyants, plus grossiers.

L'un d'eux tente de négocier une heure d'ouverture supplémentaire ou, à défaut, le temps d'une autre bière. Il est prêt à payer et la bière et le temps, mais les billets tendus se heurtent à la poitrine hostile de la matrone thaïe.

Pierrig et moi n'avons plus de cigarettes.

La matrone refuse de lui en vendre. Sans même lever le menton, d'un geste impatient de mépris.

- Laisse, dis-je.


C'est au collègue de la maritorne que je m'adresse. Sanglé dans son uniforme crasseux, il nous a tour à tour apporté des bières, des Coca et des soupes à la citronnelle. Avec lenteur et mauvaise grâce pour nous décourager, tout à son zèle de nous faire comprendre qu'ici, nous sommes de trop.

Je lui parle et, surprise, il m'écoute. S'incline, fouille le contenu d'un vieux carton, me tend un paquet et m'annonce le triple du prix normal dans un sourire en coin. Petit homme fier d'arnaquer la farang* qui, d'ailleurs, ne proteste pas.

Nos regards se croisent.

Il sait que je sais, et aussi que je m'en fiche. Ce qui m'importe est de rejoindre Pierrig, son dos qui sous l'orange de son pull se balance, ses mains qui m'ouvrent une à une les portes.

Clac, clac.

Elles se referment derrière moi dans un bruit de mâchoires métalliques, forceps du piège vers lequel j'avance, toujours plus près à petits pas têtus, le coeur en bascule, les bras tendus et les yeux grand ouverts.

Ma paume se pose un instant contre la vitre. Son contact froid m'apaise comme il calme mon front brûlant.

Je pourrais encore prétendre que je ne sais pas. Ce serait mentir. Je sais très bien, de toute l'acuité de mon désir, que cette nuit sera sans sommeil.

Pierrig se retourne. Nos regards se confondent.

Il sait que je sais, et aussi que je ne m'en fiche pas.


Nous continuons à marcher. A la queue-leu-leu, sans un mot. Le train est une enfilade de sas déserts et de compartiments silencieux. Tous les rideaux des couchettes sont tirés, signe que les autres voyageurs ont, eux, trouvé le repos.

Au bout d'un corridor, une porte ouverte. Elle donne sur un réduit lavabo-toilettes. Lino noirâtre et faïence craquelée, du robuste jauni sous le harnais de vessies pleines et de culs vite torchés. Le lieu est propre, cependant. Tristement banal ou banalement triste. Fonctionnel, javellisé et sans miroir. Après tout, on n'y vient pas pour une retouche de maquillage.

Je pourrais penser à Dame et ses Interme*des. A Eleni, l'amie grecque qui consomma un contrôleur SNCF entre Paris et Bordeaux. A cette situation qui a pour moi tout de nouveau.

Je pourrais mais ne pense à rien car Pierrig s'est arrêté.

Je balbutie :

- Non. Oui.

Il me pousse dans la pièce. Rabat le loquet sur sa charnière de métal.

Clac.

Derrière lui le piège s'est refermé.

Mon coeur s'emballe sous mes côtes. Mes bras se tendent vers son cou. Je ferme les yeux.

 

OndesLe lavabo est aussi froid que la vitre du couloir, mais sa fraîcheur n'attiédit pas mes joues brûlantes. Mon ventre, mes cuisses, mes genoux sont nus, mes chevilles parées d'une mince étoffe de coton. Mon sarouël qui s'avachit sur mes sandales, masquant mon tatouage et entravant la brusque rotation de mes jambes.

Pressés entre elles, il y a Pierrig et son demi visage fondu à ma peau brune. Je défaille agrippée à ses cheveux, enfonce tour à tour sa langue dans mon sexe et l'en éloigne, le souffle court.

La jouissance monte comme une sève.

Pas si vite, pas déjà.

Un mouvement brusque et le robinet s'ouvre en m'éclaboussant.

 

Des voyageurs sont venus puis, lassés d'attendre, repartis. Intrigués ou impatients, se doutant peut-être de ce qui se joue de l'autre côté de la cloison.

Aucun n'a vu la tache blanche s'arrondir sur le pull de Pierrig, sa brève grimace de déception d'un "si vite, déjà" effacé quelques minutes plus tard, lorsque je me suis agenouillée.

 Aucun ne m'a vue à terre, sa verge au fond de la gorge. Sexe à nouveau tendu puis soudain fléchi sous son ventre qui tressaille et ses lèvres qui me glissent :

- Il faut vraiment que nous partions.

Son coude plaqué contre la porte en contient à grand-peine les soubresauts. Derrière, quelqu'un s'énerve. Un quelqu'un bien décidé à nous déloger, quitte à forcer le verrou.

Le contrôleur, peut-être, alerté par nos gémissements ou un autre passager.


D'un bloc je me lève. Rajuste à la hâte mes vêtements, lisse mes boucles emmêlées. Mon mascara a dû couler dans la bataille. Mes joues sont cramoisies, ma peau râpée. L'évidence du plaisir éclate avec tant de force sur mon visage que j'en ai honte. Honte de le montrer à un étranger. Honte qu'il nous gronde comme deux contrevenants à la bienséance. Ce que nous sommes, en effet.

Monsieur, madame, dégagez. Les toilettes ne sont pas faites pour les jeux très privés.

Ahurie, tremblante, je fixe Pierrig.

- Mais comment allons-nous sortir ?

A son tour d'être désemparé :

- Eh bien... par la porte.

Je manque d'éclater de rire. Il n'a pas compris. La gêne lui est aussi étrangère que les interdictions placardées en thaï le long des wagons. La honte qui me cuit n'appartient qu'à moi. A moi donc de m'en débrouiller.

Lorsque Pierrig déverrouille la serrure, je me tiens dans son ombre, digne et droite, tee-shirt rabattu sur le pantalon, petit sac collé au giron.

Me voilà prête à sourire. A soutenir qu'il s'agit d'un malentendu. A m'indigner, même. Vraie menteuse, fausse jusqu'au bout alors que tout la trahit.

 

La porte s'ouvre.

Il n'y a personne dans le couloir.



*farang - ou falang - signifie "occidental" en thaï. Le mot serait forgé sur "farangset", autrement dit... français.

 

Photos : Helmut Newton, Peter Franck.

Et merci à Slev pour le R du titre !. 

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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