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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 3 juin 7 03 /06 /Juin 21:39

Un peu plus tôt...

 

Hypocrisie 2Adrien et moi fumions une cigarette sur la terrasse. Minutes de calme et de complicité après l'amour, corps rassasiés et courbatus de trop de jouissance, esprit flottants, apaisés, tout disposés à la concorde.

Le moment se prêtait à interroger mon amant sur son programme.

Depuis quand se trouvait-il sur l'île ?

Y était-il seul ?

Souhaitait-il s'installer à la maison ?

Combien de temps resterait-il ?

Comme d'habitude, tout était très flou.


Parce que pour Adrien, "un plan" est un ensemble confus de multiples projets, d'envies parfois inconciliables, de directions parfois contraires.

Un vaste fourre-tout que, façon sac besace, il trimballe en bandoulière de port en ville. Dans lequel il pioche au petit bonheur la chance, selon les événements, le hasard et l'humeur du jour.

Imprévisible et distrait, le garçon. Égarant son téléphone à Manille, s'empêchant du même coup de m'envoyer un texto. Croyant m'avoir écrit un mail que je ne reçus pas, et pour cause : celui-ci croupissait dans le dossier "brouillons" de sa messagerie.

Anticiper, s'organiser... À quoi bon ?

Tel un chat, Adrien retombe toujours sur ses pattes.


- Hé, pas si vite ! Tu m'as perdue en cours de route ! protestai-je.

Adrien tenta alors d'ordonner le chaos. Reprit son récit en commençant par son déplacement en famille. En grande famille, même.

- Mais dis-moi, vous êtes combien ? Quinze... ? lançai-je en forme de boutade.

Adrien se mit à compter sur ses doigts.

- Mon oncle, un ; sa femme, deux ; leurs enfants, trois et quatre...

- Bon... Ne me fais pas la liste ! À peu près.

- À peu près quinze, tu as raison.

Je me retins d'écarquiller les yeux. Bouger avec toute la smala est habituel aux Philippines, où la notion de famille, généralement étendue, prime sur le reste.

Tant et si bien que choisir, comme moi, de se séparer des siens sans pression économique, de vivre seule et de goûter cet isolement est de la science-fiction.

Tant et si bien que les voyageurs solitaires forment l'exception.

- Ta famille, donc...

- Oui, pardon.

Le groupe entier, Adrien compris, revenait donc d'une fiesta typique : deux jours et deux nuits passés à manger et à boire.

Je souris.


J'avais déjà plaisanté mon amant sur sa double culture. Les doutes, les tensions, la fatigue que devaient générer le choc de leurs valeurs. Le clash de ces deux mondes ayant si peu en commun, voire tout d'opposé.

Côté paternel, la Suisse et sa réputation de sérieux guère pris en défaut, d'efficacité huilée, de neutralité historique, de pointilleuse exactitude, de lisse politesse.

Côté maternel, les Philippines et leur joyeux bordel. Le culte de l'à-peu près, le manque de logique, le désopilant et désespérant "out of stock-factory defect, Mâ-âm", l'incompétence de certains médecinsla crispante lenteur et la dangerosité des transports, le rubber time, temps élastique poussant chacun à arriver en retard.

 

Hypocrisie 3Adrien avait acquiescé.

Non, cette appartenance duelle n'était pas facile. En lui leurs moitiés se hélaient, se contredisaient, se battaient.

Rarement il y avait de victoire par KO.

Le plus fréquemment la médaille d'or dépendait de la géographie : en Suisse Adrien était Suisse, et aux Philippines, Philippin.

Un vrai Pinoy dans une peau de demi-blanc.


Adrien évoqua également les travaux de sa maison qui, à Puerto Princesa, piétinaient.

Son séjour à Manille, où il devait retourner pour récupérer du matériel informatique.

Son vol qui décollait le lendemain.

- Demain ? répétai-je stupéfaite. Mais à quelle heure ?

- Tôt...

Il grimaça. J'hésitai entre l'hilarité et l'agacement.

- Je ne voulais pas repartir si vite, mais voilà... C'est mon oncle qui a réservé les billets. Et j'ai peu de chances de les changer sans les perdre.

- En effet.

Pour une visite éclair... C'en était une.


- Et tu comptes, euh, dormir chez moi ?

- J'avais pensé que...

Adrien s'interrompit en penchant comiquement la tête.

- Mais ta famille, elle est à l'hôtel ?

Oui, elle y était. Loin de la plage, dans un complexe chic et le pur style philippin : à quinze pour deux chambres.

Je gloussai. Songeai à Yann qui évitait, pour son établissement, la clientèle pinoy. Ne l'acceptait qu'après une réponse satisfaisante à la question :

- Mais par chambre, combien serez-vous ?

Les Philippins tendent à restreindre le budget "nuit" au plus étroit. Serré comme leurs corps tête-bêche sur un seul matelas, endormis à même le carrelage, exilés sur la terrasse ou entassés dans la salle de bains.

L'intimité n'a ici pas la même importance qu'en Europe. Elle n'en a même aucune.


- D'ailleurs, poursuivit Adrien, j'attends un SMS d'eux. Nous devons dîner à la plage, je les y rejoins... quand ils m'auront indiqué le restaurant.

- Je suis invitée ?

- Si tu veux. Pas de problème, ce sont des gens aussi accueillants qu'adorables. De très bonnes personnes, ma famille.

J'étais curieuse de la connaître. Curieuse, aussi, de découvrir le comportement d'Adrien en société. L'articulation, l'harmonie ou les dissensions entre ses parts suisse et philippine.

Et simplement heureuse de prolonger cette unique soirée.

Quand le texto arriva, nous étions occupés à discuter.

Et Adrien lut, bouleversé, le texte de notre nuit fauve.

Et je m'octroyai le temps de me préparer.

Une douche. Un shampooing. Une robe dos nu. Des sandales à bride. Du blush, du mascara, un trait de crayon noir sous les paupières. Quelques bijoux discrets.

Un large sourire placardé aux lèvres pour rencontrer des gens si sympathiques.

Nous quittâmes la villa à huit heures et demi.


Hypocrisie bisAdrien avait garé sa moto sur le parking de mon compoundIl l'enfourcha et démarra.

Je me lovai contre lui, coulai mes paumes sur ses hanches.

- En fait... Par rapport à ma famille...

J'ôtai aussitôt mes mains, les rangeai sur mes genoux et reculai sur le siège.

- Désolé. Je ne veux pas te vexer, mais c'est délicat...

- Message reçu, dis-je sèchement. Et en leur faussant compagnie, tu leur as raconté quoi ? Qui suis-je censée être ?

- Une excellente amie.

- Une excellente amie du mois dernier ? persiflai-je. Ou faut-il prétendre s'être rencontrés il y a un quart de siècle ?

- Non, non. Inutile d'entrer dans les détails.

- Mais enfin, les détails, tout le monde les connaît ! Ta famille n'est ni idiote, ni aveugle. Débarquer ensemble, très en retard et les cheveux encore mouillés... Plutôt clair, non ?

- Certes. Mais tant qu'ils ne nous surprennent pas...


Ah. Nous y étions enfin. À nouveau le règne de l'hypocrisie.

Ce qu'on ne voit pas n'existe pas. Refusé, nié, occulté, circulez.

Seules les apparences comptent. Même branlantes, mêmes bancales.

Ici, des nappes de gala recouvrent de misérables tables rafistolées.

Là, les beaux costumes des danseurs de parade sont reprisés au gros fil de pêche et tiennent grâce à des agrafes de bureau. Peu importe puisque, de loin, le résultat reste acceptable, voire produit son effet. Scintillant. Irréprochable. Clinquant.

Là-bas, des maris trompent leurs épouses sans vergogne ni préservatif. Mais tant que les voisins se taisent et que les infidèles reviennent au nid avec nourriture et argent, peu y trouvent à redire.


Moi, j'avais la permission de baiser plus que mon soûl avec Adrien. De le sucer jusqu'à plus soif. De me faire lécher jusqu'à plus faim. De le ligoter, l'étrangler, uriner sur lui dans la douche, jouir à en ameuter ma résidence. Ou la sienne si elle était déserte.

Tout les permissions, oui. Sauf celle de lui frôler le bras en public. Parce qu'alors, notre intimité ne pourrait plus être ignorée.

Que la famille au complet sache n'était pas la question.

La question était qu'elle ne voulait ni voir, ni entendre, ni en parler. Comme ce célèbre trio de singes qui s'obstrue en simultané les yeux, les oreilles et la bouche.

De surcroît j'étais blanche. Blanche et plus âgée qu'Adrien.

Impardonnables péchés originels.

 

Nous stoppâmes sur la route de la plage. Avec trois heures de retard, Adrien rendit la moto à son propriétaire.

- Une idée d'où se trouve le restaurant ?

- Oui, répondis-je. En bas à droite.

Je tus que je ne l'aimais pas. Que la nourriture y était mauvaise, le service calamiteux. Que le bord de mer regorgeait d'endroits plus agréables.

Le lieu était d'ailleurs presque vide, ce qui rendait la famille d'Adrien encore plus visible : une longue tablée de Pinoys et de métis. Certains à la carnation si pâle qu'on les aurait juré occidentaux.

Des enfants endormis ou vautrés sur la nappe. Certains arrimés à leur téléphone, d'autres obèses, ou les deux.

Des matrones à la mine épuisée ou revêche. Des hommes à l'air rigolard.

Tous, sans exception, avaient fini de manger.

 

Hypocrisie 4Adrien me présenta, d'une voix forte qui résonna jusqu'au bout de la table.

Quelques têtes se tournèrent rapidement vers moi. Quelques bras se levèrent en un vague salut.

Les convives semblaient contrariés. Peut-être de notre retard, probablement de ma présence.

Nul ne me sourit. Nul ne m'adressa un mot.

La réprobation, l'hostilité me semblaient palpable. Un mélange d'indifférence affectée et d'ennui affiché aussi épais qu'un mur de glace, assez solide pour décourager la moindre tentative de le fendiller.

À ce concours, les femmes étaient meilleures que les hommes. Eux, je le sentais, se seraient vite amollis.

Peut-être justement parce que j'étais blanche.


Le message aussi hurlé que parfaitement silencieux était limpide : la puti* n'avait rien à fiche là. Qu'elle dégage !

Je feignis de l'ignorer. Décidai à mon tour de jouer au singe aveugle, sourd et muet. Allai chercher une chaise qu'on ne me proposa pas et m'assis aux côtés d'Adrien.

Qui, lui, ne remarquait rien.

Enjoué il était, enjoué il restait. Agréable, aimable, ne négligeant aucune tante et causant avec chaque oncle.

Je bâillai.


Après un quart d'heure, la famille se leva comme une seule armée.

- Adrien, nous rentrons à l'hôtel.

- Déjà ? Mais pourquoi ?

- Les enfants sont crevés, nous aussi. Et n'oublie pas l'avion demain ! Envol à dix heures, ce qui signifie avant huit heures à l'enregistrement. Donc réveil à six heures, s'il te plaît.

J'étouffai un rire. Deux heures d'avance pour un vol domestique au départ d'un minuscule aéroport... Sûr qu'ils ne rateraient pas leur décollage.

Tant mieux.

Bye bye ! lançai-je à la cantonade debout.

"Et au plaisir de ne pas vous revoir...", complétai-je en secret.

J'aurais tout aussi bien pu le claironner. Mes adieux auraient été planqués sous le tapis. Sous le tapis comme ma personne trop blanche, embarrassante présence dont personne ne voulait.

 

 

* Puti : blanche en visayas.

 

Pin-up de Gil Elvgren.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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