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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Mercredi 24 décembre 3 24 /12 /Déc 02:08

Il me restait cinq jours de voyage. J'avais décidé de me rendre dans la capitale en avion. Pas le courage de prendre un bus sur des routes de montagne.
Sur le chemin de l'aéroport, accroupie à l'arrière d'un tuk-tuk, blottie contre mon gros sac, j'offris mon visage aux bourrasques du vent.
     J'avais froid. Dans ce pays le soir, j'avais toujours froid. Le soleil de l'après-midi était trompeur comme un homme trop tendre. À peine ses caresses s'étaient-elles évanouies que le frisson se changeait en chair de poule.
Aussi dormais-je repliée sous les couvertures, un oreiller contre la poitrine.

À l'aéroport, comme souvent, j'étais la seule étrangère. Du moins le croyais-je. Car alors que je patientais devant le comptoir d'enregistrement, j'en vis un autre. Beaucoup plus blond que moi, avec des yeux encore plus bleus.
Nous n'avions pas la gamme chromatique de l'endroit, mais celle de l'envers qui nous liait à l'Occident.
Nous nous sourîmes.
C'est drôle, les voyages. Dans son propre pays, l'idée de sourire à un autre, juste parce qu'il est blanc, ne vous viendrait jamais à l'esprit. Sur un autre continent, si. C'est même le contraire qui serait étonnant, tant l'autre bout de la planète nous lie par nos plus évidentes ressemblances.
Sortir de la même matrice vaut bien un salut.

Lentement la file des voyageurs avançait. Péniblement je poussais mon sac. Son poids d'âne mort sentait le périple qui se termine. De dix kilos, il avait dû enfler du double.
L'autre aussi avait un sac, forcément. Un qui disait que s'il était voyageur, il n'était pas routard.
Le mien était conçu pour être porté sur le dos, le sien à bout de bras. Or, personne ne taille la route avec un sac à brides.
J'avais certes vu, au cœur de contrées éloignées, des Occidentales patauger dans la boue en talons aiguille. Mais elles ne sont ni routardes, ni voyageuses. Juste étrangères, avec l'idée folle que leur chic résistera à la mousson qui fait pourrir les vêtements.
L'autre, je le sentais, n'avait pas cette naïveté-là.

Papillon 2Nos sourires se croisèrent une fois de plus.
- I'm afraid our flight is delayed, me prévint-il.
Aussitôt je reconnus l'accent français.
L'autre était encore plus proche de moi que je ne le supposais.
- Le vol est retardé ? Bah, je ne suis pas pressée, répondis-je.
Un nouveau sourire trancha son visage en deux.
Sans le dire, nous étions d'accord. Le voyage apprend le temps.
C'est drôle, les voyages. Une attente insupportable dans notre ville devient
à l'autre bout du monde anecdotique, source de rêverie et non d'impatience. Un bus qui ne démarre pas avant d'être rempli jusqu'à la dernière place, un train arrivant en gare avec une heure de retard ne sont point une affaire mais l'occasion d'ouvrir un livre, de grignoter un gâteau, de siroter un thé.
"Tu as l'heure, moi j'ai le temps."
Cette maxime, c'est l'autre qui me l'apprit alors que nos routes allaient se séparer.

Nos bagages enregistrés, nous bûmes un café à la buvette d'en face.
L'autre s'appelait Pierig. Ancien athlète, il exerçait un métier aussi exotique que ce continent.
- Ce métier, nous ne sommes que deux dans le monde à le faire, m'apprit-il sans fierté aucune. Un gars au Brésil et... moi.
Je lui souris en pensant que c'était drôle, les voyages.
Jamais dans ma vie citadine je n'aurais croisé Pierig. Peut-être parce que son métier veut des cours d'eau vive, ou qu'il est source et moi galet.
À celui qui s'ouvre le voyage est un brassage
. Je lui souris encore alors que des gouttes tombaient sur ma cendre.

Dans l'avion nous fûmes séparés. Je dormis, je crois, sans couverture ni oreiller.
Pierig et moi nous retrouvâmes après l'atterrissage. P
uisque nous allions dans la même direction, monter dans le même taxi allait de soi.
Le chauffeur nous débarqua par une nuit d'encre dans un centre-ville désert. Nous entrâmes dans le premier hôtel.
- There is just one room left. A double one.
Nous cherchâmes ailleurs pour mieux revenir. Tout était complet, archi complet.
C'est drôle, les voyages.
Après avoir été seule des semaines entières, je me retrouvai à partager la même chambre qu'un quasi inconnu. Sans arrière-pensée,
sans peur ni malaise, à la bonne franquette, parce que les dés en sont ainsi jetés, ici comme ailleurs, en Inde ou à Hong-Kong.
Le voyage apprend le partage de l'intime. Pour moi, celui du sommeil où, abandonné, on est le plus vulnérable.

Papillon 3La courtoisie voulait que Pierrig me laisse la salle de bains en premier. Il la respecta à la lettre, déballant ses affaires de l'autre côté de la mince cloison. Je pouvais être nue que cela n'avait aucune importance. Dans cette chambre nous n'étions pas un homme et une femme, mais deux voyageurs réunis par hasard.
- À gauche ou à droite, tu as une préférence pour le lit ?
- M'en fiche
, criai-je en m'essorant dans une serviette trop mince.
Rhabillée à la hâte, je me fourrai encore mouillée sous les draps. À gauche parce que j'y avais laissé mon sac.

- Bonne nuit.
- Bonne nuit.
Pierrig éteignit la lampe de chevet.
Étendue dans l'obscurité, je me mis à penser à cette situation étrange d'un homme et d'une femme dans un lit. À mes émois d'adolescente, où tout frôlement devenait signe et aveu.
Le souffle de Pierrig était tranquille, ses doigts effleurant les miens sûrement un hasard de plus.
Brusquement, j'eus envie de ces doigts sur mes hanches, mes épaules, ma nuque.
Je roulai contre Pierig, à peine. Son bras m'enlaça la taille si doucement qu'il aurait pu m'étreindre au seuil d'un rêve.
Nous fîmes l'amour cette nuit-là. Ce fut aussi doux que brouillon, lent et précipité qu'une ébauche de partition.
Nous nous accordâmes au matin.
Au matin je découvris ses tatouages. Un minuscule sur chaque flanc.
- Pour ne pas oublier.
Je hochai la tête en répétant :
- Oui, pour ne pas oublier.
Tout était dit.
Pierig et moi avions partagé le sommeil comme le refus de l'oubli. Dormir peut-être, mais ne pas s'endormir à cause d'une vie qui nous crève, refusant au néant d'avoir le dernier mot.

Le lendemain nous parlâmes face au fleuve, les yeux tour à tour rivés sur nous et ses remous. Nous savions qu'ils nous emporteraient loin l'un de l'autre, parce que bientôt je devrais reprendre l'avion.
Notre conversation,
parfaite bulle d'écume dont aujourd'hui encore je me souviens, fut bouleversante comme les ombres sur le Mékong.
Ne pas oublier, non. Surtout pas.


Le jour de mon départ, Pierig prit cette photo alors que je faisais mine de dormir encore.
Par la fenêtre aux rideaux mal tirés, un soleil de miel illuminait ma peau.
- Viens, dis-je.
Dans cette chambre que nous avions si peu quittée, nous fîmes l'amour une dernière fois.
"Tu as l'heure, moi j'ai le temps."

Un papillon éphémère tatoua mon épaule.
C'est drôle, les voyages et leurs marques indélébiles.


Wish you the best, my friend.
Take care and don't forget. I won't.
1re et dernière photos : Pierig ;
2e et 3e : Andre Kertesz et Erwin Blumenfeld. 
Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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