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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Eux

Lundi 13 janvier 1 13 /01 /Jan 16:58

L'épisode précédent ici.

 

Une belle journée 7Osera, osera pas ? J'hésite.

Je suppose Basile d'accord même s'il n'en souffle pas mot. Ses yeux révèlent son désir mieux que sa bouche, son lent rapprochement mieux que ses gestes.

Sans doute sa timidité le retient-il.

Sans doute suppose-t-il que, plus âgée, je prendrai l'initiative. Il ignore que femme, je suis habituée à ce que les hommes la prennent. Stupide répartitition des rôles, j'en conviens.

Passer ce qu'il reste de la nuit à bavarder me suffit, d'autant que nous n'avons pas de chambre.

Lucie dort dans la nôtre et Basile dans le dortoir. Je répugne à demander au réceptionniste si l'une est vacante. Aucune envie d'affronter sa mine entendue et hier, l'hôtel était complet.

Pas un instant je n'imagine sillonner la ville à la recherche d'un hôtel. Sans compter que si je m'y endors, je raterai mon avion.


Coup d'oeil à ma montre. Plus que trois heures avant mon branle-bas de combat. Dans ma tête le compte à rebours s'est déjà enclenché. Ce temps trop vite enfui me condamne à une trop brève intimité avec Basile. Et plus nous la différons, plus elle sera brève.

Est-ce ce que je souhaite ? Non.

Je souhaite n'être tenue par aucune limite, aucun horaire. Je souhaite savourer la présence de cet homme, m'allonger contre son flanc, le déshabiller sans hâte, l'embrasser avec gourmandise et retenue, voir entre ses bras l'aube poindre à l'horizon des gratte-ciel.

Oui, vivre cette nuit comme si demain le lent cérémonial de la chair allait recommencer. Hélas, le temps est un luxe que je n'ai plus.

D'un autre côté, qu'ai-je donc à perdre ? Rien. Une fois évanouie, cette nuit ne reviendra pas. Amenées à se séparer, ma route et celle de Basile ne se recroiseront sans doute jamais. Pourquoi, alors, ne pas jouir de ces moments sur le fil ?

De la tendresse partagée, c'est déjà un beau souvenir.

 

Une belle journée 9Basile s'appuie contre mes jambes.

- Tu as un portrait de toi avec les cheveux courts ? Je serais curieux de te voir avant...

- Oh, ma période "garçon manqué" est loin !

Par acquit de conscience je fouille mon portefeuille. En exhume la photo de ma mère, de vilains photomatons réservés aux visas, sourire proscrit et traits fermés, ma licence de guide de plongée, ma carte d'identité philippine barrée de la mention "touriste".

Cette photo-là est sûrement la pire. Le scan a tellement aplati mon crâne qu'on jurerait un batracien passé victime d'un rouleau compresseur.

Basile glousse.

Qualité chinoise, factory defect ! dis-je en lui reprenant la carte qui pèle.

Je ne lui demande pas en retour comment lui, il était avant. Il est si jeune que ma question n'aurait pas grand sens.


Alors que je balaye mes cheveux de mes épaules, Basile s'enquiert :

- Tu les attaches parfois ?

- Souvent, ils me gênent.

Il effleure mes orteils parés de fuchsia.

- Tu vernis aussi tes mains ?

- Rarement. C'est trop d'entretien pour la vie que je mène, surtout quand je plonge.

Ce drôle d'interrogatoire me déconcerte et m'amuse. Touche après touche, Basile semble chercher à saisir celle que je suis. Comme si un filet de petits riens pouvait emprisonner mon être. Comme si j'étais capable de résumer toutes les femmes. Comme si mes réponses avaient ce soir une quelconque importance.

- Et du maquillage, tu en mets ?

- Oui.

Je ne précise pas "chaque jour et sûrement de plus en plus". Je tais que le temps est cruel, surtout le matin dans la glace. Il est des évidences dont Basile a la vie pour se rendre compte.

- Ah, l'âge, quelle injustice ! dis-je. Tu ne connais pas le proverbe ? Un homme avec des rides est un homme mûr, séduisant, un aventurier qui a roulé sa bosse. Une femme avec des rides, c'est tout simplement une femme... ridée.

Mon compagnon se récrie. Les rides sont charmantes, touchantes, adorables, surtout aux coins des paupières ! Je ris de bon coeur. À ce compte-là, autant travailler mes pattes d'oie.

 

Une belle journée 8- Tu veux te reposer ? Je comprendrai, pas de souci.

Nouveau regard à ma montre. Haussement d'épaules.

- Je ne crois pas. Il est déjà si tard que dormir serait pire...

Je ne demande pas à Basile si lui veut rejoindre son lit. Je crois qu'il me le dirait sans façon, avec ce naturel, cette douceur et cette bienveillance qui ne le quittent jamais.

- Installons-nous au salon, d'accord ? J'ai juste besoin de m'étendre.

Sitôt dit, sitôt fait. Dans la pénombre l'immense canapé accueille nos têtes renversées contre son dossier, nos bras et nos jambes mêlés.


Tapotant le menton de Basile, je le plaisante sur sa barbe.

Compte-t-il l'avoir jusqu'aux genoux ?

Est-elle douce, rêche ou fleurie ?

Sait-il que l'avènement des barbus-poilus le transforme en icône de mode ?

Il s'esclaffe à mi-voix. Son style ne doit rien aux dernières tendances dont il se fiche, mais tout à la perte de son rasoir favori.

Un silence léger tombe entre nous.

- Je peux t'embrasser ? chuchote Basile.

- Bien sûr...

Ses lèvres s'emparent de ma bouche. Lorsqu'elles la quittent, je murmure dans un sourire "Votre barbe est rugueuse, mon cher...". Alors que son front se niche dans mon cou, que ses ongles serpentent sur mes reins et que ses genoux écartent mes cuisses, il se désolera :

- Pourquoi ne t'ai-je pas embrassée avant ?

Et moi je penserai qu'il n'a rien à se reprocher, car c'est de ma faute.

Mais pour le moment, je pense surtout que notre point de chute n'a rien d'un refuge. Contigu au dortoir, le salon télé nous interdit de manifester le moindre plaisir. Ouvert aux quatre vents, il nous offre aux regards du premier venu. Pas question de nous dévêtir sur ce canapé même s'il a dû supporter d'autres étreintes, et des plus salées. Ses coussins moelleux sont un appel aux câlins, sa taille imposante à l'adultère.

Basile et moi y tenons sans peine côte à côte, en quinconce ou en cuillères.

 

Une belle journée 10bisContre mon ventre, la boule dure de sa verge. Un bouton, deux boutons, la chemise rouge s'ouvre et le torse de mon amant apparaît, lisse et musclé. J'embrasse ses tétons en retenant ma main de filer sous sa ceinture.

Ce n'est pas la pudeur qui me retient.

À cette minute je me moque d'être surprise à demi-nue. C'est le spectacle de notre tendresse que je veux protéger.

Cette tendresse qui, entre deux frissons de fatigue, palpite sous mes côtes.

Cette tendresse qui guide ma paume sur les flancs de Basile et la pose sur son coeur chaviré. Qui, attentive à son souffle, à ses plaintes, à ses soupirs, me submerge de mots que je tais.

Arc-boutés sur notre couche, nous tourbillonnons immobiles.


- Mais pourquoi ne t'ai-je pas embrassée avant ? répète Basile.

Ses doigts écartent ma culotte, titillent mon clitoris, se faufilent dans ma fente.

Je ferme paupières, poings, cuisses pour les retenir au fond de moi. Leur délicieux va-et-vient m'arrache un cri bloqué entre mes dents. C'est bon, si bon que je brûle de hurler dans le salon désert, de réveiller tous les dormeurs de tous les étages, de supplier mon amant de ne pas s'arrêter, pas encore.

À peine abandonnée, j'amorce un geste de repli.

Étonné, Basile résiste. Pas question que je lui échappe si vite.

Je le rassure d'un sourire. Mon intention n'est pas de fuir mais de dégrafer sa ceinture.

Son sexe remplit ma paume jusqu'au poignet. Sur son gland, l'humidité de son désir. Je veux la goûter, la laper, m'en emplir la gorge.

Pouce à pouce je descends le long de sa poitrine, de son ventre, de son entrejambe.

Sa bite gorgée de sève passe la frontière de mes lèvres. Je l'accueille et la polis, la lèche et l'astique en caressant ses couilles de ma main libre.

Enfouit ses doigts dans ma chevelure, mon amant se mord les lèvres.

Soudain je m'interromps, saisie entre le fou rire et l'horreur.

- Merde !

- Quoi ? questionne Basile égaré.

Je lui montre le plafond. Vissée à l'angle et reliée à un câble serti dans le mur, une boîte métallique.

- J'ai oublié... La caméra de surveillance ! Il y en a partout, cet hôtel est un vrai coffre-fort !

- Euh... Tu crois qu'elle est pointée sur nous ?

Mon amant désigne les casiers des résidents. Fermés à clé, ils contiennent tous leurs objets de valeur.

- Ce sont plutôt eux qu'il faudrait protéger !

- En effet, mais va savoir...

 

Une belle journée 11Basile et moi scrutons la caméra. En retour son oeil semble nous dévisager, menaçant.

Fonctionne-t-elle ? Sûrement.

Peut-elle saisir la pièce sous différents angles ? Probablement.

Diffuse-t-elle les images en temps réel ? Sans doute.

Est-elle à la fois le témoin et le mouchard de nos ébats ? Plausible.

Au rez-de-chaussée, peut-être le réceptionniste s'est-il assoupi. Peut-être pas.

Face à l'écran de contrôle, il ne peut qu'avoir compris de quoi il retourne.

Et s'il montait pour nous chasser du salon ? Et s'il était déjà en route ?

Nous tendons l'oreille.

Pas un bruit.

- On devrait changer de pièce, non ?

- Attends, j'ai une solution...

Déployant mon écharpe rose tel un étendard, j'en recouvre nos corps imbriqués. Nos préliminaires se prolongeront sous ce fragile abri.

Bien que parfois un coude, un téton ou un sein en dépasseront, morale, apparences et bienséances resteront sauves, à peine écornées par les franges du tissu.

 

Mon sac de voyage sur le dos, la mine radieuse et chiffonnée de baisers, je salue le réceptionniste. Il me retourne mon bonjour. Je guette dans ses pupilles une étincelle de désapprobation ou de complicité. N'y trouve que le vide, ce qui ne signifie pas grand-chose. Aussi sombres que mystérieux, les yeux des Asiatiques sont une énigme difficile à percer. Si celui-ci est au courant de mes ébats, il compte bien les garder secrets. 

Je me persuade qu'il n'en a rien su, rien vu, rien soupçonné. Le doute me vient lorsqu'avant de quitter l'hôtel, je dois retourner dans ma chambre.

Me voyant remonter au galop, le réceptionniste m'interroge :

- Vous y aviez laissé quelque chose ?

- Oui.

- Votre coeur, peut-être ?

Je n'ai rien dit. J'ai juste souri à l'asiatique.

Demain sera une belle journée pour les sagittaires, Basile.

 

 

2e illustration d'Enki Bilal, dernière photo de William Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Dimanche 12 janvier 7 12 /01 /Jan 17:31

Le début ici.

 

Une belle journée 4 Après avoir déambulé dans les rues, Basile et moi mangeons au marché. C'est un bonheur de le voir ouvrir des yeux immenses, s'imprégner des odeurs, humer les parfums, écouter des phrases dont il ne saisit pas un mot, boire son thé chinois avec la même soif que les saynètes du quotidien.

Des stands montés sur roulettes aux nouilles sautées au wok, tout est neuf pour lui. Sa joie, sa curiosité, ses questions me propulsent à l'époque où je voulais si intensément tailler la route.

L'Asie m'était alors aussi mystérieuse qu'étrangère.

L'enthousiasme de mon compagnon me rappelle mon premier périple, l'émerveillement de chaque journée, l'incompréhension parfois.

Son attitude aussi me plaît : il observe sans juger, sourit sans critiquer, ne hurle pas à la vue des rats en goguette sous les étals. Loin de se sauver, il dégustera ce premier repas jusqu'à la dernière bouchée.


La suite de notre promenade nous mène dans un temple hindou. Par chance une cérémonie va commencer. Assis côte à côte sur le carrelage froid, nous nous laissons bercer par les litanies des prêtres.

Basile se passionne pour les instruments des officiants. Leur bois est magnifique, leur son inattendu. De quoi réveiller son amour pour la musique.

Entre deux prières, deux accords, je l'observe à la dérobée. Aux anges, son âme semble se peindre sur son visage. Pure, entière, d'une bouleversante beauté, d'une félicité si complète qu'elle m'éclabousse.

Interceptant mon regard, Basile me sourit. Je lui souris en retour. Partage silencieux d'un moment rare. Si je n'étais déjà à genoux, je m'y jetterais pour remercier le hasard, la chance ou le "grand horloger" de m'avoir fait rencontrer cet homme et vivre cet instant.

 

Au sortir du temple nous nous séparons. Mon compagnon veut faire quelques courses et moi me reposer. J'achète en passant une glace à la vanille et des putu bambu, une spécialité à la noix de coco que je m'étais promis de goûter. Elle se mariera à la perfection avec l'âpre café de l'hôtel.

À peine ai-je entamé mon quatre-heures que Basile reparaît.

- On partage ? dis-je en lui désignant mon assiette.

Et nous partageons, mais bien davantage que des gâteaux. Au fil des heures dans le salon, sur la terrasse en nid d'aigle, dans un boui-boui ouvert 24 heures sur 24, nous échangeons des bouts de nos vies, des anecdotes et de longues histoires, des cigarettes et un curry, des opinions et des confidences, des émotions et des fous rires.

 

Une belle journée 6

Je propose à Basile quelques infos pour simplifier la suite de son voyage. Des adresses de guesthouses, le nom d'un Canadien qui accueille des woofers* en Thaïlande, mes coordonnées complètes.

Il me tend un carnet chiffonné.

- Note tout ici, s'il te plaît. Je ne sais pas me servir de ma tablette.

Je glousse et pour l'amuser sors mon téléphone, un modèle antédiluvien juste bon à recevoir des textos.

- Ah ah ! Toi aussi, tu préfères l'incassable au moderne ? Mes amis désespèrent, je dois être le seul de ma génération à ne pas avoir de compte Facebook...

- ... Et tu as bien raison !

Alors que je lui rends son carnet rempli, il s'esclaffe :

- Waouh, en une soirée j'ai obtenu ton mail et ton téléphone ! Je m'épate ! Un exploit pour un gars infichu de draguer...

À mon tour de rire en lui taisant que draguer, il n'en a pas besoin. Sa spontanéité et son manque d'assurance le rendent charmant, si attirant que peu de filles doivent y rester insensibles.

Qu'elles le montrent est en revanche une autre histoire.


Plus tard, Basile manque de s'étouffer de rire en apprenant que jadis, j'ai rédigé des horoscopes.

- Mais comment faisais-tu ?

- Au hasard, selon l'humeur. Mes prédictions valent bien celles de pseudo-voyantes, non ?

- Alors dites-moi, Madame l'astrologue... Comment s'annonce demain pour les sagittaires ?

- Mmmh, laisse-moi réfléchir.

Je fixe Basile d'un air pénétré, étrécis les paupières et affirme d'un air docte, index levé :

- Demain ? Une belle journée pour les sagittaires, à n'en pas douter ! 

Mes derniers mots se noient dans nos hoquets. 

 

Une belle journée 5

Ma différence d'âge avec Basile a beau être importante, elle se sent à peine. Il est vif, drôle, sensé, bien plus mûr que sa petite vingtaine.

Ses voyages en Amérique du Sud, ses amours et son expatriation aux antipodes d'une famille solide et aimante lui ont trempé le caractère.

Il a l'esprit alerte de ceux qui ne se satisfont pas d'à peu près, une intelligence aiguë qui ne craint ni la solitude ni la contradiction, une tolérance qui lui interdit d'affirmer posséder la vérité, le courage de questionner ses choix et de se remettre en cause.

Son visage lisse abrite la maturité d'un homme presque fait et la promesse d'un homme en devenir.

Si je me réjouis de l'avoir croisé, je me désole de devoir déjà le quitter.

Je ne veux pas aller me coucher.

Je ne veux pas que notre tête-à-tête s'achève.

Je veux repousser les frontières de la nuit et ne pas partir au matin.

 

 

Au fond du couloir Lucia dort depuis longtemps. Livrée au sommeil de ses résidents, la guesthouse est déserte. Seul le réceptionniste doit être, en bas, fidèle à son poste.

J'ignore la migraine qui pulse à mes tempes, la fatigue qui me vrille l'échine, les kilos de plomb qui me cisaillent les jambes.

Je sais que j'ai besoin d'aspirine et de repos, que mon sac n'est pas encore bouclé et que mes affaires traînent dans la chambre.

Je sais qu'après une nuit blanche, un jour entier de voyage est une véritable épreuve. Entre le train, le bus, l'aéroport, l'attente, l'avion et le taxi mon corps ploiera sous les courbatures et pour un peu, j'en pleurerais d'épuisement.

Je sais tout ça et je m'en fiche.

Presque.

Juchée sur le muret pile à l'endroit où Basile se tenait ce midi, je l'ai à présent face à moi. J'ai le pétillement dans ses iris, ses mots qui touchent juste, sa bouche fendue sur ses merveilleux sourires, ses mains qui parfois m'effleurent et ses cheveux que je n'ose peigner de mes doigts.

Et si soudain, j'osais ?

 

À suivre.

 

 

*Woofer : combinaison de "work" , travail, et de "roof", toit. Les woofers travaillent en échange de l'hébergement et de la nourriture, par exemple dans des fermes. Ce sont souvent des jeunes qui souhaitent vivre dans un pays à moindre coût. Certains ont une formation spécifique, d'autres non.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Samedi 11 janvier 6 11 /01 /Jan 13:06

Au détour d'un voyage en Malaisie, le souvenir d'un homme. Le voici.

 

Une belle journéeCafé matinal dans le salon de la guesthouse. Je le vois à une table voisine, boule hirsute de cheveux sur une chemise rouge ouverte. Il a corps tout en méandres, la nonchalante décontraction des hippies et une barbe en broussaille.

Sous les poils son visage semble beau, une icône finement ciselée. Jeune aussi, en tout cas bien plus que moi.

Je pense que le monde est rempli d'hommes désirables. Que jamais je ne connaîtrai celui-là ni ne sentirai ses mains sur ma peau. Que cela n'a guère d'importance, malgré le pincement qui, entre mes côtes, voudrait m'affirmer le contraire.


J'imagine me lever pour parler à cet inconnu.

J'imagine qu'il m'invite à m'asseoir.

J'imagine nos paroles et nos regards.

J'imagine lui plaire contre toute attente car je ne me plais vraiment pas en ce moment.

J'imagine une rencontre, un échange, un partage. Contre toute attente encore puisque le lendemain, je m'en vais.

Soudain la tristesse s'invite. Fichu tempérament qui sur des riens flirte avec la mélancolie. Stop. Je décide qu'aujourd'hui n'est pas un jour à nostalgie, pas un jour à regretter des occasions qui n'en sont pas, pas un jour à déplorer le temps qui s'enfuit.

Aujourd'hui sera un jour embelli par le sourire de ce voyageur à son café.


À midi je ferme l'ordinateur et grimpe dans les entrailles de l'hôtel. Dernier étage avec terrasse en nid d'aigle, grand salon télé jouxtant le dortoir suivi des chambres en enfilade. À droite, celle que je partage avec Lucia, une compagne de route.

Avant même de poser le pied sur la terrasse je distingue la chemise rouge.

Son propriétaire est assis à califourchon sur le mur du balcon. Sous lui des étages de vide et un trottoir à vous pulvériser les os. Tourné vers les gratte-ciel, il ne voit pas mon regard interrogateur et moi, je ne vois pas son visage.

Je passe sans mot dire, direction la salle de bains.

En sortant de la douche je surveille l'autre côté du couloir. L'inconnu est toujours là, perché immobile sur l'angle de son muret. À croire qu'il n'a pas bougé d'un cil.

Je regagne la chambre tracassée.

 

Une belle journée 2bis

- Tu as vu ce gars dehors ? m'interroge Lucia. Ca fait une heure qu'il est là... Bizarre, non ?

- Pas très rassurant, en effet.

- Il ne va pas sauter, quand même !?

J'esquisse un geste d'ignorance. Comment deviner ce qui se passe dans la tête des gens, surtout des parfaits étrangers ?

En une seconde ma décision est prise.

- Tu sais quoi, Lucia ? Je vais lui demander.

- Tu as raison. Moi, je n'oserais pas !

Oser ou pas, voilà un dilemme étrangement posé. Et si jamais cet homme se jetait dans le vide ? Je me sentirais trop mal, coupable de n'avoir rien tenté pour l'en empêcher. Ce serait presque être responsable, presque avoir sa mort sur la conscience.


Je sors de la chambre. Mes soupçons se trouvent confirmés d'un seul regard : l'inconnu n'a pas quitté son poste d'observation. Je remonte le couloir au pas de charge, débouche à l'extérieur, me campe dans son dos.

- Excuse me, please...

Il n'esquisse pas un geste. Peut-être ne m'a-t-il pas entendue.

Je répète plus fort :

- Excuse me !

Ses épaules frissonnent.

- Please !

Il se retourne enfin.

- Are you OK ?

Une once de perplexité ride son visage. Il cligne des paupières, très vite, comme dérangé en pleine rêverie. 

Sorry to disturb you. You haven't moved since a while... Are you OK ?

Une étincelle allume ses iris et soudain un sourire immense, candide, solaire, fend ses lèvres jusqu'aux pommettes. La main qui tient sa cigarette dessine de rapides volutes sur le ciel.

- Oh yes, I'm fine ! Thanks ! Don't worry !

Son visage irradie une joie si pure, si entière, si intense que pas un instant je ne doute de ses paroles. 

- Good ! I'm relieved now...

Petit moment de flottement. Pour un peu je me sentirais bête. Mais non, me dis-je, tu as fait ce qu'il fallait. Cet étranger trop haut perché aurait pu être au bout du rouleau.

La conscience nette, il ne me reste plus qu'à lui souhaiter une belle journée.

- You too ! me répond-il dans un merveilleux sourire.

Et tandis que je m'éclipse, son regard enveloppe mon dos d'une lente caresse.

 

Une belle journée 3Dix minutes plus tard me voici à nouveau sur la terrasse. À peine mon guetteur m'a-t-il aperçue qu'il saute à terre. Mouvement félin de l'échine et des bras, corps plié puis tendu à l'aplomb des buildings.

Plantée toute raide, j'admire sa grâce de gymnaste.

Il s'avance vers moi en souriant de la bouche et des iris. Lorsqu'il parvient à ma hauteur, sa taille me surprend. Il est grand, très, deux mètres au jugé.

À côté de ce géant je me sens minuscule, impression jadis familière mais peu à peu perdue au fil de ma vie asiatique.

Ici les hommes sont trop petits.


- I'm Basile, nice to meet you ! me lance l'inconnu en me présentant sa main.

Déconcertée par ce salut formel, je regarde sa paume. La trouve elle aussi immense avec ses longs doigts. La serre enfin en m'étonnant de sa rudesse.

- Where are you from ?

- France. And you ?

- France.

Ai-je bien entendu ? Nulle trace d'accent dans sa voix, juste des inflexions australiennes. Comme en écho à ma question muette, Basile me parle dans notre langue :

- Tu as vraiment cru que j'allais me suicider ?

- C'était une possibilité, oui.

Basile rit. Me félicite d'avoir voulu le sauver. Me dit qu'il adore se percher sur le bord des toits pour contempler le monde d'en haut. D'autant aujourd'hui, il a beaucoup à contempler : c'est sa toute première journée en Asie, un vrai baptême du feu.

Il arrive d'Australie où il a vécu ces dernières années. Parti de France menuisier, il a voyagé, exercé son métier, cumulé les petits boulots, travaillé dans une ferme de bananes et sur un bateau de pêche. Ses économies achètent à présent ses rêves et sa liberté : sept à huit mois à aller où bon lui semble, à explorer le monde, à se nourrir d'horizons neufs et de rencontres.

- Un beau programme... dis-je. Et ce midi, tu fais quoi ?

- Aucune idée !

D'idée, j'en avais une. J'ai invité Basile à manger. Il a accepté sans hésiter.

 

 

À suivre.

 

Toile de Léonor Fini ; photos dElijah Gowins et d'Elliott Erwitt.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Samedi 1 juin 6 01 /06 /Juin 15:38

Notre nuit ici.

 

Trinidad 9bisMa peau se souvient de nos folies. Rapée le long de ma colonne, elle est rouge écorchée là où les noeuds l'ont frottée.

Mes muscles sont vrillés, ma gorge râpeuse, ma chatte endolorie, mes lèvres gonflées.

Entre elles Stefan s'enfonce doucement. Je l'accueille dans un souffle, jouissant de la douleur infligée par son membre et du plaisir de son corps lourd.

Ses doigts cherchent les miens, les étreignent à les briser.

- Longtemps j'aurai cette image... chuchote-t-il.

L'image de mon impuissance ligotée en équilibre sur le bord du matelas. De mes yeux qui l'implorent et le provoquent. De ses bras qui me repoussent dans une bascule tendue et prisonnière.

Gifle ou pichenette, si Stefan calcule mal son geste, je tombe à la renverse. Mais toujours il me rattrape avant que je ne sombre, avant même que je ne puisse m'inquiéter de sombrer.

Il a ma confiance. Il le sait. 

 

- Longtemps j'aurai cette image...

L'image de ses bras-balanciers qui m'attirent à lui. Mon buste qui chavire sur le drap, ma tête qui plonge entre ses cuisses, ma bouche qui se referme sur son centre palpitant. Mêlés à ma chevelure, ses poings m'impriment vitesse et mouvement. Emportée par leur force je ne suis qu'une poupée sans défense, une que Stefan enfonce d'un bloc jusqu'à sa garde pour mieux la rejeter.

Étranglée, libre, étranglée.

Des ruisseaux de bave roulent sur ma langue, mon menton, mon cou, mes seins.

- Longtemps j'aurai cette image...

Moi aussi, longtemps j'aurai l'image de ses yeux exigeants, de son impitoyable douceur, de ses cuisses constellées de marques bleuâtres.

Mon amant a l'épiderme trop fragile. Je l'ai trop mordu.

Après son départ je me recouche pour plonger dans l'hébétude.

Ce soir sans nous concerter nous avons rendez-vous. Et il en sera ainsi, chaque soir, jusqu'à ce que je quitte Bangkok.


Trinidad 10Au dîner Stefan m'avoue qu'en dépit de la fatigue, un sourire béat l'a accompagné toute la journée.

Entre lui et son travail, indécents et précis, des flashes venaient s'immiscer. Des visions de mes tétons violacés, de mes jambes écartelées, de son membre fiché au fond de ma gorge, des ravines creusées dans mon ventre par les liens.

La mine soudain gouailleuse, il avoue :

- Ce midi j'ai croisé notre voisine... Une Américaine.

- Ah. Et alors ?

- Alors ? Elle m'a dit bonjour !

Je hausse les sourcils.

- Depuis que j'habite ici, elle ne m'a pas salué une seule fois. Pas une seule ! Et son bonjour, il était bizarre... avec un drôle de rictus en coin, un peu gêné, un peu égrillard, et les yeux qui pétillent. Jamais elle ne m'a regardé comme ça. D'habitude, elle ne me regarde même pas.

- Mmmh.

Je soupèse les risques, évalue les possibilités.

D'un côté un plein milieu de nuit, la résidence éteinte et tous ses locataires a priori endormis.

De l'autre, mon studio éclairé et nos silhouettes qui passent et repassent, impudiques, devant la large baie vitrée.

Mieux qu'un théâtre d'ombres, un théâtre de chair rehaussé du rouge, vert, bleu des cordes et du piquant des baguettes chinoises.

Stefan insiste :

- C'était un bonjour inhabituel, crois-moi. Un bonjour qui sait pour la nuit dernière.

- Oh ! Et où loge-t-elle, cette femme ?

La réponse, je la connais déjà : dans le bâtiment d'en face.

En écho Stefan dit :

- Dans le bâtiment d'en face.

Des images censurées de cordes, noeuds, levrette, coups de rein, claques et supplices défilent sous mon crâne. Puis, par-dessus ce chaos de cul, de mouille et de foutre, une cocasse qui s'impose : le godemiché dont les vibrations meurent en moi et que Stefan, agacé, lance à travers la pièce.

- Putain de fabrication chinoise !

Un rouge rétrospectif me monte aux joues.

Puis l'intuition, fulgurante :

- Elle t'en reparlera.

- Euh... Tu crois ?

- Ma main à couper ! Et tu sais pourquoi ?

- ...

- Parce qu'elle rêve maintenant d'être à ma place !

 

Trinidad 11Nous rions aux éclats. Plaisantons des Américains, de leur pruderie et de leur façade de respectabilité. Des mots qu'il faut éviter de prononcer devant eux, des attitudes à ne pas afficher, de leurs Shocking ! dès que ça déborde.

Régle générale qui néglige les cas particuliers, bien sûr.

Nous tombons vite d'accord : parler de sexe, ça embarrasse les Américains.

Alors, de là en réclamer...

Fort de ses certitudes, Stefan me soutient bec et ongles que je me trompe :

- Vouloir être à ta place ? Impossible, cette femme est mariée !

Voilà bien une raison stupide !

J'ajoute que venue d'un mauvais garçon comme lui, l'explication ne manque pas de sel.

Le mariage, un rempart contre l'infidélité...

Mon amant shibariste est-il si naïf ?

Ou foncièrement idéaliste ?

Et depuis quand respecte-t-il les conventions ?

Je me moque :

- Toi qui baises les femmes ligotées, sûr que tu es un modèle de morale !

Stefan s'étrangle de rire, vaincu par KO comme mon corps l'est aujourd'hui.

Être attaché, il ne le suppportera pas.

Être fessé, contraint, pénétré, non plus.

Et notre témoin indiscret, alors ? Ce calme plat risque de l'ennuyer.

J'attrape Stefan par le col et le traîne jusqu'à la baie vitrée.

- Déshabille-toi !

- What ? Are you kidding ?

- Déshabille-toi, j'ai dit !

T-shirt, short et caleçon tombent mollement sur le plancher.

- Allez, du nerf !

J'agrippe mon amant, le ploie, lui claque la croupe. Une corde puis deux, et le voilà grossièrement ficelé, tout entier à ma merci à l'exception du bras droit.

Celui-là, il va servir.

- Maintenant tu dis bonjour à la voisine !

- No, no way !

- Comment ça, no way ? Allez, malpoli, dis bonjour !

Et Stefan, docile, d'agiter le bras en direction de l'immeuble d'en face.

 

Trinidad 12Le lendemain il me dira :

- J'ai recroisé notre voisine...

- Et ?

- Elle ne m'a pas parlé d'hier, juste de notre nuit. "Tu t'es bien amusé ?", m'a-t-elle glissé dans un autre sourire équivoque. Moi, j'ai fait celui qui ne comprenait pas. Amusé de quoi, Madame ?

Je glousse. La parade de Stefan est la bonne : rien de pire que d'avoir à s'expliquer sur ses allusions.

- Bon, on s'en doutait, c'est à présent confirmé : elle a tout vu... Et à sa mine, elle voulait me demander un truc...

Le picotement du rire me chatouille l'échine.

La mine innocente je demande :

- Un truc comme ?

- Comme, euh... D'accord, tu as gagné. C'est toi qui avais raison.

J'ai souri comme d'une petite victoire.

Petite car au fond si prévisible.

 

 

1re photo de Gilles Berquet ; dernière d'Eliane Escoffier.

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Vendredi 24 mai 5 24 /05 /Mai 17:35

L'épisode précédent ici.

 

Trinidad 6Le quartier routard de Kao San regorge d'hôtels bon marché, de bouis-bouis, de bars branchés et de vendeurs de tout : bijoux, vêtements, sacs, chaussures, souvenirs...

Sur Rambuttri Road se tient un magasin improbable, une épicerie-drugstore-papeterie-grossiste, îlot de résistance incongru entre deux 7-11. Difficile de le remarquer en passant. Mais une fois qu'on l'a remarqué, on ne voit plus que lui.

C'est là que j'emmène Stefan.

Cui cui cui !

Le chant de l'oiseau carillon donne le ton.

Bâtie en longueur, l'échoppe est aussi délabrée que ses tenanciers. Se relaient à la caisse lui, le Papy décharné en marcel et short crasseux, et elle, la Mamie obèse en chemise trouée.

Poussiéreux, les rayons croulent sous la marchandise bon marché entassée dans le plus joyeux désordre. Les brosses à dents voisinent les enveloppes, les enveloppes les bougies, les bougies les tournevis.

En fouillant, on exhume aussi des briquets, des tapis de sol, des élastiques, des ampoules, des panières... Impossible d'y dénicher son bonheur sans demander de l'aide aux propriétaires, qui parlent tout juste deux mots d'anglais. Souvent il faut mimer ce qu'on veut, sans garantie d'être compris.

Faire ses courses ici est une expérience en soi, et notre seule chance un dimanche à 20 heures.

Sinon, où pourrions nous acheter des cordes ?


Les cordes du magasin nous arrachent cependant une moue de dépit. Grossièrement teintes en rouge vif, vert pisseux, bleu chantier ou jaune canari, elles s'avèrent trop minces, et surtout en plastique.

D'un qui ne se plie guère.

D'un qui doit érafler la peau et la brûler en filant entre les noeuds.

- You have different ?

Anglais minimum pour choix minimaliste : des rubans en raphia ou des spaghettis en caoutchouc.

Va pour le plastique, alors.

Stefan vérifie le métrage et choisit les couleurs. Rouge, vert, bleu, deux de chaque, une vingtaine de mètres au total.

Il tente un noeud, une attache, un autre noeud. Je l'observe avec intérêt. Clair qu'il n'en est pas à son coup d'essai. Clair que ce savoir-faire m'enchante. Les adeptes du shibari ne sont pas si nombreux... Ma chance est d'en avoir rencontré un.

Par hasard, même.

 

Trinidad 7 Par hasard, vraiment ? Je m'interroge.

Aurais-je, à mon insu, un radar qui me pousse vers eux ?

Ou une aura sexuelle qui les attire à moi ?

Ou ceux qui se ressemblent finissent-ils toujours par s'assembler ?

- What else do we need ?

Mmmh. Je réfléchis.

Un godemiché ?

Oui, mais la boutique a ses limites.

Du lubrifiant ?

Pourquoi pas, mais pas ici non plus.

Des pinces à linge ?

Non. Trop douloureux sur les tétons.

Stefan s'empare d'un paquet de baguettes chinoises. Parfait, j'ai du fil chez moi.

How much, please ?

Papy encaisse la monnaie, Mamie enfourne nos emplettes dans un sac.

Nous pouffons en complices. Au grand jamais le couple ne se doutera de notre nuit.

 

Retour à Sukhumvit.

Au pied du métro Nana, le marché de nuit propose ses DVD pirates, ses cigarettes électroniques, ses pompes pour agrandir le pénis, ses pilules miracle contre l'impuissance et la frigidité.

Superflu dans notre cas. L'aube dernière nous l'a prouvé : le corps de Stefan et le mien s'emboîtent à la perfection. Ses paumes ont l'exacte taille de mes seins, sa langue celle de ma chatte, son sexe celle de mon fourreau.

Coulé en moi, mon amant est à ma délicieuse mesure. Démesure, aussi. XL comme ces préservatifs que nous cherchons dans tous les 7-11, écumant les présentoirs, retournant les boîtes et déchiffrant les étiquettes à l'affût des plus larges dimensions.

Vite une conclusion s'impose : XL n'est souvent qu'un argument de vente, une taille standard habillée d'une exagération et d'une flatterie. Nous voilà bien en Asie, continent où les vérités sont rarement bonnes à dire...

Notre sésame en poche, nous ressortons sur le boulevard.

Des godemichés alignés tels les Dalton sur un étal nous arrêtent. Du même brun que la verge de Stefan, le plus imposant m'attire. Mais une fois niché dans ma paume, la déception.

Mou, trop mou, ce jouet a l'érection en tour de Pise.

Le vendeur blasé retire les piles pour les introduire dans son voisin. Rose vif, sa tige dévoile les entrailles de sa batterie.

Bingo, celui-ci vibre droit sans le crin-crin d'une moulinette.

Une bouteille de vin, du chocolat, un baiser et nous voilà dans mon studio, bouclés à triple tour. 


Trinidad 8bisRouges zébrures cisaillant ma poitrine, pourpres éraflures dupliquant mon échine, balafres carmin entaillant ma croupe, les cordes sont serrées.

Leur grisante géométrie m'épouse, leurs noeuds pointus labourent mon dos, leur diamètre pénètre mes grandes lèvres alors que Stefan s'engouffre en moi.

À l'aplomb de son torse, les baguettes ceignent mes tétons. Supplice chinois brun violet, couleur étranglement, lancinante cisaille qui n'est rien, je le sais, comparée à ce qui viendra.

Lorsque Stefan tranchera les fils qui retiennent le bois.

Lorsqu'il le décollera de ma sueur.

Lorsque le sang affluera en force pour irriguer mes pointes. Pointes de chair parcourues de pointes de soufre aiguës comme des allumettes.

Mon ventre se révolte, ma gorge se rétracte. La verge de Stefan en jaillit dans un chapelet de bave.

Il me dit que je suis belle. Belle quand il baise ma bouche, plus belle encore quand il la viole. Je ne peux rien répondre. Il m'a déjà remplie.

Une gordée de vin roule de sa langue à mon palais. Je ne m'y attendais pas. Je tousse. Je m'étouffe.

Stefan s'excuse. Stefan rit.

Mes escarpins se collent à ses flancs.

Soudain mes jambes se déplient pour les déchirer. Mon amant gémit, lâche un mot comme un juron.

- Salope...

Je le défie du regard. Il me sourit, caresse ma gorge et me gifle.

Une gifle sèche qui rebondit sur ma joue.

Une gifle qui me fait hoqueter de surprise.

Je vais lui dire qu'il n'a pas le droit. Je vais lui dire et je me tais. Le seul mot que ma bouche peut former n'est pas non mais encore. Encore de sa force sur mon visage, entre mes jambes et dans mon cul.

Le long de mon échine les noeuds se resserrent encore.

Contre mon sang bat un autre pouls. Un qui m'écrase, me ploie et me fend.

C'est si bon d'être prisonnière.


Après l'amour, une cigarette sur le balcon. Stefan est nu, moi toujours en escarpins, cordes et baguettes.

Peu importe. À quatre heures du matin la résidence est déserte, l'immeuble d'en face éteint.

Personne ne nous regarde. Personne ne nous a vus.

Enfin... C'est ce que nous croyions.

 

 

Photos : 1re, Lew Rubens ; 2e, Frank Horvat.

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Jeudi 23 mai 4 23 /05 /Mai 15:34

Le début ici.

 

Trinidad 3bisDe l'autre côté de la vitre, un Yankee égosille un air de jazz. La terrasse du club de ce quartier chic est bondée. Trop de bruit, de fatigue et de chaleur... Mes tempes se resserrent en étau. Dans ma mâchoire la pression monte encore d'un cran.

Mon crâne va exploser.

Je grimace.

Stefan ne remarque pas ma lassitude. Sans relâche il parle et s'écoute parler. De ses affaires. De son business florissant entre l'Europe et l'Asie. D'économie mondiale. De sujets sérieux dont, à cette minute, je me contrefous, d'autant que son accent mêlé au brouhaha ambiant me le rend difficile à comprendre.

Je lâche prise. Je grimace. Je m'ennuie.

Je brûle de rentrer seule au studio, d'allumer la clim et de m'allonger dans un parfait silence.

Mais qu'est-ce qu'il a, cet homme, à parler comme ça ?

Est-ce sa manière de séduire ? Montrer à la femme qu'il convoite à quel point il est ambitieux, avisé, aisé. Un requin parmi les requins, un loup parmi les loups.

Ce qu'il ignore, c'est que voilà le meilleur moyen de me repousser.


Ambition, ambition...

Jailli en rafales des lèvres de Stefan, le mot tournicote entre nos verres pour filer dans ma bouche, là où je le recrache d'un :

- Moi, d'ambition, je n'en ai aucune.

Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Mais peut-on appeler "ambition" le simple désir d'être en paix et heureuse ? De continuer à voyager, à plonger, à écrire ? D'espérer que ma vie se poursuive sans trop dérailler ?

Non, je ne crois pas. J'ai des désirs, des souhaits, des projets, des passions. Mais des ambitions ?

Stefan s'arrête, saisi :

- I beg your pardon ?

Il me fixe paupières plissées. Me soupèse comme si j'appartenais à une espèce inconnue, qu'il m'avait méjugée et qu'il ignorait, surtout, que me répondre.

Son étonnement sera de courte durée.

Bientôt le fil de son discours reprend.

Bientôt je grimace encore.

Dans ce déluge de paroles, des mots me tirent brutalement de ma torpeur :

"Engagement total envers son partenaire. Fidélité."

Je lève un sourcil circonspect.

- L'exclusivité sexuelle, tu veux dire ? Bah... Quelle importance ?

Nouvelle pause interloquée. Évidente, la surprise de voir le fil de la conversation lui échapper.

 Nouveau regard inquisiteur. D'interlocutrice muette me voilà promue au rang de personne, voire d'adversaire. 

Montée de ses prunelles, une lueur d'intérêt, de curiosité ou d'amusement - ou des trois à la fois. Soudain en alerte, mon vis-à-vis vide son cocktail tequila-concombre et se carre sur sa chaise pour mieux m'écouter.

- Quelle importance, dis-tu ?...


Trinidad 4Avec moi Stefan ira de surprise en surprise. Singleton dans son monde, je suis à ses yeux une drôle de femme très femme, une vraie "bouffée d'air frais".

Peut-être parce que sa richesse me laisse de marbre et qu'au restaurant, je paye également l'addition.

Que je préfère les gargotes de rue aux établissements chics.

Que je me moque de sa montre en or en exhibant mes bijoux en toc.

Que malgré son bagoût, Stefan ne m'impressionne pas.

Que je ne l'écoute pas sans moufter.

Que je l'ai baptisé "Monsieur L'Avocat", le rhétoriqueur qui toujours trouvera des justifications à tout, le casuiste prêt à couper les cheveux en huit afin de mieux couler le poisson.

Pour Monsieur L'Avocat je suis franche, ce qui l'étonne.

Sans détours, ce qui l'amuse.

Sans fioritures, ce qui le repose.

Tout ça, oui, et autre chose.

Une élégante dont il salue chaque jour les tenues.

Une maladroite dont il surveille les pas sur le trottoir, s'esclaffant lorsque je trébuche, me secourant lorsque je chancelle.

Une sentimentale si peu romantique qu'au lieu de loger ma paume au creux de la sienne tendue, j'y accroche mon sac pour m'éloigner sur un "merci, ah, c'était lourd !"

Une amoureuse qu'il aime fesser, pétrir et prendre.
Une imprévisible obsédée sans honte ni barrières, à la faim qui égale la sienne.
Une amante repue qu'il enlace au seuil du sommeil, jambe à cheval sur ma hanche, ventre pressé contre mes fesses, lèvres collées à ma nuque.
Un cerveau qui l'intrigue et une compagnie dont il ne se lasse pas. Si bien qu'au troisième jour, Stefan me propose l'impensable :
- Je dois sortir de Thaïlande début juin. Et si je te rendais visite aux Philippines ?
Je lui renvoie en riant sa peur des relations. Me revoir, c'est déjà nous conjuguer au futur, créer une attente, amorcer un lien.
Un que nous n'avons jusqu'alors qu'ébauché.
Un qui était voué à se rompre dès mon départ de Bangkok.
Stefan, ses réticences et ses angoisses ont ancré notre histoire dans l'ici et le maintenant, pas dans l'ensuite ni la redite. Et voilà que, peut-être malgré lui, il brouille la règle du jeu ou en propose un nouveau, plus ouvert.
Plus risqué pour lui, aussi.
- Pas de chance. Mi-juin, je suis en Corée.
- Ah.
Stefan m'oppose une mine bizarre, une sorte de confirmation de ses pensées, de "pas grave, j'aurais essayé". Je le pousse du coude.
- Mais tu veux me rejoindre à Seoul...
- Reviens-tu à Bangkok dans les prochains mois ?
- Je ne sais pas, Stefan.
À cet instant il n'y a pas d'autre réponse possible. Je refuse d'avancer des "oui" à la place des "peut-être", d'entrebâiller une porte que je refermerai tôt ou tard.

Trinidad 5J'ai confiance en Stefan lorsque je suis avec lui. "Je le sens", comme on dit, mais ma confiance n'empêche pas la conscience.
Il y a dans son passé trop de zones obscures, des poches dangereuses desquelles, qui sait, je pourrais pâtir.
M'y aventurer ne m'intéresse pas.
Ignorance is bliss, parfois. 
Pourquoi Stefan habite-t-il en Thaïlande ?
Qu'y fait-il exactement ?
Pourquoi sa compagne l'a-t-elle si brutalement quitté ?
Ces réponses m'indiffèrent. Peut-être sales, elles lui appartiennent en propre, et je n'irai pas y fourrer les doigts.
Moi qui auparavant traquais la vérité dans ses moindres recoins, questionnais pour savoir et affirmais que la transparence est la condition du bonheur, j'ai changé.
Mon amant, je le prends tel qu'il est, avec sa gueule et ses mystères. Ses horaires de travail décalés et ses imprécisions. Son chiffre à atteindre et ses contradictions. Ses textos émaillés de points de suspension et tee-shirts au goût douteux.
Un corps de starlette dénudé se prolongeant jusqu'au V du col, pile là où commence le cou de Stefan.
Un visage aux lèvres carmins entr'ouvertes, feulant son plaisir au nez des passants.
Une Asiatique dans son bain, jambes lascivement pliées au-dessus de la mousse.
Drôle d'assemblage avec mes sandales à talons, mes créoles en perle, mes robes bleues, outremer et horizon.
En lui ouvrant ma porte je m'exclame :
- Mais vous adorez, Monsieur L'Avocat, porter des femmes sur votre poitrine !
En guise de plaidoierie il m'attrape par les poignets, me soulève telle une brindille et me jette sur le lit pour affirmer :
- L'Asiatique lubrique, c'est en ton honneur !
Sans doute parce que la veille, nous avons fait les courses.

 

Photos : Polly Morgan, Horst P. Horst.

Toile de Sarah Moon. 

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Samedi 18 mai 6 18 /05 /Mai 15:45

StefanStefan a ce qu'on appelle une gueule. Un visage oblique et un crâne rasé, des paupières lourdes recouvrant de larges iris noirs, un nez fort, une lèvre inférieure avançant sur sa bouche fine.

Sa peau olivâtre trahit un métissage, la pâle Angleterre mêlée du sombre Trinidad et Tobago. Lisse, follement soyeuse, une peau d'Asiatique pour un corps de demi-Noir.

Grand et massif, plus épais à la taille, le corps de Stefan s'habille d'un tatouage japonais. Sur sa poitrine, un duo de carpes aux nageoires transformées en yeux pâles.

Des yeux qui me transpercent alors que je le déshabille.


À 17 ans j'aurais été folle de Stefan.

Folle de sa tranquille assurance, de ses airs de truand des faubourgs, de sa voix douce et de ses "non" très anglais.

Folle de ce mystère qu'il tente de dissiper mais qui le pare d'une aura de soufre.

Folle de ses secrets alors qu'il jure que de secrets, il n'en a plus. Qu'il s'est rangé des voitures, qu'il aspire à une vie calme. Son but ? Atteindre un certain chiffre pour ne plus travailler du tout, s'acheter un voilier et larguer les amarres. Mais en attendant trimer dur, priorité boulot en court-circuitant le reste.

Il faut dire que les chiffres effraient moins Stefan que les sentiments.

Depuis une rupture catastrophique, la perte de contrôle l'effarouche, l'engagement l'angoisse, l'ombre d'un possible amour le terrorise. Lorsqu'une relation s'installe, Stefan s'enfuit.

À 17 ans j'aurais sûrement relevé ce défi. Voulu réparer - fût-ce contre son gré - cet homme cabossé, lui montrer que toutes les femmes ne sont pas lâches ni cruelles.

À 17 ans, oui...

 

Notre rencontre eut comme beaucoup d'autres lieu sur un hasard. Quoique Stefan fût mon voisin, je ne l'avais jamais croisé. Mais ce soir-là, Bertille quittait notre studio de Bangkok. 2 semaines, 14 jours, 336 heures à vivre sous le même toit, à respirer le même air et à dormir dans le même lit entre des va-et vient à l'hôpital.

J'accompagnai mon amie à l'entrée de la résidence. Le gardien stoppa un taxi en maraude. Par chance, celui-ci accepta de mettre le compteur en marche.

Une fois les valises chargées, je serrais Bertille contre moi.

- Bon voyage... et à très vite !

Au même instant, reconnaissable au chauffeur en gilet orange, une moto-taxi déboula.

Le passager enleva son casque, sauta à terre, sourit à la ronde et resta planté à nous observer, elle qui montait en voiture et moi qui lui lançais des au revoir.

Avant de claquer la portière, Bertille me souffla la mine complice :

- Lui, il est pour toi !

Je ne l'entendis pas. Je pensais à autre chose. Sans doute à cette première soirée sans elle. Étrange de partager autant avec une seule personne pour se retrouver finalement seule, transition du plein au vide toujours délicate à négocier.

Oh, bien sûr, être rendue à moi-même me convenait. Mais que cet entre-deux était bizarre !


Stefan 2À l'entrée de la résidence mon tee-shirt trop rouge électrisait la nuit. Ma jupe battait mes mollets. Trop serrées, les brides de mes sandales m'écorchaient les talons.

Accoudé à la grille l'homme était toujours là, immobile, à m'observer. Je feignis de ne pas le voir pour mieux lui tourner le dos.

Lui ne l'entendait pas de cette oreille.

Aussi lâcha-t-il, très vite :

- Are you Russian ?

Je souris. Yeux bleus, cheveux blonds et hautes pommettes, cette question-là me poursuivait sur toute la planète.

- No, sorry. French.

L'homme dégaina alors une phrase que j'ai oubliée. Sûrement en français, puisqu'il avait vécu à Cannes. Aux Philippines aussi.

Déjà deux points communs.

Trois en comptant Bangkok.

Je me souviens, en revanche, de mon équilibre précaire sur un seul pied. De mes poignets qui battirent l'air et d'une paume qui s'avança pour me rattraper au cas où. D'une question "are you alone here ?" puis d'une invitation à boire à verre.

Ce soir si j'étais libre.

Mon diable sur l'épaule ricana quelque chose à propos de ma solitude. Il se moquait, je crois. De moi et de mon impression d'être parfois si seule, comme abandonnée.

Le temps d'une éclipse un souvenir de mon père s'interposa :

- Et tu voudrais, dis-tu, être vraiment belle ? Mais ma fille, combien d'hommes te disent non quand tu veux qu'ils te disent oui ?

Mon silence renfrogné avait répondu à ma place.

Ce soir-là, si je le voulais, ma solitude serait de très courte durée.

Trop courte, même.

Je m'inventai un travail à finir.

Stefan s'inclina, nota mon numéro et promis de m'appeler. Ce qu'il fit dès le matin tandis que je dormais encore.

 

 

La suite ici.


Photo : Chas Ray Krider. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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