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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Samedi 4 décembre 6 04 /12 /Déc 06:21

Bertille 2 La première fois que je me rendis chez Bertille, j'avais très mal aux dents. Assise derrière mon instructeur, secouée comme un pépin dans un shaker, je me demandais où menait ce chemin défoncé d'ornières et raviné de pluie. Tim stoppa devant un haut portail blanc.

- C'est ici.

Je descendis de la moto les jambes raides, me tenant la tête comme si, trop agitée par les cahots, elle pouvait se décrocher de mon cou.

 

Lorsque Bertille nous ouvrit, je retins un sifflement de surprise et d'admiration.

Sa maison était très grande. Très belle aussi.

A l'avant s'ouvrait une terrasse digne d'un magazine de déco. Un canapé et deux fauteuils en bambou encerclaient une table basse. La table haute, elle, était idéale pour un dîner entre amis ou un tête-à-tête amoureux. Disposées sur le muret d'enceinte, des bougies et des guirlandes de lumière donnaient un petit air de fête au lieu.

Par la porte ouverte j'aperçus un vaste salon, un lustre, des murs colorés, des meubles simples mais de goût. L'harmonie de l'ensemble était parfaite, jusqu'au détail incongru qui m'arracha un sourire : un chien flasque en peluche, jouet d'enfant ou doudou d'adulte, étalé tout tordu sur le canapé.

Cette maison chaleureuse dégageait une telle paix qu'aussitôt, ma migraine reflua. Je pensais qu'une femme ayant choisi un tel cadre de vie, l'ayant conçu et arrangé à son image, ne devait que gagner à être connue.


Mes rapports avec Bertille avaient jusqu'alors été superficiels. Nos connaissances communes n'avaient jamais jugé bon de nous présenter. Mais à force de nous croiser dans les bars et dive shops de la plage, nous avions fini par échanger un salut, quelques phrases anodines. Parfois, absorbée l'une ou l'autre par une discussion, nous nous ignorions. Non par indifférence calculée, juste faute d'un lien qui ne s'était pas encore tissé.

De Bertille j'avais déjà entendu parler. Beaucoup, et seulement en bien. Toutes ces paroles additionnées l'avaient peu à peu transformée en Arlésienne. Cette femme était la grande inconnue que je n'avais jamais vue. Celle dont on me demandait des nouvelles que j'étais bien incapable de donner.

Dans l'esprit des gens, deux Françaises, plongeuses et vivant de surcroît sur le même périmètre, devaient forcément se connaître.

Et bien non. A mon arrivée ici, Bertille était absente. J'apprendrais plus tard qu'elle se trouvait alors à Koh Tao, l'île dont j'étais partie un mois plus tôt.

La symétrie inversée de nos trajectoires me fit encore une fois m'esclaffer sur ce coquin de hasard.


BertilleTim et Bertille s'installèrent au salon pour une conversation privée. Je restai sur la terrasse, goûtant la fraîcheur des tomettes sous mes pieds nus et le calme de ce havre retranché.

Ici, ni coqs ni chiens pour déchirer l'air d'appels stridents. Ni voitures ni motos passant dans une pétarade de fumée noire.

La route était éloignée, les plus proches voisins tranquilles. Camouflée par le haut portail, leur maison n'était d'ailleurs pas visible du jardin.

La propriété de Bertille me parut une oasis au milieu d'un univers tumultueux, saturé de bruits tapant sur ma pauvre tête.

Je pris un magazine féminin sur la table basse. Denrée rare publiée en français et, ô luxe, datant de moins d'un semestre.

Je la savourais page après page. Etrange impression, d'un article à l'autre, de revenir dans un monde à la fois familier et oublié.

Les films à l'affiche. Les expositions à ne pas rater. La mode du printemps. Les recettes de cuisine. Le courrier des lectrices.

Le silence feutré des salles de musée. L'atmosphère recueillie d'une salle de concert. Le crissement des cordes des musiciens ajustant leurs instruments.

La fraîcheur piquante du printemps à Paris, quand les arbres se couvrent de bourgeons.

Ce Marie-Claire me parlait de mon pays, désormais si éloigné de mon quotidien qu'un vertige me saisit. Une nostalgie floue aussi, me drapant d'une multitude de petits manques.

Une brise mâtinée de soleil caressait mes épaules.

Je soupirai. Echangerais-je ma place sur cette terrasse contre la banquette d'un troquet parisien ? Je me fouillai et la mémoire et le coeur. La réponse s'imposa.

Non. Non, en vérité.

 

Ce jour-là, j'étais venue prendre à Bertille de quoi trouver les jours moins longs. De quoi tromper la douleur, ma plus fidèle compagne de bungalow.

 J'étais venue lui prendre ce que je n'avais plus. De bons films et de bons livres, si possible en français. Me baigner d'anglais me faisait l'effet d'une douche froide, d'une cascade de trop d'efforts à fournir en ces temps troublés.

Après m'avoir ouvert sa porte, Bertille m'ouvrit sa bibliothèque et son disque dur. Un cri d'excitation jaillit de ma gorge devant son fichier "films".

Des classiques, des comédies, du cinéma d'auteur. Des Chabrol, des Klapisch, des Téchiné. Des films visionnés dans de petites salles à Paris, d'autres manqués. Des films qui accompagneraient une guérison que je supposais brève, ignorant que j'étais fort loin du compte.

En soirée, Bertille m'ouvrit les portes d'un délicieux restaurant, puis d'un salon de massage. De loin les meilleurs depuis mon arrivée à Bohol.

Lorsque nous nous séparâmes, j'étais ravie.


Bertille 3Notre amitié commença ainsi. Lentement, semaine après semaine, nous entrâmes l'une l'autre dans nos vies, d'abord sur la pointe des pieds.

Bertille était très occupée.

De mon côté, je ne souhaitais rien brusquer.

Toute hâte à la voir davantage aurait pu passer pour une pression dissimulée, tout désir hautement affirmé de la connaître mieux pour importun.

Depuis cette première soirée, je désirais vraiment devenir son amie, sans être assurée de la réciproque. En amitié comme en amour, il est des coups de foudre, des attachements non partagés.

Devenir ami(e)s ne se décrète pas. Et la phrase d'un homme que je ne connaissais qu'à peine resurgit :

- J'ai décidé que tu serais mon amie.

Loin de me procurer un quelconque plaisir, son propos me choqua.

J'y perçus un égoïsme qui se passait bien de mon inutile consentement. Puisque lui l'avait décidé, il m'ôtait le choix de ne pas agréer. Son attitude était une forme de violence, une contrainte en sourdine l'amenant à disposer de moi, de mon libre-arbitre et de mes émotions.

Un tel début décapita toute envie de me lier à lui.

Certaines relations réclament temps et patience pour se tisser, mais l'étoffe obtenue n'en est que plus solide.


Maintenant que je vais partir, mon coeur se pince. Je revois Bertille dans ce supermarché où nous faisions nos courses. Son brutal arrêt entre deux rayons, ses grands yeux soudain tristes quand elle me glissa :

- Ca va me faire très bizarre que tu ne sois plus là...

Je revois aussi une foule de moments partagés, de saynètes et de fous rires.

La panne de son multicab qui nous cloua en pleine nuit sous une pluie torrentielle.

Ses coups de Klaxon un jour où je rentrais en jeepney, sarouel fuchsia claquant au vent. Le véhicule était archi complet. J'avais dû insister pour me tenir à l'arrière, agrippée à un montant du toit, muscles tétanisés à force de rétablir mon équilibre malmené par les cahots.

Les Philippins riaient de voir une blanche voyager à la dure. Ou en si mauvaise posture car, après quelques kilomètres, je doutais de tenir bon jusqu'à chez moi.

C'est Bertille qui, passant par hasard sur la même route, me sauva.

Toutes ces après-midi en duo dans les bars. Chacune penchée sur son ordinateur, interrompant l'autre dans son travail pour lui montrer un article, un lien, une photo.


D-amitie-et-de-calamansis-3bis-copie-1.pngL'heure que nous appelons "l'heure de la boule", quand la musique de notre bar préféré monte en intensité et que la boule à facettes du plafond se met à tournoyer, éclaboussant les consommateurs de faisceaux rouges, verts, jaunes.

Pour couvrir le ronron des chansons, les conversations se font plus fortes.

Ce tumulte sonne en général notre repli vers des lieux plus paisibles.

Nos virées en snorkeling, dont la dernière fut si longue et intense que mon dos mit une semaine à s'en remettre.

Notre repas de riz et poisson entre deux plongées, à la philippine, accroupies en plein soleil à l'avant du bateau, piochant avec nos doigts dans les sachets en plastique.

 

Le dîner à la pizzeria, après lequel j'empruntai à Bertille son ordinateur pour parler à mon hommeMa caméra ne marchait plus et je ne supportais pas de m'adresser à lui en aveugle, face à un écran noir.

Mon amie et moi regardions son beau visage en partageant les écouteurs du casque.

De l'autre côté du monde, lui riait de nous voir alignées sur nos sièges telles deux groupies. Et rit encore plus lorsque Bertille se mit à chanter, téléphone en main, en dessinant des arcs de cercle sur la nuit.

Nos virées en ville, nos quelques séances de shopping.

D'une nous ressortîmes avec les mêmes tongs, aussi rouges que des cerises éclatées.

D'une autre avec les mêmes lunettes, roses pour elle et bleues pour moi. 

Le session "teinture de cheveux" dans son arrière-cour. Le soleil qui jouait à cache-cache et moi qui, penchée sur elle, étalais la mixture à la brosse à dents. Il faisait si chaud, j'avais si peur de me louper que, très vite, je suais à grosses gouttes.

- Tiens, il pleut... remarqua Bertille.

- Euh, non... C'est moi qui te transpire dessus, en fait. Désolée.

Nous partîmes d'un grand hoquet.


Lorsque j'étais à Cebu, Bertille cessa de se rendre dans le bar qui abrite notre rituel : un jus de calamansi, une dose de sucre, une paille et des heures de discussion.

- Cela n'avait plus de sens, il me manquait quelqu'un... Toi.

Si Bertille n'avait pas habité Bohol, mon long séjour ici aurait eu bien moins de sens. Il m'aurait manqué quelqu'un... Elle.

 

 

 

Toiles : Vanessa Bell et Gustav Klimt.

Photos : Vee Spers, Hiroshi Watanabe.

Par Chut ! - Publié dans : Elles...
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