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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

Tic tac

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Lundi 11 août 1 11 /08 /Août 08:56

SuiteJe ne me reconnais plus dans ce blog.

Lorsque je l'ai ouvert après une longue absence, ce fut le choc. Des publicités pornos avaient envahi mon espace, s'étaient invitées dans les menus et sur la bannière.

Même les liens étaient contaminés : une fois sur deux, au lieu d'accéder à mes blogs favoris, je suis redirigée vers des pages de euh, rencontres sexuelles ?

Je n'ai rien contre le porno, les couguars, les plans cam et les vidéos "hot". En revanche, je veux pouvoir avoir le choix.

Ici, je ne l'ai plus : il est désormais impossible d'enlever les pop-up et autres pubs. Il faut donc les subir... ou partir.

Alors je pars.

 

Je me suis demandé si l'aventure blog, c'était fini. Ce blog a été créé il y a 7 ans...

C'est une longue tranche de vie, 7 ans.

Un cap fatidique pour les couples, il paraît.

Ces 7 dernières années furent remplies de grandes décisions, de voyages, de rencontres, d'emmerdes et de joies, de coups de blues et de coups de coeur.

Si je ne les avais pas consignés ici, beaucoup auraient perdu de leur acuité. Les pires comme les meilleurs souvenirs s'effacent. C'est à la fois le rôle et la magie de l'écriture que de les restituer à l'authentique. Dans leur vérité ou presque, tant la petite voix qui parle dans ma tête raconte bien mieux que ma plume qui, elle, s'efforce de retranscrire.


De fidèles lecteurs devenus des amis se sont inquiétés de mon silence. Ils regrettaient ce blog déserté, la première page jamais mise à jour. Mes mots leur manquaient un peu, je crois. Et à moi l'écriture manquait aussi.

J'ai décidé de continuer ailleurs.

Et ailleurs, c'est ici. <-- Clic !

 

Merci à tous pour votre fidélité tout au long de ces années.

Ce blog est mort, vive le blog !

Alda.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Samedi 18 janvier 6 18 /01 /Jan 14:08

Adieu pinoy 1bis110 kilos, deux fois mon poids, rejoindront ma nouvelle maison. Même en comptant mon matériel de plongée, la vaisselle, mes ordinateurs, mon imprimante et mes livres, 110 kilos, c'est juste énorme.

Je me surprends d'avoir tant amassé au cours de mes années philippines.

Et encore ai-je eu la sagesse de suivre mon intuition, qui dès le début me soufflait de renoncer aux achats encombrants.

La limite ?

Pouvoir se caser dans mon sac à dos et ne pas me retenir d'une façon ou d'une autre.

Je veux être libre de partir sur un ras-le-bol ou un coup de tête, libre de suivre ma fantaisie et mes coups de coeur.

Libre de découvrir un endroit et de penser que j'aimerais y vivre.

Libre de m'y poser le mois suivant ou de bouger si je rencontre un homme.

Pas question de laisser la géographie s'opposer à une belle histoire d'amour. Mobile j'étais et mobile je veux rester.


Chez moi j'ai donc tracé une croix sur les meubles, les objets de déco, l'aspirateur et la machine à laver conseillée par mon amie Bertille. L'achat me tentait, pourtant. Il aurait signé la fin de mes déboires vestimentaires.

Finis les habits perdus, volés, décolorés à la Javel, étendus sur les barbelés ou déteints pour avoir être lavés ensemble, le blanc avec les couleurs.

Finies les longues listes de T-shirts, robes, jupes, pantalons confiés à la laverie et revérifiés ensuite, pour toujours pointer des disparus.

Finies les lessives à la main en partant du principe que mes affaires favorites, je ne les reverrai plus.

La gestion du linge est certes un détail, mais un détail qui au quotidien finit par peser. Personne ne se réjouit de voir ses vêtements, ses serviettes, ses draps, ses taies d'oreiller amoureusement choisis et payés au prix fort ruinés en cinq minutes.


Adieu pinoy 2La seule entorse à ma règle de légèreté fut la grande table commandée en octobre. Jadis enthousiaste à l'idée de transformer ma terrasse en atelier, je m'en mords aujourd'hui les doigts.

Pourquoi n'ai-je pas observé ma règle ?

La table fut d'abord livrée en retard, pieds non coupés et vernis pas sec. Inachevée, en un mot.

Le retour à la "factory" - comprendre un abri de tôle rouillée sous lequel s'affairent des ouvriers en guenilles - réclama des semaines.

Cinq mois plus tard elle y moisit encore en dépit des promesses de Che, la "manager".

Que de temps, d'énergie et d'argent gaspillés !

Emporter ce meuble dans mes bagages aurait été de la folie, mais pas question de l'abandonner au dépôt. Trop juteuse affaire pour cette société qui la vendrait aussitôt à un autre client.

Par bonheur un couple d'amis se porta volontaire pour l'achat, me retirant une sacrée épine du pied.

 

Hier Che me jura que la table leur serait livrée au matin.

Sérieux ? J'en doutais. Régler un problème si facilement n'arrive jamais aux Philippines où les promesses n'engagent que ceux qui les croient. L'expérience des ratés, arnaques et autres petits profits rend sceptique, amer et blasé.

Allez dire ça à un étranger qu'il vous qualifiera de Blanc pessimiste, de colonisateur jamais content, voire de pauvre type/pauvre fille - ce que j'aurais sans doute pensé à mon arrivée. Le fait est qu'habiter aux Philippines est une autre paire de manches qu'y voyager. Il faut du temps pour prendre la juste dimension des difficultés, analyser et mesurer le gouffre culturel qui nous sépare.

Pour la table j'avais sans surprise raison.

Ce matin fut repoussé à cette après-midi, cette après-midi à la semaine prochaine, et ainsi de suite. Coincée chez elle, forcée d'annuler un par un ses rendez-vous, mon amie a perdu sa journée.

Quant à mon texto incendiaire à Che, il n'a reçu aucune réponse.

Étonnant, non ?

 

Adieu pinoy 3On pourrait penser que voilà bien du foin pour quelques ballots de linge et une table.

J'en conviendrais si ces stupides histoires ne fonctionnaient pas comme un raccourci, un révélateur, un symbole.

Je l'ai déjà écrit ici et  : aux Philippines rien n'est simple. Désorganisation, absurdité, mensonges, contradictions, incompétence et corruption y règnent en maîtres, et ce à tous les niveaux.

Les exemples sont légion. Du futile au sérieux, en voici quelques-uns sans exagération aucune, promis.


Lorsqu'il pleut (c'est-à-dire souvent et des semaines d'affilée en saison humide), inutile de chercher à son poste Luisa, une employée de l'administration.

Pourquoi ? Parce que son mari l'amène au bureau en moto et que pendant le trajet, elle se mouille. Mouillée, Luisa s'enrhume.

Entre le rhume et le travail, son choix est vite fait. Dommage pour ceux que ses absences répétées pénalisent.

Dans son service personne n'y trouve à redire. Même pas ses supérieurs.

 

À côté du restaurant de ce resort chic se trouve la réception. Personnel stylé, meubles de designer et ambiance feutrée, piscine et plage privées... pas vraiment le premier lupanar venu. Pensant y loger des amis, Bertille s'enquiert du prix des chambres, "détail" hautement confidentiel s'il en est.

- Je ne peux pas vous communiquer cette information, s'entend-elle répondre. C'est la règle !

- Pourquoi ?

- Parce que. Vous souhaitez connaître nos tarifs ? Consultez notre site Internet. Voici le mot de passe du réseau.

- Mais enfin, je ne suis ici que pour déjeuner... Je n'ai pas mon ordinateur !

- Et votre téléphone ?

- Impossible de me connecter avec.

- Tant pis. Je ne peux pas vous communiquer cette information.

- Mais vous êtes la réceptionniste ! J'habite loin et vous me forcez à revenir ? Les tarifs, vous les connaissez ! Ils ne sont pas un secret d'État... Qui plus est, je vous apporte des clients !

- Désolée. C'est la règle.

 

Adieu pinoy 4Dépitée, Bertille rejoint la table pour me conter sa mésaventure.

Un resort qui refuse de divulguer ses prix, j'hallucine !

Quant à les consulter sur la toile depuis l'hôtel alors que nous y sommes, voilà de quoi rugir d'absurdité.

- Laisse-moi essayer... dis-je.

À mon tour de faire l'assaut du bureau.

Dix minutes de palabres et l'employée cède, poussant le zèle jusqu'à nous montrer les chambres, toutes vides. Sûr qu'avec un tel accueil, les clients ne doivent pas se bousculer au portail.

Comme quoi sa prétendue règle d'airain n'était qu'une idiotie.

Comme quoi quand on veut, on peut.

 

Visite chez un imprimeur de la ville voisine.

Voilà deux heures que Bertille et moi comparons les supports, les formats, les qualités d'encre.

Nous arrêtons enfin notre choix. Et tombons des nues quand la manager nous annonce, la bouche en coeur, qu'elle n'a pas la moindre idée des tarifs.

- Mais vous travaillez ici, non ?

Oui, oui, mais n'empêche qu'elle doit en référer à son supérieur. Qui est en vacances, bien sûr. Ou malade. Ou juste fatigué. Avec un peu d'espoir nous obtiendrons l'information la semaine prochaine. Ou jamais, qui sait.

- Mais vous n'auriez pas pu nous prévenir plus tôt ? Entre les trajets et l'attente ici, notre journée est fichue !

La Filipina adopte un air concerné démenti par son regard vide. Faire perdre leur temps aux clients, a fortiori blancs, elle s'en fiche comme de ses imprimantes.

Nous avons besoin de ses services ? Nous serons obligées de revenir.

Nous nous en passerons ? Parfait, cela lui fera moins de travail.

Alors que nous sortons du magasin, elle nous lance :

- Au fait, joyeux Noël !

Noël en plein mois d'août ? Se paierait-elle notre tête ? Non, semble-t-il.

Réagissant à nos mines effarées, elle précise soudain :

- En avance, hein... Joyeux Noël !

 

Adieu pinoy 5Difficile pour ce dive shop de travailler avec Filip, capitaine de bateau, et son assistant Victor.

Infernal, paresseux, le duo se pointe selon son bon vouloir, la météo ou la cuite de la veille. Que leur défection sans préavis oblige à annuler toutes les plongées leur importe peu.

Lou, le manager, n'a qu'à s'asseoir sur les bénéfices ou dénicher deux remplaçants.


Suite à une énième absence, Lou piqua une grosse colère. À peine aperçut-il les fuyards qu'il les prit à parti et menaça de ne pas les payer.

Juste sanction, mais le tort fut sans doute de s'énerver devant l'équipe de Philippins, qui en perdit la face comme Filip et VictorGrave outrage en Asie, d'autant plus qu'en dépit de son origine chinoise, Lou faisait figure de Blanc : il avait grandi au Canada.

Comme la majorité des étrangers en poste ici, Lou ne possédait pas de permis de travail. Illégales, son embauche et son activité ne perturbaient guère les autorités. Avant toute inspection à la plage, bassin névralgique en terme d'emplois, la règle veut qu'un coup de fil avertisse les contrevenants.

Le lendemain, les Blancs restent chez eux.

Enquête bouclée avec les honneurs : les autorités se targuent de si bien combattre le travail illégal qu'il n'existe pas.

Qui dit mieux ?

L'affaire se corsa quand des membres de l'équipe - sans doute Filip, Victor, ou les deux - dénoncèrent Lou à l'immigration. Ignorer plus longtemps son cas devenait intolérable. Ordre fut donné de sévir.

Un gradé de l'immigration escorté de policiers débarqua à la plage. Heureusement Lou réussit à s'enfuir avant d'être arrêté. Il n'est jamais revenu.

 

Adieu pinoy 6Arthus, lui, n'a pas cette chance. Également manager d'un dive shop, il souhaite depuis longtemps se séparer de plusieurs employés.

Impossible.

Arthus a trop peur qu'eux ou leurs familles ne le tuent en représailles.

Choquant, inconcevable, terrible... mais bien vrai.

 

It's more fun in the Philippines ! clame à longueur de publicités le slogan de l'office du tourisme.

En effet.

Si les coulisses sont repoussantes, la scène reste fun, remplie de plages de cartes postales, d'extraordinaires sites de plongée, d'habitants aussi chaleureux qu'hospitaliers.

Mais au-delà des apparences, leur gentillesse a priori dénuée de calcul s'avère rarement sincère et gratuite.

Encore faut-il le savoir. Ça, on ne le découvre qu'à la longue, ou plutôt à l'usure.


Je suis pourtant la première à dire que vouloir vivre à l'étranger comme chez soi est irréaliste, qu'il faut en rabattre sur ses prétentions et se satisfaire de peu.

Je ne suis pas non plus la dernière à railler ces touristes exigeant du camembert sous les tropiques, de l'air conditionné sur une île à l'électricité rationnée et Internet haut débit depuis une plage déserte.

Il faut s'adapter, oui, mais tout comme la patience et l'indulgence, l'adaptation a ses limites.

Ces derniers mois, entre un temblement de terre, un typhon, une privation générale de courant, des craintes pour notre sécurité et une hostilité ambiante, j'ai atteint les miennes. J'en paye aujourd'hui les conséquences. Ma sérénité s'est enfui pour laisser place à l'exaspération. Chaque jour me trouve fatiguée, en colère, au bord de l'implosion. Et je ne suis pas la seule. Loin de là.

Après des années aux Philippines, plusieurs amis de Bertille jettent l'éponge. Ils s'en vont, voire se sauvent.

Après sept ans, Bertille elle-même déclare forfait. On lui avait jadis prédit qu'elle partirait d'ici frustrée, amère et désillusionnée. Elle ne l'avait pas cru.

Moi, je continue à penser que les Philippines sont une belle destination de vacances.

Je fus heureuse d'y vivre. Je suis encore plus heureuse d'en partir.

 

 

Photos : Ralph Steiner, Helmut Newton, Giovanni Tilotta,

DR, Anna Hurtig, Amano.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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Jeudi 16 janvier 4 16 /01 /Jan 15:53

Culture de la peur 1Sofee rit et ses joues se creusent de fossettes. Elle agite les mains et ses bangles, de fins bracelets multicolores, s'entrechoquent. Derrière ses lunettes ses yeux brillent d'intelligence et de malice.

Je ne connais pas Sofee mais Sofee m'a déjà conquise. Difficile de rester insensible à l'énergie communicative, au charme et à la gentillesse de cette petite femme replète.

Sofee est indienne, parle un anglais parfait et se débrouille en français. Elle occupe un poste-clef dans la ville que bientôt, je vais habiter.

Trois ans et demi aux Philippines, ça suffit. L'heure de voguer vers de nouveaux horizons a sonné.


Bertille et moi avions programmé cette visite depuis les Philippines. Nous ignorions que période des fêtes oblige, l'immeuble serait désert.

La seule fidèle au poste, dévolue à l'accueil, au standard et à la paperasse, c'est Sofee.

Les lieux étant vides, elle prend le temps de nous narrer quelques anecdotes. Et des anecdotes, elle en a beaucoup.

Alors que la voilà lancée sur la difficulté de travailler dans un univers féminin, elle me fixe, marque une pause et me lance de but en blanc :

- Vous êtes vraiment une belle femme.

Le compliment me prend au dépourvu. Me touche aussi car depuis plusieurs mois, je n'aime guère mon reflet dans le miroir. Je pense que de toute façon, l'inaltérable enthousiasme de Sofee la pousse à exagérer.

Ses yeux vifs s'attardent sur mes yeux clairs, longent mes épaules, filent le long de ma gorge pour flirter avec mon décolleté. Troublée, embarrassée, je ne sais que lui répondre mais Sofee n'attend pas de réponse.

 

Culture de la peur 2

- Vivre ici n'est facile pour les femmes, surtout si elles sont belles... reprend mon interlocutrice.

Je ne souffle mot.

Pas facile, vraiment ?

Je n'ai rien remarqué.

Notre séjour se déroule pour l'instant sans encombre. Quant à la semaine passée quatre ans plus tôt dans cette ville, je n'en garde que de bons souvenirs.

Personne ne m'a harcelée dans la rue.

Personne ne m'a espionnée à l'hôtel.

Aucun homme ne m'a suivie, lancé des propositions indécentes, abreuvée de grossièretés.

Aucun n'a même osé me toucher.

Les habitants semblent d'ailleurs assez indifférent aux touristes. Je n'ai pas l'impression d'être une bête de foire, un porte-monnaie sur pattes, une menace ou une intruse.

Pas facile, vraiment ?

Voyager ici m'apparaît au contraire aisé, aux antipodes de mes périples en Inde ou en Indonésie.

Là-bas, oui, c'est dur pour une femme, a fortiori seule. Périlleux, même.

Alors, pas facile ?

Je garde un silence prudent. Ne pas encore habiter ici me retire sans doute toute voix au chapitre, mais j'ai déjà ma petite idée. Elle, elle va à l'encontre de l'opinion de Sofee. 


Celle-ci enchaîne sur la tenue attendue pour les femmes au travail. Et au quotidien, ce n'en est que mieux. Il s'agit sans surprise de boutons fermés jusqu'au cou, de longues manches et de longues jupes. Pas un fragment de genou ni d'épaule, parties hautement érotiques s'il en est, ne doit dépasser.

Se le tenant pour dit, Bertille finira notre séjour en tunique et en pantalon malgré la chaleur. Moi, je continuerai à porter des jupes et des T-shirts à bretelles.

Suivre les coutumes, ne pas choquer, respecter les sensibilités, les croyances et les religions est en effet essentiel dans un pays étranger. Mais dans celui-ci les locales ne s'habillent pas en nonnes. Quant aux nombreuses touristes, elles déambulent comme bon leur semble dans l'indifférence générale. Et jusqu'à nouvel ordre, je ne travaille pas.

Sinon je me conformerais à l'usage, bien sûr. L'inverse serait stupide.


Culture de la peur 3bisLes propos de Sofee ont éveillé en moi une gêne familière. Si je m'écoutais, elle marcherait main dans la main avec la colère. Peut-être parce qu'ici ou ailleurs, au Cambodge, au Laos, en Thaïlande, aux Philippines, en Inde, ces propos, je les ai déjà entendus.

Ils venaient presque toujours de femmes, et de femmes qui ne voyageaient pas.

Prétendre que voyager met à l'abri du danger ou de la peur serait idiot.

En revanche, je crois qu'en voyageant sac au dos on apprivoise l'un et l'autre.

Parce qu'il le faut.

Parce que sinon, autant rester chez soi.


Je crois aussi que les médias et partant, notre société nous infligent une culture de la peur. Et que cette culture, nous finissons bon gré mal gré par l'épouser, surtout dans un contexte de récession économique.

Ne pas faire ci, ne pas choisir ça, ne pas penser, interroger, remettre en cause... La peur est le plus sûr moyen de contrôle des masses, le plus efficace agent d'uniformisation, le plus autoritaire des tyrans et la meilleure des dictatures.

Retorse, elle jouit de surcroît d'un alibi parfait : "C'est pour votre bien !"

Tout présenter comme dangereux, nocif, risqué revient à décourager quiconque d'oser ou de suivre cette voie. Avec la peur au ventre, la liberté se réduit à peau de chagrin. Elle n'est plus un idéal mais une ennemie, un fardeau duquel il est urgent de se débarrasser. Se planquer devient vital. Force est de se garantir de tout, à commencer par vivre un peu en dehors des clous.

Mais où sont les clous ?

Chacun les voit à sa porte.

 

Culture de la peur 4Pour Ayleen Guindelcor les clous ne sont pas loin. Ma chère dentiste en convient volontiers, elle regarde trop la télé. Et la télé aux Philippines, c'est une suite de feuilletons à sensations, de nouvelles sordides, de viols, d'attentats et de meurtres ignobles.

Le drama philippin, en somme.

Ayleen en conçoit une terreur du monde. Elle ne se déplace pas à pied, ne parle pas aux inconnus, ne s'aventure jamais seule en dehors de sa ville.

Et encore en évite-t-elle certaines parties : un grand marché et ses abords, une rue fréquentée par des badauds de tout poil.

Apprendre que je m'y promène lui fait ouvrir de grands yeux.

- Mais Ayleen, j'y vais en plein jour ! C'est bourré de magasins et la police n'est pas loin !

Même. On ne sait jamais, il peut y avoir des pickpockets, des malfrats et des dealers.

Ma dentiste est un cas extrême mais pas isolé. La liste de mes voyages la plonge dans un effroi admiratif mêlé d'une pointe d'envie. À ses yeux je suis une Martienne, une rebelle, une aventurière intrépide. Comprendre : une folle à lier.

Mais trop polie, elle ne me l'avouera jamais.

 

Où sont les clous ?

Est-ce vraiment difficile pour une femme d'habiter dans ma nouvelle ville ?

La réponse bientôt. En attendant, je n'ai pas peur.

 

 

Pin-up de Gil Elvgren ; toile de Botero ; photo bondage d'Araki.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mardi 14 janvier 2 14 /01 /Jan 18:01

Le terrorismeLes gens qui font la gueule sans dire pourquoi m'insupportent. Et si jamais il s'agit de mon partenaire, cela m'insupporte encore davantage.

La gueule sans raison déclenche ma colère, titille ma culpabilité, attise en moi le vent de la révolte. J'ai envie de taper dans les murs, d'agresser à mon tour celui qui m'agresse de son mutisme, de lui faire rendre gorge et surtout, payer.

Aucun doute : la gueule sans raison apparente attise ma connerie, ma violence et mes vils instincts.

Presque pire, elle me laisse sans voix.

Est-ce donc si difficile de verbaliser ? Si compliqué de vider son sac sans déployer un arsenal de moues méprisantes, de regards exaspérés et de sourcils levés au plafond ?

À la déprimante guerre de tranchées je préfère la Blitzkrieg, un bon éclat susceptible de remettre en un tournemain les pendules à l'heure.

Mais au choix des armes je préfère le dialogue, un échange entre adultes censés capables d'écoute, d'empathie et de respect. Ne pas être considérée comme tel me met d'ailleurs hors de moi.

Oui, j'ai parfois mauvais caractère...


Certains pensent que dire ce qui ne va pas revient à dire qu'on n'aime plus. Croyance erronée, infantile, aussi néfaste et dangereuse que la fable du Prince Charmant.

Quelle relation peut se vanter d'être parfaite ?

La perfection relève de l'illusion, non de la réalité. Les rapports humains sont hélas parsemés de couacs, de désaccords, d'ajustements aussi douloureux que nécessaires. Poser des mots sur une insatisfaction n'est pas mettre une amitié ou un couple en péril. C'est au contraire lui donner la chance de s'assainir, de s'enrichir et de se fortifier.

Parole de fille qui, détestant les conflits, s'efforce de les éviter.

Parole de fille qui interprète le silence comme une douche glacée en plein hiver. Un interlocuteur qui se dérobe saborde aussitôt mes vélléités de réconciliation.

 

Le terrorisme 2bisÀ ma décharge, mon adolescence fut marquée au coin du terrorisme de la gueule.

Terrorisme, oui, le mot n'est pas trop fort.

J'avais beau aimer Joshua, mon beau-père, je le préférais hors de la maison. Sa susceptibilité et ses mauvaises têtes y rendaient la vie pénible.

Lorsque Joshua était vexé ou irrité, lorsqu'il désapprouvait ceci ou cela, son visage se figeait telle une statue de cire. Il ne pipait plus mot et se murait dans un mutisme hostile qui pouvait durer une heure, une journée, une semaine.

Ses regards qui nous évitaient à dessein, ma mère et moi, nous ravalaient à l'état de fantômes, d'intruses, de coupables.

Lui posait-on une question qu'il l'ignorait en détournant la tête. Devait-il y répondre qu'il se fendait d'une monosyllabe cinglante.

Cherchait-on à provoquer la discussion qu'il quittait la pièce sans préavis.

Le motif de ses crises n'était pas toujours évident. Bien souvent il demeurait obscur, énigme contraignant les témoins à jouer aux devinettes. Ma mère s'y efforçait. Pour ma part, je n'essayais même plus.

Quand mon beau-père nous plantait là, ma mère et moi nous retrouvions stupides, elle triste et moi furieuse.

Je me retenais de hurler :

- Oh, reviens ! Eh, vide ton sac ! Allez, crache ta pastille !

Mes invectives n'auraient qu'aggravé la donne, repoussant une éventuelle réconciliation aux calendes grecques.


Éviter le courroux de Joshua réclamait à ma mère une énergie folle, d'incessantes contorsions et une attention sans trêve. Il fallait anticiper ses humeurs, deviner ses désirs, décoder ses réponses. Tourner autour du pot et user de précautions oratoiresNe pas l'entreprendre sur certains sujets, ne pas l'agacer, ne pas le contrarier.

La paix était à ce prix, et quel prix !

Ma mère le payait néanmoins. Joshua habitait loin, ils ne se voyaient que pour les week-ends ou les congés. Vouloir profiter du temps qui aurait dû les rassembler était aussi légitime que le gâcher par la gueule était malvenu.

Ma mère me téléphonait parfois au cours de ces "vacances". Au seul ton de sa voix je devinais des jours troublés. Cachottière malgré elle, elle chuchotait pour n'être pas entendue. Ma colère devant sa transformation en gamine craignant une réprimande fondait quand, entre deux propos anodins, elle soupirait :

- Ce n'est pas facile...

D'autres fois c'était moi qui l'appelais. Un Allô ? tendu signifiait que je tombais mal. Joshua s'agaçant de la voir au téléphone, ma mère écourtait la conversation.

 

Le terrorisme 3Je devais moi aussi vivre au rythme de mon beau-père. Sinon, impossible de respirer dans les parages. Dans l'appartement l'ambiance devenait si lourde que la fuite s'imposait.

Contrarier mon beau-père, c'était en retour pénaliser ma mère, la pousser à s'interposer entre nous, la forcer à rafistoler les pots cassés, la condamner à subir des sautes d'humeur, des jugements et des critiques.

Combien de fois m'a-t-elle enjoint de saluer Joshua retranché au salon ?

De ne pas dire ci, de ne pas faire pas ça ?

De mettre de l'eau dans mon vin et un sourire, même faux, à mes lèvres, "Je t'en supplie ma puce" ?

Maman oeuvrait pour la tranquillité à la maison mais moi, je ne l'entendais pas de cette oreille. Je raillais ses ordres, soulignais sa faiblesse, lui reprochais de se consacrer corps et âme au bien-être d'un tyran.

En quel honneur devais-je moi aussi abdiquer ? Et Beau-père n'était même pas chez lui ! Et je n'étais même pas sa fille !


Ma cruauté d'adolescente avait trouvé là une proie de choix. Quant à ma soif d'équité, elle me menait droit à l'injustice : plus ma mère évitait la confrontation, moins je l'épargnais. Devenue adulte je m'en voulus comme de toutes ces attitudes méchantes qu'on s'autorise en croyant avoir raison.

Ma mère s'affirmait indépendante et libérée ? Je riais en l'accusant de perpétuer la lignée de sa propre mère, cette mamie si peu féministe. Et de son plein gré, en plus, sans avoir pour excuse celle de sa génération.

Elle avait connu 68, merde. Elle avait fait sa révolution, brûlé sa petite culotte, connu le libertinage et un divorce. Comment pouvait-elle penser, pire, agir façon "Tout pour les bonshommes, et que les femmes s'écrasent ! Que le mâle soit content et la femelle exulte. Elle a renoncé à ses désirs, bafoué ses convictions, nié sa liberté ? Tant pis. On ne peut pas tout avoir, ma bonne dame."

Ce fossé m'était incompréhensible et partant, douloureux. Je me promettais, moi, de ne jamais me soumettre à un homme, à ses sautes d'humeur, à ses exigences et à ses desiderata.

 

Le terrorisme 4Après l'accident il y eut une scène terrible. Joshua conduisait vers mon là-bas. Derrière nous, le véhicule des pompes funèbres transportait la dépouille de ma mère.

Mon beau-père me parlait d'elle quand soudain, au détour d'une phrase, il éclata en sanglots. Toutes ces disputes larvées, ces guerres d'usure, ces journées d'inflexible mutisme l'étouffaient.

Conscient du temps gâché, de l'absurdité de son comportement et de la peine infligée à ma mère, il se les reprochait comme autant de crimes.

Pourquoi lui avoir mené la vie si dure ?

Pourquoi avoir monté des broutilles en épingle ?

Pourquoi ne pas avoir laissé couler ?

Pourquoi tant d'intransigeance ?

À présent son amour était mort et Joshua, impuissant, ne pouvait plus rien réparer. Il ne lui restait que des regrets et une immense culpabilité.

J'ai tenté de le réconforter. Ma mère l'aimait, c'était certain. Lui l'aimait aussi, sûrement de son mieux.

Je tus que le mieux ne suffit pas forcément.

 

En dépit des années, les crises de Joshua demeurent gravées dans ma mémoire. Je me souviens de tout, de ses traits crispés, bouche pincée et yeux sévères derrière ses lunettes, du désarroi de ma mère. Je me souviens de sa fatigue, de ses ras-le-bol et de ses tentatives de rabibochage.

L'humour, les câlins, les déclarations d'amour, les bons repas, aucun de ces remèdes ne marchait vraiment. Telle une méchante grippe, la maladie devait parvenir à son terme.

Mon exaspération d'alors s'est aujourd'hui à peine estompée. Je vomis toujours ceux qui font subir aux autres leurs silences, leurs humeurs et leurs mines d'enterrement.

C'est les prendre en otage, ni plus ni moins.

 

Le terrorisme 5À moins d'être stupide, la "victime" comprend qu'elle a mal agi ou blessé - et sans doute les deux.

Mais voilà... Son forfait ne lui saute pas toujours aux yeux.

Quelle erreur a-t-elle commise ?

Quelle attitude malheureuse, quels mots maladroits lui ont échappé ?

La meilleure volonté du monde ne lève pas tous les mystères. S'obstiner à se taire revient à priver quelqu'un de la possibilité de comprendre, de s'expliquer et de réparer.

Mais voilà... Avouer sa souffrance, c'est se montrer vulnérable, entrouvrir la carapace, permettre à l'autre, qui sait, de frapper à nouveau.

Mais si la confiance manque, à quoi bon ?


Rédiger cet article a en partie dissipé ma colère. Me voilà maintenant prête à lui écrire, à lui qui me fait la gueule depuis plusieurs jours.

Demain.

 

 

2e photo d'Helmut Newton.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Lundi 13 janvier 1 13 /01 /Jan 16:58

L'épisode précédent ici.

 

Une belle journée 7Osera, osera pas ? J'hésite.

Je suppose Basile d'accord même s'il n'en souffle pas mot. Ses yeux révèlent son désir mieux que sa bouche, son lent rapprochement mieux que ses gestes.

Sans doute sa timidité le retient-il.

Sans doute suppose-t-il que, plus âgée, je prendrai l'initiative. Il ignore que femme, je suis habituée à ce que les hommes la prennent. Stupide répartitition des rôles, j'en conviens.

Passer ce qu'il reste de la nuit à bavarder me suffit, d'autant que nous n'avons pas de chambre.

Lucie dort dans la nôtre et Basile dans le dortoir. Je répugne à demander au réceptionniste si l'une est vacante. Aucune envie d'affronter sa mine entendue et hier, l'hôtel était complet.

Pas un instant je n'imagine sillonner la ville à la recherche d'un hôtel. Sans compter que si je m'y endors, je raterai mon avion.


Coup d'oeil à ma montre. Plus que trois heures avant mon branle-bas de combat. Dans ma tête le compte à rebours s'est déjà enclenché. Ce temps trop vite enfui me condamne à une trop brève intimité avec Basile. Et plus nous la différons, plus elle sera brève.

Est-ce ce que je souhaite ? Non.

Je souhaite n'être tenue par aucune limite, aucun horaire. Je souhaite savourer la présence de cet homme, m'allonger contre son flanc, le déshabiller sans hâte, l'embrasser avec gourmandise et retenue, voir entre ses bras l'aube poindre à l'horizon des gratte-ciel.

Oui, vivre cette nuit comme si demain le lent cérémonial de la chair allait recommencer. Hélas, le temps est un luxe que je n'ai plus.

D'un autre côté, qu'ai-je donc à perdre ? Rien. Une fois évanouie, cette nuit ne reviendra pas. Amenées à se séparer, ma route et celle de Basile ne se recroiseront sans doute jamais. Pourquoi, alors, ne pas jouir de ces moments sur le fil ?

De la tendresse partagée, c'est déjà un beau souvenir.

 

Une belle journée 9Basile s'appuie contre mes jambes.

- Tu as un portrait de toi avec les cheveux courts ? Je serais curieux de te voir avant...

- Oh, ma période "garçon manqué" est loin !

Par acquit de conscience je fouille mon portefeuille. En exhume la photo de ma mère, de vilains photomatons réservés aux visas, sourire proscrit et traits fermés, ma licence de guide de plongée, ma carte d'identité philippine barrée de la mention "touriste".

Cette photo-là est sûrement la pire. Le scan a tellement aplati mon crâne qu'on jurerait un batracien passé victime d'un rouleau compresseur.

Basile glousse.

Qualité chinoise, factory defect ! dis-je en lui reprenant la carte qui pèle.

Je ne lui demande pas en retour comment lui, il était avant. Il est si jeune que ma question n'aurait pas grand sens.


Alors que je balaye mes cheveux de mes épaules, Basile s'enquiert :

- Tu les attaches parfois ?

- Souvent, ils me gênent.

Il effleure mes orteils parés de fuchsia.

- Tu vernis aussi tes mains ?

- Rarement. C'est trop d'entretien pour la vie que je mène, surtout quand je plonge.

Ce drôle d'interrogatoire me déconcerte et m'amuse. Touche après touche, Basile semble chercher à saisir celle que je suis. Comme si un filet de petits riens pouvait emprisonner mon être. Comme si j'étais capable de résumer toutes les femmes. Comme si mes réponses avaient ce soir une quelconque importance.

- Et du maquillage, tu en mets ?

- Oui.

Je ne précise pas "chaque jour et sûrement de plus en plus". Je tais que le temps est cruel, surtout le matin dans la glace. Il est des évidences dont Basile a la vie pour se rendre compte.

- Ah, l'âge, quelle injustice ! dis-je. Tu ne connais pas le proverbe ? Un homme avec des rides est un homme mûr, séduisant, un aventurier qui a roulé sa bosse. Une femme avec des rides, c'est tout simplement une femme... ridée.

Mon compagnon se récrie. Les rides sont charmantes, touchantes, adorables, surtout aux coins des paupières ! Je ris de bon coeur. À ce compte-là, autant travailler mes pattes d'oie.

 

Une belle journée 8- Tu veux te reposer ? Je comprendrai, pas de souci.

Nouveau regard à ma montre. Haussement d'épaules.

- Je ne crois pas. Il est déjà si tard que dormir serait pire...

Je ne demande pas à Basile si lui veut rejoindre son lit. Je crois qu'il me le dirait sans façon, avec ce naturel, cette douceur et cette bienveillance qui ne le quittent jamais.

- Installons-nous au salon, d'accord ? J'ai juste besoin de m'étendre.

Sitôt dit, sitôt fait. Dans la pénombre l'immense canapé accueille nos têtes renversées contre son dossier, nos bras et nos jambes mêlés.


Tapotant le menton de Basile, je le plaisante sur sa barbe.

Compte-t-il l'avoir jusqu'aux genoux ?

Est-elle douce, rêche ou fleurie ?

Sait-il que l'avènement des barbus-poilus le transforme en icône de mode ?

Il s'esclaffe à mi-voix. Son style ne doit rien aux dernières tendances dont il se fiche, mais tout à la perte de son rasoir favori.

Un silence léger tombe entre nous.

- Je peux t'embrasser ? chuchote Basile.

- Bien sûr...

Ses lèvres s'emparent de ma bouche. Lorsqu'elles la quittent, je murmure dans un sourire "Votre barbe est rugueuse, mon cher...". Alors que son front se niche dans mon cou, que ses ongles serpentent sur mes reins et que ses genoux écartent mes cuisses, il se désolera :

- Pourquoi ne t'ai-je pas embrassée avant ?

Et moi je penserai qu'il n'a rien à se reprocher, car c'est de ma faute.

Mais pour le moment, je pense surtout que notre point de chute n'a rien d'un refuge. Contigu au dortoir, le salon télé nous interdit de manifester le moindre plaisir. Ouvert aux quatre vents, il nous offre aux regards du premier venu. Pas question de nous dévêtir sur ce canapé même s'il a dû supporter d'autres étreintes, et des plus salées. Ses coussins moelleux sont un appel aux câlins, sa taille imposante à l'adultère.

Basile et moi y tenons sans peine côte à côte, en quinconce ou en cuillères.

 

Une belle journée 10bisContre mon ventre, la boule dure de sa verge. Un bouton, deux boutons, la chemise rouge s'ouvre et le torse de mon amant apparaît, lisse et musclé. J'embrasse ses tétons en retenant ma main de filer sous sa ceinture.

Ce n'est pas la pudeur qui me retient.

À cette minute je me moque d'être surprise à demi-nue. C'est le spectacle de notre tendresse que je veux protéger.

Cette tendresse qui, entre deux frissons de fatigue, palpite sous mes côtes.

Cette tendresse qui guide ma paume sur les flancs de Basile et la pose sur son coeur chaviré. Qui, attentive à son souffle, à ses plaintes, à ses soupirs, me submerge de mots que je tais.

Arc-boutés sur notre couche, nous tourbillonnons immobiles.


- Mais pourquoi ne t'ai-je pas embrassée avant ? répète Basile.

Ses doigts écartent ma culotte, titillent mon clitoris, se faufilent dans ma fente.

Je ferme paupières, poings, cuisses pour les retenir au fond de moi. Leur délicieux va-et-vient m'arrache un cri bloqué entre mes dents. C'est bon, si bon que je brûle de hurler dans le salon désert, de réveiller tous les dormeurs de tous les étages, de supplier mon amant de ne pas s'arrêter, pas encore.

À peine abandonnée, j'amorce un geste de repli.

Étonné, Basile résiste. Pas question que je lui échappe si vite.

Je le rassure d'un sourire. Mon intention n'est pas de fuir mais de dégrafer sa ceinture.

Son sexe remplit ma paume jusqu'au poignet. Sur son gland, l'humidité de son désir. Je veux la goûter, la laper, m'en emplir la gorge.

Pouce à pouce je descends le long de sa poitrine, de son ventre, de son entrejambe.

Sa bite gorgée de sève passe la frontière de mes lèvres. Je l'accueille et la polis, la lèche et l'astique en caressant ses couilles de ma main libre.

Enfouit ses doigts dans ma chevelure, mon amant se mord les lèvres.

Soudain je m'interromps, saisie entre le fou rire et l'horreur.

- Merde !

- Quoi ? questionne Basile égaré.

Je lui montre le plafond. Vissée à l'angle et reliée à un câble serti dans le mur, une boîte métallique.

- J'ai oublié... La caméra de surveillance ! Il y en a partout, cet hôtel est un vrai coffre-fort !

- Euh... Tu crois qu'elle est pointée sur nous ?

Mon amant désigne les casiers des résidents. Fermés à clé, ils contiennent tous leurs objets de valeur.

- Ce sont plutôt eux qu'il faudrait protéger !

- En effet, mais va savoir...

 

Une belle journée 11Basile et moi scrutons la caméra. En retour son oeil semble nous dévisager, menaçant.

Fonctionne-t-elle ? Sûrement.

Peut-elle saisir la pièce sous différents angles ? Probablement.

Diffuse-t-elle les images en temps réel ? Sans doute.

Est-elle à la fois le témoin et le mouchard de nos ébats ? Plausible.

Au rez-de-chaussée, peut-être le réceptionniste s'est-il assoupi. Peut-être pas.

Face à l'écran de contrôle, il ne peut qu'avoir compris de quoi il retourne.

Et s'il montait pour nous chasser du salon ? Et s'il était déjà en route ?

Nous tendons l'oreille.

Pas un bruit.

- On devrait changer de pièce, non ?

- Attends, j'ai une solution...

Déployant mon écharpe rose tel un étendard, j'en recouvre nos corps imbriqués. Nos préliminaires se prolongeront sous ce fragile abri.

Bien que parfois un coude, un téton ou un sein en dépasseront, morale, apparences et bienséances resteront sauves, à peine écornées par les franges du tissu.

 

Mon sac de voyage sur le dos, la mine radieuse et chiffonnée de baisers, je salue le réceptionniste. Il me retourne mon bonjour. Je guette dans ses pupilles une étincelle de désapprobation ou de complicité. N'y trouve que le vide, ce qui ne signifie pas grand-chose. Aussi sombres que mystérieux, les yeux des Asiatiques sont une énigme difficile à percer. Si celui-ci est au courant de mes ébats, il compte bien les garder secrets. 

Je me persuade qu'il n'en a rien su, rien vu, rien soupçonné. Le doute me vient lorsqu'avant de quitter l'hôtel, je dois retourner dans ma chambre.

Me voyant remonter au galop, le réceptionniste m'interroge :

- Vous y aviez laissé quelque chose ?

- Oui.

- Votre coeur, peut-être ?

Je n'ai rien dit. J'ai juste souri à l'asiatique.

Demain sera une belle journée pour les sagittaires, Basile.

 

 

2e illustration d'Enki Bilal, dernière photo de William Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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