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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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En profondeur... passion plongée

Mardi 8 mai 2 08 /05 /Mai 18:54

24-29 avril 2012.

 

 

TubbatahaDes années que je rêvais de Tubbataha. Des années que je me promettais, un jour, d'y tremper mes palmes.

Le temps avait passé et je n'étais toujours pas allée à Tubbataha.

Fidèle à mon nouveau programme de vie, je décidai que ce voyage serait cette année.


Tubbataha est une mecque des plongeurs. Non pour les petites créatures qui peuplent les océans, mais pour les grosses : des requins, énormément. À pointes noire, blanche, argent, baleine, de récif et même marteau.

Des raies aigles et mantas, des dauphins, des tortues, des napoléons, des bancs de carangues, découverts au rythme épuisant de nos immersions : cinq par jour. La première à 6h30, la dernière, de nuit, s'achevant douze heures plus tard.

Une semaine et l'impression de n'être jamais sèche. De passer mes journées à me changer pour plonger, à plonger, à me reposer d'avoir plongé.

Donna, la divemaster en chef, nous avait prévenus :

- Si jamais vos cheveux sont secs, c'est qu'il est temps de vous équiper.


Une semaine d'aventure humaine, aussi.

Treize autres passagers sur le bateau, dix nationalités de l'Europe à l'Asie. Un seul couple, un père et son fils, deux paires d'amis et des célibataires. Des personnalités fortes, douces, drôles, attachantes.

Donna la Philippine, amoureuse d'un Français qu'elle espère rejoindre.

Un Suisse-Allemand globe-trotter. Bel homme ayant tout pour lui, que je revis à Bohol, qui s'attarda comme moi à Puerto Princesa et rencontra Adrien.

Un Polonais décalé à l'humour caustique, aficionado de Frank Zappa et Peter Greenaway.

Un Suisse italien qui me prêta sa lampe quand la mienne mourut à la première plongée de nuit.

Ma compagne de (modeste) cabine, une Coréenne aussi américanisée que réservée. Quand elle sortait de son mutisme, c'était d'une voix forte pour exposer une vision pragmatique des relations amoureuses : les hommes allant et venant, à quoi bon s'embarrasser d'un trop encombrant ? Et pourquoi lutter alors que, dans la mer, il y a tant de poissons ?

Deux Chinois, l'un à la face de lune et l'autre aux dents tachées de nicotine. Distraits et maladroits comme les Pieds Nickelés, souvent les derniers à embarquer sur le speedboat, quand il ne leur manquait pas quelque chose : une palme, un chausson, leurs appareils photo.

Le soir sur le pont, ça parlait dans toutes les langues entre bières et cigarettes, discussions sérieuses et francs éclats de rire.


Tubbataha 3Tubbataha semble être bout du monde, à mille milles de toute terre habitée. L'est effectivement.

Ses deux îlots, sauvages confettis perdus dans le nulle part, se trouvent à quinze heures de Puerto Princesa. Autant dire qu'il faut rester très prudent. Ne surtout pas jouer à la roulette russe des maladies de la décompression. On a largement le temps d'être paralysé - ou mort - avant d'atteindre le premier caisson.

En une semaine, nous ne croisâmes que trois bateaux, dédiés eux aussi à la plongée.

Dans une poignée de semaines il n'y aura plus de bateau du tout. Tubbataha, destination reculée de l'ouest philippin, n'est accessible que de mars à mi-juin. Avant et après, la mer est trop mauvaise, les vents trop contraires, les courants trop traîtres.

Les seuls à rester sont les rangers qui veillent sur ce sanctuaire.

L'avant-dernier jour, nous leur rendîmes une courte visite.

 

Notre bateau s'amarra dans le bleu. Nous fûmes huit à monter dans une chaloupe. Destination une langue de sable découverte par la marée basse.

Plantée à proximité, sur pilotis au milieu, une construction blanchâtre.

L'abri des rangers.

La chaloupe s'arrêta à quelque distance. Nous traversâmes le bras de mer sandales à la main, mollets et cuisses battus par les tourbillons. À l'horizon, bande outremer déposée sur un azur translucide, le ciel s'obscurcissait déjà. Des tons plus doux, orange, violine et or, le zébraient de quelques griffures. De rares nuages y flottaient, si blancs, si compacts, à la base si plate qu'ils semblaient sculptés dans de la Chantilly.

Le coucher de soleil s'annonçait somptueux. Il le fut. Lent et majestueux comme un miracle, d'une beauté à tordre l'âme, dans un silence à peine troublé par les hommes.

Parfois l'eau se frangeait de remous. Un poisson volant ou la tête d'une tortue venue respirer à la surface. Entre nos orteils de petits crabes se faufilaient comme pour nous rappeler que, même dérangés, ils demeuraient ici les seuls habitants légitimes.

Dès notre départ ils reprendraient et leur sol et leurs droits.


Des marches de bois rongées par le sel menaient à la bâtisse des rangers.

Nous les empruntâmes à la queue leu-leu. Une fois à l'intérieur, je ne pus retenir un cri.

D'abord une pièce miteuse avec des babioles à acheter, du tee-shirt au porte-clefs en passant par les autocollants.

Puis, sale et fissurée, une salle d'un seul tenant ouverte sur la mer, hérissée de lits superposés. Témoins forcés les uns des autres, les rangers dorment là, sans intimité ni confort. Pour se laver, faire la vaisselle et nettoyer leurs vêtements, ils dépendent de l'eau de pluie.

À notre arrivée, les gros bidons de stockage étaient presque vides. Rationnement forcé et annonce de jours plus difficiles encore, à moins que la météo ne leur soit clémente.

Une cuisine minuscule complète le tout. Ameublement sommaire encombré de produits de première nécessité : riz, huile, sauce. La nourriture principale est encore le poisson tout frais pêché.


Tubbataha 2bisLes lieux donnent une impression de superficiel râclé jusqu'à l'os, de dénuement conjuré par la magnificence du paysage. De mer et d'immensité liquide, nu lui aussi mais si plein à la fois.


Un poisson jaillit de l'onde pour y retomber et s'y confondre.

Un oiseau traversa en oblique le feu du soleil.

Plus aveuglants qu'un brasier, ses derniers rayons rougeoyaient.

Debout face à l'horizon, pieds recouverts de sable tiède, jambes et bras offerts à la brise, je sentis le souffle du monde me caresser la nuque.

Son souffle et son chant d'une infinie beauté.

 


Photos : Iroshi Nonami, Ric Frazier. 

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 2 novembre 3 02 /11 /Nov 16:27

 

Juste avant, il y avait ça...

 

 

 

Bondage UW 4C'est une journée magnifique. Une de bleu philippin intense, à peine rafraîchie d'un souffle de vent. Mingus et moi apportons le matériel de plongée au bord de la piscine. Trois clients de l'hôtel s'y baignent. Ils nous regardent nous préparer. Distraitement, mais avec davantage d'attention lorsque Mingus entoure mon cou d'une corde prénouée.

Combinaison contre maillot, nos tenues éveillent peut-être aussi leur curiosité.

Nous nous mettons à l'eau.

Absorbés par le bleu, nous ne verrons bientôt plus les clients, ni ne saurons s'ils restent à nous guetter.


Je descends dans la zone la plus profonde de la piscine. Le tuyau de l'octopus, quoique plus long que celui du détendeur, ne me permet pas d'atteindre le fond. Batailler contre l'embout qui se tord entre mes lèvres, nager chargée de plusieurs kilos est épuisant.

J'indique à Mingus la partie où j'aurai pied. Il me suit.


Pesant sur mes mollets, une ceinture garnie de plombs. Elle me retient agenouillée sur le carrelage de la piscine. Face à moi, les iris de Mingus pâlis de plaisir, assombris de concentration. Autour de ma poitrine, sur mes côtes, entre mes jambes, dans mon dos, la corde passe et repasse entre les noeuds. Serpents paresseux gorgés d'eau, ses deux bouts libres ondulent à nos côtés.

D'une pression, les paumes de Mingus me tournent et retournent. Il travaille vite, à gestes précis.

Pendant ce temps, je suis le trajet de nos bulles jusqu'à la surface. A la fois absente et lointaine. Ici, dans cette eau tiède et là-bas, sous la voûte du ciel. Dans mon corps et en dehors, flottant comme ces particules en suspension qui, lentement, s'en vont rejoindre le fond. 

Mingus me lie les mains. Ma respiration ne change pas. Toujours calme et profonde tandis que la corde enserre mes chevilles, puis que sa tension m'arque en demi-cercle.

Privée de mouvements, je souris. Me voilà enfermée dans un harnais dont la symétrie souligne mes courbes et déliés, me faisant paraître, comme je le découvrirai par la suite, aussi menue que vulnérable.


Mingus me désigne son octopus. J'acquiesce. D'accord pour partager la même bouteille. Maintenant.

Ôter le détendeur, le remettre, le purger afin de ne pas avaler d'eau... Geste routinier en plongée. Mais cette fois, ce n'est pas moi qui le maîtrise, et cette absence même de contrôle me le rend moins familier, presque étrange.

Mingus enlève doucement l'embout de mes lèvres pour y placer aussitôt le sien. Mon équipement rendu à sa liberté part à la dérive. Par précaution, nous le prendrons avec nous : vu sa carrure, Mingus consomme beaucoup plus d'air que moi, et il n'est pas question de nous retrouver en panne sèche.

Direction la zone profonde. Immobilisée par ma gangue de cordes, je ne peux pas nager. C'est donc Mingus qui m'emmène, me tractant à vigoureux coups de palmes sur toute la longueur de la piscine. Je me fais l'effet d'un poids mort ayant gagné un tour de manège.

Il s'arrête au bord de la haute marche séparant le petit bassin du grand. Encore quelques centimètres, un saut, et la ceinture enroulée autour de mes jambes me fera couler à pic.

Je suis prête.


Bondage UW 6La ceinture a quitté mes jambes pour reposer sur les carreaux bleus. Reliée à elle par une longue corde prise dans mon harnais, je peine à trouver un quelconque équilibre.

Chaque inspiration me projette vers la surface, chaque expiration vers le fond. Même en l'absence de courant ou de vaguelettes, mon corps ballotte de droite et de gauche, tantôt croupe, tantôt épaules en haut.

Impossible, évidemment, d'utiliser mes bras pour me stabiliser.

Concentration. Recherche de mon centre de gravité, les paupières closes pour retrouver la sensation unique de l'eau, l'abandon sans poids ni efforts.


Mingus m'aide en réajustant la corde de suspension. Plus courte, elle restreint d'autant ma liberté, mais me garantit moins de turbulences.

Enfin. Pour quelques secondes ou minutes, j'atteins le point d'équilibre parfait. Celui où toutes les forces et tensions s'annulent. Celui où, bien que captive, je me sens entièrement libre.

Une lueur traverse les yeux de Mingus.

Que lit-il dans les miens ? Sûrement le même éclat, la même satisfaction d'une petite victoire.

Complicité, partage, et une pause pour savourer l'instant.


Le repos ne dure pas, car je sais ce qui va suivre. D'un geste, Mingus me demande la permission de me priver d'air. J'accepte. L'octopus sort de ma bouche pour flotter à mes côtés, si proche et en même temps inaccessible.

Je sais que Mingus me le rendra dès que j'en aurai besoin. Dès que, gauche, droite, ma tête aura exécuté ce bref mouvement qui est notre signal. Ma raison ne connaît pas l'ombre d'un doute. Mais une part enfouie, l'instinct de survie peut-être, résiste encore.

D'ailleurs, peut-être les amateurs de baptême en parachute éprouvent-ils aussi cette forme d'angoisse, cette boule en expansion au creux de l'estomac. Se jeter dans le vide est contre nature. Se couper d'air dans l'eau également. Même assuré des meilleurs garanties, notre esprit ne se laisse ni si facilement convaincre, ni si aisément apaiser.


Voici venu le tour du masque. Bientôt le monde bleu piscine va disparaître. Je risque de perdre mes lentilles de contact. Ce qui signifierait, effarante myopie oblige, qu'avec ou sans masque, il n'y aura de toute façon aucune différence.

La bride se détache de mes cheveux. Dernier regard à Mingus avant que l'eau ne se rue sur mes yeux. Sensation désagréable d'un barrage qui se rompt en pleine face. J'ouvre les paupières. Ne vois rien, hormis une vague forme s'agitant sous mon nez. Le chlore me brûle. Je voudrais me frotter le visage mais mes mains sont attachées. Je voudrais remonter mais suis prisonnière.

Toutes les alarmes de danger cornent à mes oreilles. Une peur animale éclate dans mes tripes, au-delà de la logique et des mots. Terreur primitive déjà éprouvée à Sipadan*, lorsqu'à force de lutter contre le courant, je me suis essoufflée. Suffocation à vingt mètres, avec l'impression - non, la certitude -, que le tuyau de mon détendeur était trop étroit pour me fournir assez d'air. Geste instinctif de vouloir l'arracher pour enfin respirer à pleines goulées. Intense bataille pour forcer ma raison à reprendre le dessus.


Bondage UW 7Si mon corps exigeait de l'air, là, sur le champ, mon cerveau savait qu'en rejetant mon embout, je me noierais. Alors, aggripée à un rocher, j'ai attendu que mon coeur et ma respiration se calment, que mon esprit lentement dissolve le bloc de panique qui m'écrasait.

La lutte encore, juste après. Contre la trouille mal dissipée qui brouillait mes gestes. Contre les tremblements qui m'agitaient jusqu'aux palmes. Contre l'envie de terminer immédiatement cette épreuve. Y succomber, c'était risquer de laisser la peur gâcher ma passion. De ne plus replonger sans craintes, voire de ne plus replonger du tout.

Mon adolescence de cavalière m'insuffla la force de continuer. Sitôt tombée de cheval, sitôt remontée. Mais jamais, je crois, je n'ai été si heureuse de revenir sur le bateau. Comme jamais, pour sûr, je ne fus aussi soulagée de sentir un détendeur entre mes dents.

S'apercevant de ma confusion, Mingus me l'avait aussitôt replacé. 

 

J'étais mécontente de moi, agacée de m'être abandonnée à une panique sans objet, déçue d'avoir perdu mon sens de l'eau, la complicité qui d'habitude m'arrime à elle.

Pourtant, lors de cette session, j'ai beaucoup appris. Sur une réaction inattendue en dépit de ma confiance. Sur ma capacité à malgré tout me dominer. Sur l'importance de ce que, poussés par un excès d'optimisme, Mingus et moi avions négligé : davantage procéder par petites étapes. Être privée de mouvements, d'air et de vue dès la première fois était en effet trop ambitieux.

De fait, les séances suivantes furent plus progressives. J’y gardai par exemple les mains libres. Ma source d’air ne venait pas de Mingus mais de mon propre équipement, ce qui la rendait toujours accessible.

Une part importante de notre travail consista à résoudre mon problème de stabilité sous-marine : tâtonnements avec plusieurs ceintures, différentes répartitions de poids, réglages des longueurs de cordes. Loin de gâcher notre plaisir, ces aspects concrets nous semblèrent autant de casse-têtes ludiques.

 

Avec l’arrivée de la haute saison, la piscine sera bondée. Sans doute devrons-nous interrompre nos séances de bondage. Les clients de l’hôtel pourraient s’offusquer d’un jeu qui limite leur espace de baignade. Un jeu que de plus ils ne comprennent pas, mais dont nous avons heureusement gommé la dimension sexuelle.

- Si quelqu’un s’étonne de notre activité, prétendons un entraînement pour une évacuation par hélicoptère, a suggéré Mingus.

J’ai souri. Le jardinier qui ratissait les feuilles à côté du bassin aussi.

 


* Sipadan ou "the untouched piece of art" du commandant Cousteau : île entourée de superbes sites de plongée, située en Malaisie, côté Bornéo. L'accès y étant limité, il faut au préalable obtenir un permis. 

 

 

Dernière photo : Amano.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Lundi 26 septembre 1 26 /09 /Sep 16:51

Projet bondage UWLa piscine de l'hôtel est déserte. Tant mieux. Mingus et moi ne souhaitons pas de spectateurs. Notre session d'aujourd'hui risquerait fort de les dérouter, voire de les déranger. Ou de leur donner une fausse idée de la plongée, ce qui n'est pas le but.

Le nôtre est purement ludique, esthétique, expérimental. Égoïste aussi, car il ne vise aucun public.

Un jour, peut-être proposerons-nous une formation, un atelier découverte. Mais ce jour semble si lointain qu'il se perd dans la brume.


Voilà quelque temps que l'idée a surgi. Qu'elle a refait surface au gré de nos échanges. D'abord comme une plaisanterie, un défi de coin de table. Ensuite comme une piste à creuser. Puis, cette semaine, la décision : trêve de discussions, place à l'action.

En l'occurrence, à la séance test de bondage sous-marin.

Depuis notre premier essai en Thaïlande, à sec dans un bungalow de Koh Tao, Mingus s'est découvert la passion du shibari. A lié un mois durant toutes sortes de corps féminins. Les gracieux aux formes esquissées d'adolescente, les plantureux de l'âge plus mûr. 

Moi qui tourne autour des jeux de cordes depuis quelques années, je brûle de découvrir sous ses doigts la sensation de ne rien peser. D'évoluer, libre et entravée, en apesanteur.

À notre connaissance, personne n'a encore jamais vraiment croisé le bondage et la plongée, ni établi de passerelle de l'un à l'autre. Sûrement parce que les adeptes de ces deux disciplines se comptant en petit nombre, leur intersection n'en est que plus limitée.

Peut-être pour des raisons de sécurité, quoique celles-ci ne soient pas si difficiles à résoudre. Chaque jour, d'ailleurs, une foule de gens tentent sans filet des expériences plus périlleuses.

Pour nous, le filet n'est pas en option, mais tant que possible solidement tressé.


Avant de nous lancer, brève recherche Internet. Tout conseil, exemple, astuce est bon à prendre. Sans surprise, les sites pornographiques tiennent le haut du pavé. La plongée s'y limite à une courte immersion, le shibari à un vague ligotage.

Ni art ni recherche, juste du cul à consommer.

Sur un site, une photo attire mon regard. Une femme blanche et nue, potelée, mains encordées dans le dos, allongée sur le ventre dans une baignoire remplie. Coupant ses cheveux, la lanière d'un masque. Entre ses lèvres invisibles, un tuba.

Vision incongrue de deux mondes qui se superposent.

Le cliché me rebute. Il m'évoque le supplice du seau, au cours duquel les bourreaux plongent le tête de leur victime dans un baquet, jusqu'à l'étouffement, la presque noyade. La photo semble d'ailleurs sorti d'un lieu du crime ou d'un rapport de police estampillé "décès loufoques". Echouée face contre la faïence, cette femme figée paraît morte. Je me demande combien de temps, prisonnière, elle est restée là, abandonnée au bon vouloir de son Maître.

Puis, comme souvent, des questions sans importance prennent le relais :

"Fut-elle directement attachée dans la baignoire ?"

"L'eau était-elle tiède ou froide ?"


 

Bondage UW 3Dans notre version achevée, les jeux de liens se dérouleront à moyenne profondeur, en pleine mer.

Mingus m'attachera d'abord le corps. Entrelacs de cordes passant et repassant entre mes seins, sur mon ventre, mes cuisses, ma colonne vertébrale, mes épaules.

Ensuite viendront les poignets et les chevilles, ensemble, dans le dos.

Pour moi, pas de combinaison de plongée mais un simple maillot de bain, sans masque ni détendeur en bouche.

Pour Mingus, un équipement complet. Avec la certitude qu'il me fournira de l'air selon mes besoins. Plus encore que les fils tressés, c'est son octopus* qui, en signe du lien, formera notre alliance.

Pour lui, un travail sur la précision, l'adresse, la rapidité.

Pour moi, sur la confiance, le souffle et l'abandon.

 

Côté poids, nous ne savons pas encore. J'en ai besoin pour me maintenir au fond, mais une ceinture de plomb est inesthétique. Il est par ailleurs exclu que les cordes la chevauchent : en cas de problème, l'un de nous doit être capable de l'ouvrir d'un geste pour me laisser remonter.

Notre préférence ira certainement à des poids fixés à mes chevilles par une boucle. Ou à une corde arrimée à un rocher.

Régler cette question n'est toutefois pas une priorité. Nous voulons d'abord nous entraîner, vérifier le comportement des cordes mouillées et explorer les sensations d'une expérience qui a tout l'air d'un défi.

Qu'est-ce que ça fait d'attacher un corps privé de poids ? De le faire tourbillonner entre ses paumes, d'une simple pression ?

Qu'est-ce que ça fait d'être attachée sous l'eau ? Et sans masque ? Puis sans air ?

 

Voilà les questions que je me pose.

Aujourd'hui elles trouveront autant de réponses.

 

 

* Octopus : source d'air dite "alternative" (ou de secours) reliée, comme le détendeur principal, à la bouteille. Le tuyau de l'octopus et l'embout lui-même sont d'une couleur différente que le détendeur - en général jaune vif - pour être identifié facilement.

 

 

Photo de bondage : Nabuyoshi Araki.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Jeudi 28 octobre 4 28 /10 /Oct 13:32

Malapascua, Philippines.

 

 

Salée 1Salée comme l'eau de la douche.

Sur cette petite île de carte postale, aucune chambre n'a d'eau vraiment douce. Elle coule toujours salée des robinets, avec une concentration variable selon les jours et les endroits.

Même propre, le linge reste rêche, raidi de sel, crissant légèrement sous les doigts. Il n'a ni la souplesse qui suit les grandes lessives, ni le toucher aérien des étoffes pourtant séchées au grand vent.

 

 

Salée comme ma peau.

Baignée de sel et de sueur, la peau non plus n'est jamais tout à fait souple. Elle s'assèche, se fendille et tiraille, rendue comme trop étroite par le soleil, écharpée par la limaille du sable.

Ma langue suit le contour de ma bouche, humectant mes lèvres de salive douce. Renversée face au ciel, je pense au goût qu'aurait une autre peau sous mes dents, à celui du sperme fusant sur ma langue et au sucré apaisant d'un chocolat chaud. Celui que je boirai après la plongée, quand le vent se sera levé pour me laisser frissonnante, maillot mouillé collé à la peau, tapie derrière le moteur du bateau pour lui arracher un peu de sa chaleur, les yeux encore débordants de visions sous-marines.

Le coeur noir et bleu des oursins palpitant entre les piquants, les poissons virevoltant au-dessus des rochers, les minuscules crabes cachés au centre des anémones.

Les vallons de coraux multicolores ondulant dans le courant, paysage d'une autre planète que nous survolons en apesanteur.

 


Salés comme les embruns.

Lorsque nous avons quitté la plage, le ciel était blanc. Minute après minute, il se teinta d'un gris d'encre pour virer au noir fusain. La bangka enfonçait son étrave dans les vagues, moissonnant le champ de l'océan dans une inutile récolte. Les crêtes moutonnantes tourbillonnaient autour de la coque. Des paquets de mer giflaient le pont, jaillissaient de sous les plats-bords pour nous tremper jusqu'aux os. Coincées sous les bancs, les caisses de matériel rebondissaient les unes contre les autres. Les bouteilles d'aluminium s'entrechoquaient dans de brusques cliquetis.

Depuis que je plonge, je sais reconnaître ce bruit entre mille. A chaque fois, il me transporte car il me parle de liberté et de périples, de traversées et d'immersions.

A Paris, un de mes voisins avait accroché un mobile à sa fenêtre. Quand le vent soufflait, les pièces métalliques tintaient comme des tanks de plongée et je fermais les paupières en m'imaginant ailleurs, passagère clandestine d'un voyage immobile.

 

SaléeLe ciel creva dans un coup de tonnerre. Des trombes d'eau nous cinglèrent, délayant sur nos peaux le sel de la mer.

L'ancre jetée, nous nous harnachâmes pour sauter du pont un à un, vidèrent nos gilets pour descendre dans l'eau sombre.

Sous nos palmes, l'épave d'un navire japonais.

Eparpillées entre les coraux, les pierres et les sédiments, des traces des marins perdus, dérisoires témoins d'un naufrage de la seconde guerre mondiale.

D'épaisses semelles de chaussures, gros orteil séparé des quatre autres.

Un interrupteur intact au bouton encore mobile.

Il paraît qu'un squelette gît encore au fond. Nous ne l'avons pas vu.


Salée comme la mer.

Jambes écartées, bras croisés sur la poitrine, je flottais. Sans poids, sans efforts, dans un merveilleux équilibre.

Avoir un corps ne me signifiait plus rien, puisque je n'avais plus de corps. Plus de chair non plus.

Vidée de ma substance des cheveux aux orteils, j'étais eau, mêlée à elle dans ce qui n'était même pas une étreinte. Une étreinte suppose un corps étranger, une autre masse à laquelle s'accrocher et là, il n'y avait rien. Rien que le liquide et moi fusionnés.


Pourtant j'avais la sensation aiguë de mon corps oublié. Magique et étrange sensation de m'habiter pleinement en étant absente à moi-même.

Je savais qu'en gonflant plus amplement mes poumons, je remonterais d'un petit mètre. Qu'en inclinant un peu, à peine ma cheville, je virerais sur la droite. Mes palmes n'étaient pas un ajout de plastique, mais une partie de moi-même, mes nageoires terminales.

Je flottais, volais, dissoute et démultipliée, parcourue d'un plaisir impossible à décrire.

 

De retour sur terre, une plongeuse me dit :

- Je te regardais sous l'eau. Tout avait l'air si facile, tu bougeais si peu que j'ai cru que tu dormais.

Non, je ne dormais pas. J'étais ailleurs, en patrie de grâce.

Salée comme les larmes qui embuèrent mon masque.

 

 

La 2e photo est de James Walter.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Lundi 8 mars 1 08 /03 /Mars 10:54

Tendresse aquatiquePaul me prit dans ses bras. Je frissonnai. Non, je ne frissonnai pas, je tremblai des pieds à la tête, bras et buste agités de soubresauts incontrôlables.
Nous nous écartâmes l’un de l’autre, assez pour que ses bras se dénouent et que je puisse saisir son regard. Bleu marin pailleté de jaune, pétillant, inchangé mais aussi plus sombre, mêlé d’une lueur particulière que j’avais discernée à plusieurs reprises au cours de ces journées.

Paul veillait sur moi. Il n’était pas vraiment inquiet, mais vigilant, attentif à mes gestes, mes expressions et mon regard. J'ignore ce qu’il lut dans le mien à ce moment-là, mais lentement il écarta les pans de son gilet pour que je vienne y nicher mes mains.
Main gauche d’abord en poing compact. Main droite ensuite, doigts un à un étendus à l’aplomb de son cœur. Je le sentais battre à coups réguliers, égrenant les secondes se transformant en minutes.

Deux, trois, quatre… Paul et moi ne pouvions pas bouger. Juste nous déplacer un peu, de droite à gauche, prisonniers de cette corde tendue entre nous. Je frissonnai encore, d’un grand spasme me secouant de l’échine aux talons, me projetant un bref instant vers Paul puis m’en éloignant brusquement.
Mes doigts encore crispés un à un s’allongèrent pour me réchauffer à sa poitrine. Elle resta froide comme mes mouvements ne générant aucune chaleur, aucun répit. Je cessai de bouger pour me faire molle, abandonnée aux caresses et baisers glacés de l’eau.

Paul glissa un bras autour de mes épaules. J’ôtai avec lenteur mes mains pour l’enlacer à mon tour, brûlant de le serrer tout contre moi et pestant d’en être incapable.
Mes mollets remontèrent à ses genoux et suivirent le trajet de ses cuisses. Alors qu’ils allaient étreindre ses hanches, je leur ordonnai de sagement redescendre dans le droit alignement de ma colonne. Mais droit n’était pas le bon mot.
Liée à Paul par son bras qui coulissait des épaules à ma taille, me pressait doucement contre son buste, j’étais courbe ou plutôt courbée, virgule perdue dans le bleu noir immense, attachée à cet homme par la force de ses muscles, de mes doigts entrelacés sur sa nuque et du désir que j’avais de lui.



Tendresse 2Dans cette position nous étions comme à terre. Un homme long, délié, debout face à une femme plus petite et dense, tous deux si proches bien que séparés d’une longueur de main.

Front baissé, je jouxtais le cou de Paul. Menton levé, je touchais sa tête. Nos lèvres étaient alors si près qu’elles auraient pu se toucher.

Elles ne le firent pas. Il y avait entre nous trop de distances impossibles à combler.
Celle de nos combinaisons et de gilets à moitié gonflés, embarrassés de nos tuyaux, lampes, instruments, bobines de fil et couteaux. Celle de nos régulateurs enfoncés dans nos bouches avec leurs embouts de plastique collés à nos dents. Nous aurions pu les enlever le temps d’un très court baiser, certes. Mais là encore se dressait une barrière, cette fois plus impalpable. La retenue de la timidité réciproque sans doute, du savoir sans oser en mince cloison de papier. Un simple geste aurait suffi, je crois, à la déchirer.
Ni Paul ni moi n’en prîmes l’initiative.
La retenue du désir, voire le simple désir lui-même, était ce jour-là bien plus beau, plus intense que son achèvement.

 


En mémoire d'une fin d'après-midi sur épave par 26 mètres,
avec utilisation de torches et d'une ligne de pénétration.
Plongée de plus d'une heure avec palier de décompression de... 24 minutes.

2e photo : DR.
Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Samedi 23 janvier 6 23 /01 /Jan 17:54

Grand bleuLa nuit dernière, j'ai regardé un film d'adolescence : Le Grand Bleu. À sa sortie, j'avais vu les deux versions. La courte dans un cinéma de quartier, la longue dans une salle mythique de Paris, avec Salomé.

Nous avions ri de l'affiche qui annonçait
"N'y allez pas, ça dure trois heures !".

Après s'être fait étriller à l'avant-première de Cannes, le film rencontra un vrai, un grand succès populaire. Avec sa petite phase d'accroche, Besson prenait ironiquement sa revanche.

Son "bébé" ayant été propulsé le film culte d'une génération, il y avait de quoi. 
Du
Grand Bleu je ne me rappelais pas grand-chose, mais ce si peu suffit à résumer le film : la musique planante d'Eric Serra, de grandioses images sous-marines, une compétition entre apnéistes, un amour impossible, la mort en eaux profondes (du moins pour la copie française... l'américaine, elle, a été retaillée avec un happy end).

Je me souvenais aussi de la beauté solaire de Jean-Marc Barr. Du choc que j'avais éprouvé à regarder ce visage magnifique, ces sourcils broussailleux, ce nez affirmé, cette bouche longue, ces iris aux couleurs changeantes.
Sublimé par la mer, cet homme était à en tomber à la renverse.
Certaines beautés m'apparaissent si achevées qu'elles m'en deviennent douloureuses. À les contempler me viennent au creux du ventre une souffrance, un désir de femme, un émerveillement de petite fille. Et toujours cette question :
- Mais comment une telle perfection est-elle possible ?

Grand bleu 2I
l est des beautés qui ne supportent pas l'épreuve du temps. Des visages qui nous ont émus il y a dix, vingt ans, nous pararaissent fades avec le recul.

Jean-Marc figé sur pellicule n'a pas pris une ride. La magie opère toujours, même s'il est moins bon acteur que dans mon souvenir.

Il n'est en vérité pas très convaincant. Il ne joue pas très juste. Une fois remis sur la terre ferme, il semble même un peu niais.

Heureusement, son sourire rachète toutes ses faiblesses.

Le film m'a malgré tout emportée, mais pas si loin qu'à l'adolescence.

En vingt ans, le tendron que j'étais a laissé place à la femme. Une femme qui, ne s'émerveillant plus autant devant les belles histoires, s'en laisse moins conter. Parce que ces histoires dignes de cinéma, elle en a vécu aussi.
À demi, à fonds gagnés ou perdus, à combustion lente ou à explosion en plein vol. 
Vingt ans après, la valise de l'expérience, remplie de beaux souvenirs et de moments indicibles, de claques sanglantes et de ratés, pèse lourd à mon bras.

Il y a autre chose aussi.
À l'époque, je ne savais pas plonger. Une foule de détails techniques m'étaient donc étrangers. Là, je les voyais, ils prenaient sens. Le regard de la plongeuse se superposait à celui de la spectatrice.
J'ignorais également tout de la terrible jouissance qu'il y a à se laisser glisser, sans efforts, de plus en plus profond.

La joie pure qui devient tristesse lorsque, dans la bouteille, la réserve d'air qui s'amenuise annonce la remontrée.
La jubilation du bleu m'était aussi inconnue qu'un pays qu'on ne visite qu'en cartes postales.
Oui, je comprenais parfaitement ce vertige, comme ce désir fou de  toujours repousser les limites. Mais, insistante dans un coin de ma tête, une voix me soufflait qu'elle ne comprenait pas.


Big blue 3Quelle force obscure peut pousser un homme à prendre une grande aspiration, une seule, pour se jeter tête première dans l'océan ?

Dévaler à toute allure, accroché à une machine au nom évocateur (la gueuse), plus de cent mètres de corde ?
Avec la pression les battements de cœur se ralentissent, la taille des poumons se rétrécit.
À 150 mètres, ils ne sont guère plus gros qu'une pomme.
Certains jouent leur vie à la roulette russe, d'autres sur une simple respiration.

Avec une descente à 171 mètres, le Français Loïc Leferme rafla en 2004 le titre de champion d'apnée no limit. 171, c'était bien, mais pas encore assez : lui visait les 200.
Il ne les atteindrait jamais, la mort le faucha lors d'un entraînement. Défaillance mécanique de la gueuse qui devait le ramener à la surface.
À bout de souffle avant le black-out. Jouer sa vie sur une respiration et la perdre... 

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Samedi 9 janvier 6 09 /01 /Jan 13:10

Requins Impossible de fermer l'œil. Les heures passent et j'erre dans la maison, de la terrasse au salon, du salon à la terrasse. 
Je sais que je dois dormir car je plonge demain. Très tôt pour moi, le bateau quittant le port à 7h20.
J'allume quelques cigarettes. Pas trop. Je me rationne, veille de plongée oblige. Plus tôt, dans le restau le plus chic de l'île, avec chef médaillé aux fourneaux, je n'ai bu qu'une bière. Un vrai gâchis avec le délicieux rôti d'agneau.

Autour de moi, ça picolait sec et mon regard filait souvent sur les verres de mes voisins.
Du vin blanc. Je n'en bois presque jamais, il me donne mal à la tête.

Je rentre plus tôt que les autres. Je veux me reposer pour être en forme demain.

Ethan revient, tard, s'affale sur le lit. L'écran de son ordinateur me gêne, comme le son qui sourd à travers son casque. À moins d'être épuisée, je ne peux dormir avec de la lumière et du bruit.

Et plus je sais qu'il me faut dormir, moins je dors. 
Depuis que je suis gamine c'est comme ça.
Je migre dans la petite chambre. Le lit n'est pas fait mais... trop paresseuse pour mettre des draps. Je m'allonge à même le sommier. Le ronronnement du ventilateur me dérange. Obstinément bloqué à l'opposé du lit, il pulse l'air de l'autre côté de la pièce et je crève de chaud.

De nuit la maison m'a toujours paru moins accueillante. La faute à ces ampoules trop blanches à économie d'énergie.

Sur la terrasse, sans les coussins et les cigales, on se croirait à l'hôpital.

Je veux la réaménager. Je dresse la liste de mes futurs achats en espérant qu'elle me pousse dans le sommeil. Souvent, pour m'endormir, je fais des listes.

Les gens que j'ai perdus de vue. Mes amants. Les endroits où j'ai dormi. Les livres que j'ai lus cette année. Les noms des célébrités à initiales identiques. Bercée par la litanie rassurante des noms, j'ai rarement pu dépasser Danielle Darrieu.


Requins 2Je me mets sur le dos. Je respire profondément. Mon portable indique 3h30.

Désolant.
Je me retourne, m'agite pour dissiper une petite angoisse en caillou dans la chaussure. Celle de la plongée de demain.
C'est Ethan qui l'a organisée, pour me faire plaisir, je crois.
Dans moins de cinq heures nous devons nous jeter à l'eau avec un mélange spécial dans notre bouteille : de l'air enrichi à l'oxygène ou Nitrox.
Point de vue sécurité, le Nitrox diffère de l'air normal. Il est pour chaque mélange une profondeur maximale à ne pas dépasser sous peine de rester au fond.
32% d'oxygène, 34 mètres.
Ce n'est pas ça qui me turlupine. L'ordinateur rivé à mon poignet me bipera si je flirte de trop près avec cette limite.

 

La vérité est que depuis longtemps je n'ai pas plongé si profond. Je suis portant déjà descenduebien plus bas.
La vérité est aussi que sur ce même site, il y a longtemps, j'ai eu une mini-crise de panique, probablement due à l'ivresse des profondeurs.
Elle a peu duré, une poignée de minutes à peine, mais je me souviens parfaitement de cette oppression brutale, de cette sensation de manquer d'air, de mon cœur affolé et de mes muscles tout raides.
Mon binôme, pressentant mon malaise, m'avait tapoté le bras :
- Tout va bien ?
Rassurée par sa présence, j'avais formé de mes doigts le signe convenu, le O de oui, pour m'enfoncer plus profondément dans le bleu.
Ce n'était rien. Rien qu'une micro-alerte vite dépassée mais qui, ce soir, repousse en écharde sous la peau, grossie par l'omniprésence de la nuit.

À 5h30, j'abandonne la partie.

Inutile de m'obstiner à poursuivre un sommeil qui ne cesse de se dérober.
Je me lève pour empoigner un demi-litre de lait et une ration de corn-flakes.
Une heure plus tard, c'est Ethan qui, me cherchant dans la maison en titubant de fatigue, est stupéfait de me trouver en tête-à-tête muet avec un bouquin, une assiette de pétales de maïs racornis à portée de cuillère.
- Déjà debout ?
- Dis plutôt "pas couchée et en pleine forme", ironisé-je.
J'accomplis à rebours le chemin qui mène à la grande chambre, le remorquant pour m'échouer entre ses bras, molle et moite comme un berlingot trop cuit.
- On peut annuler la plongée, propose-t-il en lissant mes cheveux emmêlés de trop de luttes.
- Mais... les bouteilles que tu as spécialement commandées ?
- Pas un problème. Elles sont remplies, elles peuvent attendre un autre jour.
- Mais...
- Non, je t'assure, on annule si tu veux.

Barbapapa-2.jpg J'écoute l'orage gronder de l'autre côté des vitres, la pluie cingler les carreaux.

Je suis déçue. Déçue de ne pas avoir trouvé le sommeil réparateur dont j'aurais eu besoin.

Déçue de repousser ce qu'Ethan, malgré ses journées chargées, a planifié pour me faire plaisir.

Déçue de ce temps qui n'est même pas de la partie.
Alors que je me débats entre la couverture et l'oreiller, Ethan me redit d'une voix apaisante :
- Restons là si tu veux. Inutile d'y aller si tu ne le sens pas.
- Mmmh.
Non, vraiment, c'est idiot.

Voilà trop longtemps que j'attends cette plongée à deux. Lui, moi, l'océan et les requins taureaux par trente mètres de fond.
Si je ne me lève pas maintenant, la journée me filera entre les doigts. Gâchée, inutile, dépensée au lit, prisonnière des rets de l'épuisement.
"Encore une journée d'foutue", serine Higelin sous mon crâne.
Non. Cette journée-là, je veux la vivre, même à moitié.
Je jaillis des draps.
- Je me prépare. On y va.

Sur la proue du bateau, dos au vent et à la pluie, j'ai froid. Un froid salutaire qui me fouette le sang, les épaules et la volonté.
- C'est magnifique... dis-je, embrassant d'un même geste le ciel et la terre, ouvrant les bras au jour nouveau.
Le paysage alentour, îlots paresseux pressés de nuages noirs et de rayons obliques, a des airs de fin d'univers ou de sublimes commencements. Une brume persistante habille d'une gaze délicate les îles perdues dans la distance alors que notre navire, tanguant et roulant sur les vagues mauvaises, cingle vers un point secret de l'océan.
Tous les matins du monde et moi au milieu, si petite et immense avec ce cœur en expansion, débordant de mes côtes pour se fondre dans le bleu, le blanc, le gris.


Les requins 3bisSerrant les coudes contre ma poitrine, je retourne à flanc du bateau, dans cette coque de bois de laquelle je m'apprête à m'arracher pour sauter dans le bleu, défiant la pesanteur pour flotter, enfin libre de toute entrave.
Pour certains la plongée est défi et découverte.

Pour moi aussi, mais si je creuse, elle est avant tout méditation, suspension dans un monde qui me lave de la terre et me liquide de moi-même.

Jamais si parfaitement moi et une autre alors que j'évolue, femme et poisson, bras et jambes repliés, à la fois fondue et étrangère à cet élément qui me constitue.
L'eau. L'eau qui coule, me ravine, me divise, me régénère.

À gestes sûrs, précis, concentrés, mille fois répétés, je prépare mon équipement. Ajuste les sangles sur la bouteille, pose mon masque sur mon gilet, mes palmes en dessous en parodie de corps que je vais bientôt remplir de ma chair.
Ethan et moi sommes les premiers à nous extraire du bateau.
Alors que nous nous enfonçons dans le bleu sombre, la fatigue dessine sur mon masque des cercles colorés, aussi verts et jaunes que des blessures encore fraîches.
Délaissant les routes des autres plongeurs, nous traçons notre chemin à la boussole. Par trente mètres nous les voyons, émergeant comme d'un rêve des particules en suspension, nous épiant pour mieux nous rattraper et tourner autour de nous en une valse lente, si gracieux que c'est à en pleurer.
Les requins taureaux.

L'échelle du bateau me cueille en plein jour les yeux saturés d'étoiles.
J'emporte sur la terre la vision d'un autre monde. Celui des grands fonds et du ciel enfin réunis dans le sommeil, tendre et opaque comme l'eau qui m'a baignée ce matin-là.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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