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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Ethan, little big man

Vendredi 23 juillet 5 23 /07 /Juil 16:25

Little big man 1Mon chauffeur ressemblait à un vieux Chinois. Il portait une chemise rapiécée et un vilain bonnet de laine grise. Sa moto n’avait plus de rétroviseur, la jauge de vitesse était cassée. Il se trompa de route et s’engagea à petite allure sur un chemin inconnu.

La soie beige de ma robe claquait au vent. Les perles bleues nouées en rangs sages autour de mon cou tintinnabulaient doucement. Derrière mes verres teintés, le paysage prenait des reflets bruns, couche étale de jaune noirci rehaussant les verts paille, tendre et profond de l’herbe et des arbres.

La balade aurait pu être plaisante mais, yeux rivés sur ma montre, j’étais aussi impatiente que contrariée.

J’allais arriver après le bateau.

 

La route devint mauvaise. Soudain plus de bitume, rien que de la terre, des cailloux et du sable creusés de profondes ornières. Nous cahotions, tour à tour lancés en l’air et brusquement rabattus sur le siège, lui accroché au guidon, moi au porte-bagages. Sur le bord de la piste s’entassaient des moellons blancs, aussi immaculés que la neige.

Vision surréaliste d’un paysage d’hiver sous les tropiques, d’une route déblayée au chasse-neige en plein cagnard. L’hiver des Philippines, aussi faux que celui du parc aux bonshommes de neige et pères Noël en traineaux de Kuala Lumpur.

 

De "mon" ancienne île, je savais le temps que ça prenait pour venir ici : deux jours pleins entre bus, bateaux, navettes d’aéroport et avions. Il y avait cinq mois de ça, un trajet similaire m’avait laissée vidée, étendue de tout mon long dans une chambre de Subic Bay, plongée dans un sommeil alourdi de migraine, sourde au braillement de la climatisation défectueuse. J’avais sombré d’un trait jusqu’au soir, m’étais à peine relevée pour manger, puis recouchée pour dormir encore.

Aussi, oubliant son arrêt à Bangkok, avais-je supposé qu’il serait fatigué. Mais lorsque je lui demandai "Quand es-tu parti ?", il fut incapable de me répondre. Trop de jours et de nuits s’étaient entretemps confondues.

 

La moto arriva enfin au terminal des ferries. Je sautai à terre, payai le chauffeur, me précipitai vers le hall. Des gens patientaient, immobiles, avec leurs bagages. D’autres embarquaient, débarquaient, les mains vides ou chargées de valises, de sacs de riz, de cages à poulets.

J’ignorais où aller, où l’attendre. J’interrogeai les vendeurs de billets, les gardes aux longs pistolets leur battant la cuisse.

"Retournez dehors, Mâ’âm."

Je me postai en plein soleil derrière une barrière. Aussitôt la sueur perla à mon front et ma bouche, emportant dans ses rigoles un peu de crème et de maquillage.

Sentiment d’étrangeté : je ne suis pas dans mon pays et pourtant, j’y accueille quelqu’un. Exactement comme j’irai à la gare de Lyon en métro ou à l’aéroport Charles de Gaulle en RER.

 

Little big man 2De l’autre côté de la route à refaire il y a la maison.

Son odeur particulière qui ne s’efface jamais malgré les aliments cuisinés, la nicotine et mes deux parfums. Un citronné boisé, pour hommes. Un plus sucré, pour femmes.

Son vaste salon avec, sur les fauteuils, mes livres du moment. Venus Erotica d’Anaïs Nin, La Nuit des Temps de Barjavel. Les cendres de cigarette éparpillées tout autour, jusque sur le carrelage, à cause du ventilateur. Sur la table basse où je travaille, l’ordinateur. Dedans, des films que j’aime et d’autres que je n’ai pas encore vus. Ethan les a surnommés en plaisantant "puke-shit-die" (vomir-chier-mourir) parce qu’ils sont noirs, tordus, dérangeants. Beaucoup de musique aussi, dont la plupart se ressemble. Un piano, une guitare, une voix, dépouillement de chansons tristes ou nostalgiques.


Sa grande chambre avec les oreillers imprégnés de ma peau et de mes cheveux. La forme de mon corps en chien de fusil encore imprimée sur le sommier. Le drap d’appoint en boule, repoussé au matin de la nuit trop chaude.

Sa petite chambre à la belle lumière avec mes produits de beauté. Là je n’apporte rien sauf un ventilateur quand, lassée du grand lit, je viens m’allonger sur le lit d’enfant.

Le dénuement de cette chambrette m’apaise. A un tel point que si je ne règle pas le réveil, je peux sortir des limbes en milieu de journée, embrumée de trop de sommeil.

 

Enfin je le vois, pâle malgré le soleil de Thaïlande. Il ne doit pas sortir beaucoup. Un peu plus enveloppé aussi. Il doit manger aussi mal que lorsque je suis partie. Bacon, saucisses, œufs frits, sandwich mayonnaise, rhum… A ses côtés moi aussi je m’étais étoffée, laissant la chair pousser sur ma chair.

Un geste. Il s’arrête. Ethan et moi nous retrouvons comme si nous ne nous étions pas quittés il y a quatre mois.

Bien que moins volumineux que mon sac de voyage, le sien est gonflé à bloc. Il me dit en riant que c’est à cause de mes affaires. Les médicaments qu’il m’a rapportés de Thaïlande parce que je ne les trouve pas ici. Les vêtements qui me manquent. Tous les livres qu’il a ôtés des étagères et que j’ai choisis un par un sur photos. Quatre clichés pour plus de trente kilos.

Au début je voulais m’en remettre à la main du hasard. La sienne en l’occurrence, qui les aurait pris selon des lois que j’ignore. A la hâte pour en finir vite. Au poids pour équilibrer la charge dans son sac. Au jugé, attiré par l’illustration de couverture. A la mélodie, séduit par un titre en subtil jeu de sons tintant comme un code secret.

Aussi lui avais-je écrit :

"Intriguée de découvrir ce que sera ma bibliothèque composée par toi qui ne parles pas ma langue. Choisis sur l’étagère de gauche (j’ai lu ceux de la droite), tout me plaira."

Ce fut impossible. L’ensemble des livres avaient été déplacés sur les mêmes rayons. Quoique logique au vu de mon absence, cette nouvelle organisation me fut un désagréable pincement au cœur, presque le sentiment d’avoir été chassée de la maison.

 

Nous nous assîmes dans un coin du parking pour décider du programme de la soirée. Nous pouvions rentrer directement ou aller à une fête organisée par Rhoda, ma dentiste. Nous choisîmes la fête. Mais auparavant, je l’emmenai là où j’ai coutume de traîner après mes rendez-vous avec Rhoda.

Les rues encombrées de la ville. Le grand centre commercial climatisé. Le petit stand de jus de fruits frais pour un milk-shake à la mangue verte.

Au cours des jours suivants je lui montrai mes lieux favoris. Le coin de plage blanc en retrait de l’agitation touristique. Le bar-restaurant où j’ai pris mes habitudes et où les serveuses m’appellent par mon prénom. La Ferme des Abeilles avec sa salade de fleurs, ses allées en pente plantées d’arbres entre lesquels, un soir, je me perdis.

En lui narrant mes histoires d’ici je m'aperçus à quel point, en quelques mois, je m’étais agrégée à cette terre étrangère. Surprise et presque émerveillée d’avoir autant fait corps avec elle, comme une greffe ayant germé à mon insu.

 

Little big man 4Ethan est une des rares personnes avec lesquelles je puisse vivre dans l’évidence d’une symbiose. Il n’est jamais impatient, jamais râleur, jamais intrusif. Ne s’agace jamais de mes retards, de mon bavardage, de mon foutoir, de mes brusques accès de joie, d'aigreur ou de mélancolie. Il leur trouve au contraire des charmes insoupçonnés. L’empreinte d’un fort caractère, d’un terreau français ou d’une âme d’artiste.

Patient comme un chat, il pose rarement des questions mais m’écoute dévider la pelote de mes interrogations. Les apaise d’un mot que je conteste rien que pour le plaisir de chinoiser. Et nous voilà partis pour une longue discussion avec du jazz en sourdine, et le dictionnaire que je feuillette quand un mot me manque.


A lui je parle de mon roman en cours. De l’état étrange dans lequel il a le pouvoir de me plonger, car avec ses mots alignés j’habite dans ma mémoire. Fragile, parcellaire, rongée par les années enfuies.

Avec ce texte une nostalgie subreptice revient. Nostalgie d’un temps perdu et d’un homme aimé. Des amis restés en Europe. Des saisons et de l’odeur des sous-bois moussus après l’averse. D’un feu crépitant dans la cheminée, d’édredons de plumes rabattus pour réchauffer les aubes frisquettes.

Sous les tropiques je rêve de maisons normandes, de parties de campagne et de marches en forêts. De balades le long de quais de Seine déserts, de musées et de concerts. De gigots d’agneau aux terrasses des cafés et de perspectives parisiennes. Le génie de la Bastille découpé entre les immeubles, la place de la Concorde illuminée, la pyramide du Louvre engorgée de touristes aux appareils photo en bandoulière.

Drôles de visions desquelles je me réveille chiffonnée comme du papier trop gribouillé. Nostalgique mais pas dupe des tours que me joue ma mémoire, consciente d’avoir usé jusqu’à la corde ma vie dans la capitale.

 

Avec Ethan le quotidien est doux, sans heurts. Dangereux peut-être car les jours s’ajoutent aux jours sans que nous y prenions garde, laissant sur le métier le travail à finir. On s’y attellera demain. Demain. Oui. Peut-être.

Ethan me fait du bien et en retour moi aussi, je crois, bien que me sentant souvent séparée de lui par une paroi de verre. Celle de sa tristesse insondable, insoupçonnable pour qui ne le connaît pas, vestiges d’une dépression qui peut être masquée mais non dissoute.

Je l’engage à voir un médecin, il rit. Pas confiance en eux. Il préfère fabriquer ses propres solutions à coups d’automédication et de régimes aussi bizarres qu’intenables.

Le dernier fut à base de graines de citrouille. L’avant-dernier de soupe en sachets et de toasts. Bien sûr, aucun ne passa la barre des deux semaines. Et bien sûr, aucun ne marcha.

Le médicament qu’il prend, parfois irrégulièrement, perturbe sa mémoire. Et je me sens coupable de m’agacer pour des choses que je lui ai dites et qu’il a oubliées. Détails souvent sans grande importance, ou choses plus importantes mais toujours rattrapables.

Il a bien essayé d’arrêter cette chimie moléculaire mais les angoisses sont revenues, plus fortes. Lancinant mal de vivre et doutes existentiels en forme de :

"A quoi ça sert, tout ça ? Cirque, comédie, paraître, avec rien qui n’accroche ou à quoi s’accrocher…"

 

Little big man 5La vie peut être si vertigineuse qu’il devient facile de lâcher la paroi et de tomber. Alpiniste aspiré par le néant, pantin désarticulé en contrebas. Profiter, souffrir, jouir, mourir. Mourir étant toujours au bout, quelle est la différence entre plus tôt ou plus tard ?

A cela je n’ai aucune réponse. Selon l’humeur approuve ou me révolte. Lui parle avec force de ces instants de grâce et de plénitude, de ces moments arrachés à la grisaille, si magiques qu’on ne les troquerait contre rien au monde. De réalisation, d’expression et de trace. De contentement après avoir accompli une tâche difficile. De douce fréquentation de soi après avoir abrasé les angles aigus des blessures et du désordre.

Pas le paradis, non, juste la paix. Inestimable et si fragile.


Je l’exhorte à prendre davantage soin de lui. Ethan me répond qu’il peine à le faire seul, pour lui-même. Qu’il lui faut un but ou quelqu’un. Qu’aux autres il préfère se consacrer, puisque donner est son plaisir.

Dans ma tête il est "petit homme". Petit par la taille mais grand par le cœur. Et par cœur je connais la ligne pure de son nez, de ses yeux un peu tombants aux lourdes paupières, de sa bouche fine cerclée d’une légère barbe grisonnante. La luxuriance de ses cheveux et la rondeur charnue de ses oreilles. La courbe déclive de ses clavicules, l’une légèrement plus basse que l’autre à cause d’une fracture. La longue entaille qui longe une de ses paumes.

Et toutes ses autres cicatrices, apparentes ou à demi masquées. Corps de guerrier rafistolé de trop d’accidents avec de si petits pieds, aux orteils si délicats, pour tenir en équilibre.

 

Sur le seuil de la maison son pied droit a laissé son empreinte. Sculpture de vide et de boue mêlée de la terre du jardin, un soir de pluie ou nous rentrâmes déchaussés, courant sur le sol meuble. Dans le frigo reste le sachet de chips à la banane acheté à la Ferme des Abeilles. Sur le sol de la chambre un de ses tee-shirts, bleu sombre cousu du logo Abercrombie 92.

C’est dans son tissu rêche que je me loverai tout à l'heure pour dormir. Me reposer de la dernière nuit trop hachée où je m'assoupis au milieu d’un film. M'éveillai quelques heures plus tard, dérangée par la lumière de l’écran de l’ordinateur, la main d’Ethan caressant mon dos et le son qui sourdait de ses écouteurs.

 

Aujourd’hui est un jour "sans", tout empreint de la tristesse de son départ. Du souvenir de tous ces départs qui nous ont déjà séparés pour mieux nous rassembler. Et je revois, prisonnière des entrailles du bateau qui quittait "mon" île, sa silhouette accoudée sur le ponton s’amenuiser au fil de la distance.

Quand j’étais descendue en août dernier de sa moto, nous avions tous deux retenu nos larmes. Nous ignorions si je reviendrais avant longtemps en Asie. Tout dépendrait autant de la décision médicale que je prendrais que de son éventuelle réussite. Trop pudiques pour pleurer, faussement concentrés sur des détails aussi techniques qu’anodins, nous nous plaçâmes dans la file des voyageurs en partance. Lui avait triché pour m’accompagner, lesté de mon sac, jusqu’au ferry.

Tandis que je m’éloignais derrière un rempart de vitres fumées, il restait là, immobile, la main levée en un ultime salut. J’avais entre les miennes un sandwich au poulet et un milk-shake à la pastèque, mes nourritures préférées de la boutique du quai.

Me couvrant lors de mon premier départ, mince abri de coton contre le froid d’un bateau trop climatisé, le tee-shirt qu’il m’avait offert. Frappé du nom de son dive shop, celui où j’appris à plonger, c’était un peu de lui contre ma peau. Dans les rues touristiques de Bangkok je me promenai en arborant, fière, son logo, finalement contente que nous n’ayons pas trouvé celui que je cherchais : nitrogen narcosis ou narcose à l’azote due à l’ivresse des profondeurs.

 

Little big man 6Aujourd’hui est un jour de transition d’un espace à un autre, un où il fut avec moi, un où je serai sans lui. Comme avant sa venue, dans la maison. Avec les aboiements des chiens et la nouvelle page blanche de mon roman. Avec le travail pour la formation de plongée qui reprend. Avec les commandes qui s’accumulent et les dernières visites chez le dentiste. Avec le doute d’être capable de tout mener de front et au creux de l’estomac cette sensation que je connais maintenant si bien, sans totalement l’apprivoiser : la faim.

Faim de manger et faim d’être.

Mais avant, enfiler son tee-shirt Abercrombie 92 oublié. Avaler un cachet. Dormir d’une traite jusqu’à demain, sans rêves, comme une masse étourdie. Me réveiller, avec espoir neuve, pour un jour nouveau.

 

So long, little big man.

 

 

Tableau de Léon Spilliaert.

Photos 1 et 4: Jeanloup Sieff ; 2 :Jan Saudek ; 3 :Jérome Abramovitch (tournée) .

 

 

Une chanson que je lui passe souvent...

 

Par Chut ! - Publié dans : Ethan, little big man
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Lundi 1 février 1 01 /02 /Fév 16:12

Non appartenanceVoilà longtemps que je réfléchis, seule ou en couple, à l'appartenance et la fidélité amoureuse.

Mon livre du moment, Aimer plusieurs hommes de Françoise Simpère, me plonge directement au cœur du sujet. Et, hasard de la vie, un événement survenu aujourd'hui m'y ramène encore.

Pas de la meilleure façon qui soit, mais voilà une autre histoire.
Le sujet est si vaste qu'il est certain que je vais m'y perdre. Aussi l'aborderai-je par l'exemple, avec, à n'en pas douter, une foule de digressions (je me connais...). 

Dès la première soirée avec Ethan, nous devînmes amants. Lorsque je pris le bateau au matin, nous pensions ne plus nous revoir. Histoire éphémère comme il en est tant, simple passade sans conséquences.
Nos trajectoires en ont décidé autrement, de "notre" île à la Malaisie, en passant par Londres et un hôpital de Bangkok. Ethan y fit les tests nécessaires pour devenir, peut-être, le père de mon enfant.

Après réflexion, c'est moi qui reculai.
Une telle offre tisse des liens, forcément. Mais de quelle nature ? Je l'ignore.

Jamais je n'ai voulu savoir si Ethan était amoureux de moi. Peut-être parce que je ne le suis pas de lui au sens où on l'entend communément : avec une étincelle de passion et d'excès. Avec cet aveuglement ravi causé par la sidération, celle-là même que le vicomte de Valmont revendiquait auprès de la marquise de Merteuil :
"De quels traits osez-vous peindre Madame de Tourvel ? Au nom de l'amitié, attendez que j'aie eu cette femme si vous voulez en médire. Ne savez-vous pas que seule la volupté a le droit de détacher le bandeau de l'amour ?"
Je vois Ethan tel qu'il est, dans ses qualités comme ses défauts, ses lignes de forces comme de faille. La vie commune aide certainement à obtenir un juste reflet : la tricherie, le jeu de masques, le paraître au lieu de l'être ne peuvent tenir au quotidien. Ou que sur une toute petite distance. Ou au prix d'un effort surhumain de comblement, de correction, d'ajustement permanents.

Autrement dit, de négation de soi.

Être soi-même, sans fards, n'empêche nullement de s'ajuster ni de lâcher prise sur certains points. Vivre bien ensemble suppose abraser les contours trop aigus. Sinon, soit on ne cesse de s'accrocher, soit l'un courbe l'échine devant l'autre.
Il ne s'agit pas d'arriver entier, brut, pour proclamer :
"Je suis à prendre tel quel ou à laisser."
"C'est comme ça et pas autrement."
"Marche ou crève, et surtout ta gueule."
Il s'agit plutôt de distinguer l'essentiel de l'accessoire, de démêler nos besoins profonds de nos désirs superficiels, d'accepter des compromis sans pour autant nous compromettre.

Non appartenance 2La définition de ce qui me lie à Ethan - ou Dorian - importe moins que notre lien lui-même.
Je les aime tous deux et souffrirais de les perdre. Mais s'il le fallait ou s'ils s'éloignaient de moi, je l'accepterais parce qu'ils ne m'appartiennent pas.

Le respect de l'autre commence par celui de sa liberté, quand bien même elle ne nous arrange pas.
Ma tristesse serait alors mon affaire, pas la leur. Qu'ils me laissent me débrouiller de cet intime travail de deuil. Lors de cette tâche l'aide des amis est précieuse, celle de la personne à l'origine de la douleur inopportune, pour ne pas dire parasite.
Je crois que l'on n'aide personne à être quitté. Seul dans la nuit de la perte, c'est à nous de défricher notre chemin, d'en marquer chaque station de nos pleurs pour dessiner de nouvelles routes.

Dans Femmes qui courent avec les loups, livre qui m'accompagna lors de mon dernier voyage, Clarissa Pinkola-Estés écrit :
"Et si l'on vous demande votre nationalité, votre origine ethnique, votre lignage, prenez un air énigmatique et répondez :
- Le Clan des Cicatrices."
Parent, ami, amour, amant... Chaque perte importante creuse une marque indélébile qui nous rend à la fois plus fort et fragile.
Plus fort parce que, même mis à sac par le pillage de la douleur, on a survécu. Expérience du dépouillement qui révise l'échelle de notre univers intime : valeurs, appréciation du grave et du futile, rien ne sera jamais tout à fait comme avant.
La perte sans retour est l'expérience de la limite ultime contre laquelle il est inutile de se battre. Il faut l'accepter petit à petit sous peine de suicider ou de ne vivre qu'amputé. Et essayer, autant que faire se peut, de goûter les plaisirs que la vie nous offre.
Plus fragile car perdre une fois signifie peut-être perdre deux. Puisque tout est possible, à commencer par ce qui n'a pas de nom, tout peut se (re)produire. Et, à moins de quitter la scène avant ceux que l'on aime, se (re)produit inéluctablement.
La pensée de la mort, métaphorique dans le cas de la rupture, ne nous quitte jamais totalement. Si elle s'absente, c'est pour mieux rôder aux heures sombres, ces heures du creux de l'âme où, enfant perdu dans les ténèbres, nous tombons sans fin ni main pour nous rattraper.

Je dérive de mon sujet initial, semble-t-il. Oui mais non, tant le désir de possession de l'autre est lié à la peur de sa perte. Angoisse primitive de le voir se détourner, nous préférer un tiers paré de qualités que l'on n'a pas - ou plus.

Question de confiance en soi aussi.
Jeunesse et beauté se fanent, ou plutôt se troquent contre d'autres avantages : maturité, sagesse, expérience, recul. Tolérance souvent mais pas toujours.
Impossible d'être et d'avoir été, c'est ainsi et pas forcément plus mal.

Non appartenance 4 Avec Ethan jamais nous ne nous sommes juré fidélité. Que notre relation se déroule à distance ou dans un même périmètre, c
ela n'aurait eu aucun sens.

Nous avons en revanche convenu d'une clause de discrétion :
"Fais ce que tu veux avec qui tu veux, mais garde-le pour toi. Nul besoin de me révéler des détails qui t'appartiennent et ne m'apporteraient rien.

Et puisque nous partageons le même toit, fais-le ailleurs. Cette maison est notre espace à nous, notre havre vierge de toute histoire clandestine."
Sans contrevenir à nos règles j'ai usé 
de cette liberté, mal parfois.

Si c'était à refaire j'agirais autrement, quoi qu'Ethan n'y verrait sûrement aucune objection.


À sa liberté je n'avais pas été confrontée jusqu'à Joanne.

Joanne est plus blonde, jeune et liante que moi. Sympathique aussi, même si nous ne partageons rien hormis une amitié de façade.
Lorsqu'elle vient à la maison, je la salue, entame un brin de conversation vite tari avant de repiquer du nez sur mon ordinateur, ma rêverie ou mon bouquin.
Fin des civilités sans rudesse. Joanne s'intéresse à moi autant que moi à elle, c'est-à-dire de très loin. Ni l'une ni l'autre ne nous donnons la peine d'alimenter un échange qui, passé le cap des banalités, nous ennuierait.

 
Joanne a un petit ami en Angleterre. Souhaite s'en séparer, le lui a annoncé mais il s'y refuse. Mieux, il la menace de brûler les affaires qu'elle a laissées chez lui. Aussi le retrouve-t-elle en Indonésie pour jouer la comédie de la femme amoureuse.
À peine ces mots sortirent-ils de la bouche d'Ethan que je lâchai tout à trac :
"Monnayer ses affaires contre quelques faux coups de reins, c'est vraiment mesquin. Qui prend une décision en assume les conséquences."
En soirée, j'ai vu Joanne flirter avec de jolis garçons. Un jour, tandis qu'elle regardait avec Ethan un film au salon, je la surpris lovée entre ses jambes. Je traversai la pièce, un peu étonnée et soudain traversée par l'idée d'un rapprochement.
"En aurais-tu envie si elle était d'accord ?" me questionnai-je.
Non. Aussi passai-je sans ralentir jusqu'à la terrasse.
Ethen dut prendre m
on absence de réaction pour une permission. Elle l'était sans doute, tant m'est étrangère l'idée de lui couper les couilles, surtout dans notre drôle de couple.

D'ailleurs, si un couple se définit par le sexe, nous n'en sommes plus un.


Lors de la dernière fête que nous organisâmes à la maison, Joanne s'assit à côté d'Ethan, moi sur le versant francophone des coussins. Parler ma langue maternelle me soulage des fastidieuses traductions, des approximations frustrantes de pensée. À l'aise en anglais, certes, mais pas bilingue pour autant. Le français est mon plaisir, ma récré, l'origine dont je ne vais pas me priver.
À mesure des verres Joanne s'avachit sur Ethan en une équivoque position sensuelle. 
De leur côté, les anglophones 
embarrassés feignaient de ne rien remarquer.

Du sien, Ethan dissertant sur un quelconque sujet n'eut pas un geste. Je me demandai même s'il avait noté les mains de Joanne sur sa taille, ses agaceries de chatte réclamant des baisers.
Du mien, j'éprouvai un pincement et, les regardant, m'interrogeai :
"Cela te gêne-t-il vraiment ?"
Réponse de Normand : oui et non.

Non appartenance 5Leur intimité ne me dérange pas plus que ça. Je sais qu'elle ne changera rien entre Ethan et moi, n'écorchera pas notre tendresse, n'entamera pas notre confiance.

Notre lien ne se divise pas à proportion des autres liens. Ils coexistent dans des univers distincts.
Mais que cette intimité soit brandie sous mon nez me chiffonne. M'en faire spectatrice me semble relever du faux pas, d'un manque de discernement dont Ethan, à la faveur d'une discussion, s'excusa.
"Pardonne-moi si je t'ai blessée. Ce n'était pas mon intention."
Blessée n'était pas le bon mot, mais faute de le trouver, le bon mot, je laissai filer. L'important était qu'en dépit du vocabulaire, nous nous étions compris.

La plus déconcertée dans l'histoire est Joanne. Ce qui m'unit à Ethan la dépasse.
"Je ne veux pas coucher avec toi si tu couches encore avec elle", lui annonça-t-elle. Comme s'il était question d'exclusion, de territorialité de sommier.
Elle ou moi, d'accord. Mais elle et moi, non.
Et pourquoi pas nous deux ?
En théorie, c'est clair : une relation n'empêche pas une autre. Le sexe est à la fois un plaisir, un jeu, une ouverture privilégiée à l'autre. Il n'a pas à mes yeux ce caractère définitif que beaucoup lui prêtent - même s'il m'est arrivé, par le sexe, de toucher au sublime. D'éprouver la bouleversante sensation d'accéder à une dimension autre, de célébrer une communion ancestrale et sacrée.
Côté travaux appliqués je débute et m'observe, attentive à ce qui bruit dedans.

Et aujourd'hui je me dis :
"Si l'autre me rassure sur ma place, pourquoi pas ?"
Peut-être demain tiendrai-je un autre discours. Peut-être pas.
En chantier, je n'ai aucune certitude et revendique le droit aux contradictions.

Demain peut défaire ce qu'aujourd'hui a construit. Persiste la sensation, au fond, de cheminer sur une route. Balbutiante encore, mais pas après pas délivrée de la prison de l'appartenance et du carcan de la possessivité.

Par Chut ! - Publié dans : Ethan, little big man
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Mardi 4 août 2 04 /08 /Août 01:13
- Tu viens de trouver le père de tes futurs enfants, me dit un soir Ethan.
Il plaisantait, bien sûr. Notre rencontre ne datait que
de trois jours, alors que, derrière le comptoir du club de plongée, il distribuait des formulaires aux nouveaux élèves.

Je lui posai une question et sa réponse me plut grâce à un mot : pamper (gâter, dorloter). Quelques semaines auparavant, je l'avais entendu dans la bouche d'un autre homme, lors d'une conversation dont je me souviendrai longtemps.
De lien en lien à rebours, ce mot m'évoquait
le golfe de Thaïlande, le sable de Malaisie, le coton doux des couches de nouveaux-nés. Pour un peu, il en était venu à m'obséder comme d'autres par le passé.
Qu'Ethan l'employât me sembla un signe que je m'efforçai d'oublier.

Ce signe, probablement rien en soi, résonnait toutefois sur un autre si violent que lui, je ne pus l'ignorer.
Dans le bateau qui me menait sur Koh Tao, je pris place près d'une fenêtre et, les yeux fixés sur l'écume, m'engonçait dans une rêverie.
Lassée de la mer, je m'adossai contre la coque.
De l'autre côté de la travée se tenait, de dos, une femme blonde et mince, un bébé sur les genoux. Lorsqu'elle tourna la tête, je crus défaillir.
Même coiffure, même nez, mêmes yeux, même bouche, même menton... Elle avait trait pour trait le visage de ma mère à trente ans.
Le bébé pivota son petit buste vers moi. Je me mordis les poings pour ne pas hurler. Cette bouille toute ronde auréolée de mèches maïs frisottées, ces yeux translucides sur une peau pâle, cette bouche ouverte sur un sourire sans dents, c'était moi sur une vieille photo.
Mon portrait tout craché jailli d'un vieil album et brandi sous mon nez.

À côté d'eux se tenait le père. A
u jugé dix ans d'écart avec sa femme, pile la différence d'âge entre mes parents. Accroché à son cou, un jeune garçon. Le frère que j'aurais eu si ma mère, à l'époque trop jeune, n'avait pas pris la décision d'avorter.
Ce fut à l'aiguille à tricoter, dans une cuisine malpropre où, se vidant de son sang, elle manqua de laisser sa peau. Après un tel carnage, m'avoir fut une bénédiction. Unique car les dégâts furent tels que son corps ne put mener une nouvelle grossesse à terme.
Je grandis donc dans le regret de n'avoir point de frère. Point de petit-grand mec en guide de vie, que j'aurais autant attendri qu'exaspéré, dorloté que martyrisé.

Pendant tout le trajet, j'observai la famillle. Le père, l'enfant, le bébé, la mère. Et toujours mes yeux incrédules revenaient sur elle, la mère.
Confondue par tant de ressemblance, je fouillai mon portefeuille pour en sortir le portrait de la mienne, la seule photo avec laquelle je voyage et qui veille sur moi dans mes ailleurs. Je me mis à comparer le portrait et le visage, le visage et le portrait.
C'était les mêmes, absolument.
Agrippée à la banquette, je me retins d'approcher, de la toucher, de me réfugier dans ses bras, de lui crier "Maman, maman !".
La scène aurait été pathétique puisque le temps passant, j'étais désormais plus âgée qu'elle.
Je quittai le bateau retournée, titubante, malade.

Juste après, je rencontrai Ethan.
Trois jours plus tard, il me proposa un verre. J'interprétai cette invitation comme une politesse de gentleman : les autres plongeurs ayant terminé leur cycle d'apprentissage, je me trouvais soudain seule.
Je la pris aussi comme une petite revanche sur un trop bref instructorat. Disposant d'une formatrice attitrée, je n'avais passé que dix minutes sous sa garde.

Trois minutes sur le bateau où, juste avant que je ne saute avec mes bouteilles, Ethan m'arrêta.
- Fran-çai-se... Cheuu-veuux, articula-t-il en feignant de se repeigner.
Je compris. Les mèches glissées par inadvertance sous mon masque n'assuraient plus son étanchéité. Je le remerciai et me jetai de la passerelle, droit dans le bleu.
Sept
minutes par des mètres de fond où, grappe humaine accrochée à la même racine, nous suivions jusqu'à l'ancre la ligne de flottaison.

Je me trompai toutefois. L'invitation d'Ethan ne relevait pas plus de la galanterie que d'un cours inachevé. Elle s'articulait plutôt sur le "montrez-moi qui désirer" du Fragment d'un discours amoureux.
Notre passeur fut Bob, un de ses amis australiens. J'ignore ce que Bob (pres)sentit en moi, ce qui lui permit d'affirmer à Ethan qu'il devrait me connaître : des quelques phrases banales que nous échangeâmes, je n'en compris que le tiers. Juste assez pour fournir des réponses indigentes de parfaite couillonne.

Un crochet à Bornéo. Un aux îles Perhentians où Ethan me rejoignit. Après un marathon de vingt-quatre heures, nous revînmes sur son île, donnant ainsi raison au proverbe local :
"Ici, on ne se dit jamais adieu, juste au revoir."
Pour moi Ethan ouvrit tous ses espaces de célibataire : sa maison, la chambre de mon choix, les lieux secrets qu'il aimait.
Il me confia également ses clés, métaphore d'une serrure qui jour après jour s'ouvrait.
Au petit matin, alors que je dormais encore, il m'enlaçait ou me regardait. Me nourrissait et glissait ses jambes autour de mes hanches pour mieux discuter à fleur de peau, apaisait mes cauchemars et sécha mes larmes le jour d'un triste anniversaire.
Mais jamais, dans sa grande délicatesse, il ne prononçat le mot "amour".

Une fois en France, je lui fis part du dilemme auquel j'étais confrontée et qui menaçait de m'engloutir. Il m'offrit d'être le père de mon enfant. Vu son histoire tourmentée, je savais ce que cette proposition lui coûtait et faisait résonner en lui.
J'hésitai, longtemps, avant de refuser.
Avec le cadeau de Dorian, ce fut le plus beau que je n'ai jamais reçu.

Depuis un mois, la générosité inouïe des hommes de mon chemin ne cesse de me bouleverser.
Par Chut ! - Publié dans : Ethan, little big man
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Mardi 2 juin 2 02 /06 /Juin 15:50
- Mozzarella sticks, dit le garçon dans une courbette en déposant le plat devant Ethan.
Du fromage italien en terre thaïlandaise, j'étais preneuse. Aussi couvais-je, façon Gainsbourg revisitant Baudelaire, la nourriture d'un regard gourmand.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents...


- Help yourself ! (Sers-toi !), m'enjoignit Ethan.
J'aime les hommes qui partagent sans qu'il soit besoin de réclamer. Pas du genre à demander deux fois ce qui m'a déjà été accordé, je m'emparai aussitôt d'un petit bâton. Le tint suspendu en l'air, tout près de ma bouche, estimant sa forme, sa taille, sa résistance.
Puis, gloussant de joie, le portai à mes lèvres et l'entamai à coups de canines.
- J'ai faim, dis-je.
- J'ai déjà mal, répondit Ethan.

À te voir marcher en cadence
Belle d'abandon
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton...


Mon sarwell glissa lentement sur mes hanches, mes genoux, mes chevilles. Ethan avait les mains jointes en une prière. Une dont il n'était pas prêt de se délier, ficelé comme il l'était au canapé.
S'il l'avait vraiment voulu, les cordes de marine si difficiles à serrer se seraient disjointes pour lui rendre sa liberté. Mais comme il n'est plus douce captivité que celle de prisonnier volontaire, Ethan s'en remettait, corps vaincu sans pudeur ni mot de passe, au serpent rampant entre ses cuisses et souffletant ses joues, agaçant la veine à son cou et pinçant ses tétons, versant sur sa peau des cubes de glace et la ranimant au feu de ses morsures.
- Considère-moi comme une page blanche où tout est à écrire.
Demain le blanc sera mêlé de bleus.
J'empoignis Ethan, le traînai sur le carrelage et l'abandonnai.
Dans sa cuisine je trouvai de quoi lui imprimer ma couleur.

Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau...


Tanguant assise sur sa bouche, je lui murmurai des mots qu'il ne comprenait pas. Des mots salaces, syncopés et foutrement exotiques :
- Mon gentil soumis, ma petite lopette, ma descente de lit...
Et je riais, seule, de ceux qu'il m'avait dits avant d'enfourcher sa moto et de foncer droit dans la nuit, penché sur le guidon alors que, les bras autour de sa taille, je croquais ses épaules :
- I am a fucking pervert.
- I'm a fucking pervert too, hurlai-je dans le vent qui emportait mes paroles.

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain...

Ethan me réveilla d'un baiser. Café, croissants, tout était là, y compris les fleurs que j'écrasai en me retournant sur le sommier.
- When you do something, do it properly.
Pelotonnée comme un chat sur la terrasse dans une tache de soleil, je n'avais pas envie de partir. Mais le bateau, lui, ne m'attendrait pas.
Ethan m'accompagna jusqu'au quai.
Notre baiser n'eut pas le goût d'un adieu mais celui d'un au revoir.
Par Chut ! - Publié dans : Ethan, little big man - Communauté : xFantasmesx
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Dimanche 31 mai 7 31 /05 /Mai 20:19
- Tu viens de trouver le père de tes futurs enfants, me dit Ethan.
Nous n'en étions qu'à l'entrée de notre dîner italien. Plus tôt, nous avions bu un verre ou plutôt deux. Le premier dans un bar cosy de la plage où, avachie sur un pouf, je me grisais de son accent.

- Désolé, je parle trop, s'excusa-t-il.
Je secouai la tête et il reprit le fil de son discours. S'interrompit à nouveau lorsque trois personnes pilèrent devant notre table.
- You're here... We were looking for you !
Les mots ricochèrent en cascade entre nos bières. Je levai les yeux. La femme était belle, ronde, blonde et déjà assise.
- Sherry, my whife, me glissa Ethan en guise de présentations.

Sherry eut un petit gloussement avant de me tendre la main. Je la serrai en me demandant ce qui était si drôle, déjà prête à sentir l'hostilité courir le long de mes doigts.
Erreur. Sa poigne était aussi douce et chaude que sa poitrine hâlée.
Je m'attendais aussi à ce regard que voient rarement les hommes et toujours les femmes. Celui qui scrute, qui estime, qui jauge pour assigner une place sur l'échelle de la rivalité. Ce regard de femelle que je déteste mais que j'ai aussi, parfois.

Le magnéto des souvenirs se rembobina. Je me rappelai, à contretemps, une autre jolie fille à l'anniversaire d'un copain. De sa façon de me toiser et de m'adresser la parole en tordant la bouche.

Manifestement, chaque mot dont elle me gratifiait lui coûtait. Et moi, consciente du prix dont elle s'acquittait mais feignant l'innocence, je m'amusais en toute perversité à la faire parler.
A Tartuffe, Tartuffe et demi. Dans notre jeu de dupes, c'est elle qui plia et partit la première.
- Je lui fais la bise à lui. A toi, je te dis juste au revoir.
Elle partit sur un claquement de talons, moi d'un fou rire.
J'avais dix ans de plus et son camouflet était un compliment.

Aussi ne compris-je pas lorsque Sherry me tendit sa paume pour prendre congé. Il me paraissait étrange qu'une femme laissât son mari aux mains d'une autre en leur souhaitant en prime une excellente soirée.

A Paris, dans certains cercles que je n'ai qu'effleurés, cette attitude ne me semblerait pas bizarre. Simple autorisation libertine ou prélude à un jeu érotique où, loin d'être la pièce maîtresse, je serais l'élément rapporté.

 

A croire que le voyage avait tellement déplacé mes repères que j'en avais l'esprit brouillé. Mais quitte à frayer avec les conventions, autant m'y enfoncer jusqu'à la taille, jusqu'au gosier.

- Euh... Tu la retrouves à la maison ? croassai-je.

Ethan me dévisagea interloqué.
- Non, pourquoi ?

Je m'agitai sur mon pouf, allumai une cigarette, sirotai une gorgée pour différer ma réponse. Incroyable comme devoir préciser sa pensée peut devenir embarrassant. Et comme souvent lorsque je suis gênée, mon esprit m'était aussi utile qu'une planche à clous. Déjà échappé, caracolant ailleurs, le traître me bombardait d'un message idiot : le titre d'un livre tournant en boucle tel un refrain.

La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.

Avec ça, j'étais drôlement avancée. La conversation aussi.

Renonçant à tourner les choses avec élégance, je lâchais un très plat :

- Ben, parce que... C'est ta femme.

 

Ethan se renversa en se tenant les côtes. Sûr que la meilleure blague de l'année n'aurait pas remporté un plus franc succès.

- Ah ah ah. Sherry ? Ma femme ? Mais non, pas du tout. Je plaisantais.

- Oh, articulai-je d'un ton pincé. Très drôle.

Puis je me renversai à mon tour sur mon siège, tenaillée par l'envie de rire aux larmes de ce drôle de monde où les hommes qui n'ont pas de femme s'en inventent une, et où les hommes qui en ont une vous jurent qu'elle ne compte pas. Ou du moins pas tant que vous, mais en restant à la maison.

 

Le deuxième verre avec Ethan fut un cocktail rouge flamboyant siroté à petites gorgées. Le lieu avait changé, pas son accent. Lorsqu'il me proposa un dîner, j'acceptai malgré mes bonnes résolutions de me coucher tôt, seule, sans amant.

"Quelle importance, pensais-je, puisque demain est fait pour dormir ?"

Aucun bateau de plongée ne me pêcherait au petit matin, les yeux cernés d'une nuit trop brève et le menton râpé de baisers, la peau encore rougie de l'éclat des femmes qui ont été aimées.

 

- Tu viens de trouver le père de tes futurs enfants, me dit donc Ethan à la terrasse du restaurant.
Non, il n'était pas soûl. Non, je ne venais pas de lui avouer mon désir de maternité.

Nous nous moquions juste de mon anglais imparfait qui me condamne à dire un mot à la place d'un autre : penis pour peanuts, spunk (sperme, foutre) pour spank (fesser).

En termes d'aveux, je m'étais bornée au plus avouable : oui, j'aime fesser les hommes.
Et je savais, avant même de lancer ce qui n'était pas une proposition déguisée, qu'Ethan aimait les femmes comme moi.

 

Dès le premier jour, j'en eus le soupçon. Pourquoi ? Je l'ignore. Peut-être l'habitude de flairer en animal mes semblables, un rien dans son attitude de parfait gentleman, un zeste de trop grande féminité dans ses gestes.

La confirmation vint par un matin de grand vent, alors que j'étendais ma cheville tatouée sur le pont du bateau.

- Oh... Ce tatouage a dû être douloureux... très douloureux... murmura Ethan.

Il n'esquissa pas un geste pour le toucher. Ses yeux dardés sur les fourches agressives du trident parlaient à la place de ses mains.

- En effet, répondis-je, mais la douleur est parfois bonne. Et plus que bonne, nécessaire.

Il hocha la tête d'un air entendu.

- Nécessaire, oui. Comme une belle femme sans merci.

 

L'eau qui nous cueillit nous dispensa de poursuive.
Tout avait déjà été dit.

 

 

La suite très vite...

Par Chut ! - Publié dans : Ethan, little big man - Communauté : xFantasmesx
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