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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 30 mai 7 30 /05 /Mai 14:31

Dorian départ 1C'était la veille de mon départ. Je me souviens d'avoir marché au pas de course jusqu'au centre de Paris, stoppant dans toutes les boutiques de téléphone. Personne ne pouvait débloquer pour l'international le portable offert par Ether.


Je me souviens de mon énervement croissant à mesure des enseignes. Du tiraillement contraire qui se saisissait de mes bottes, faisant tour à tour adhérer mes semelles au pavé et résonner de plus en plus vite mes talons sur le bitume.

 

Je voudrais flâner pour profiter une dernière fois d'un samedi parisien, laisser affluer les images d'un pan entier de vie. Je regarde les arbres, les carrefours, les cafés et les boutiques comme si jamais je n'allais revenir. Ce chemin mille fois emprunté est jonché de stations en réminiscences.

Le cinéma où je passais des après-midis entiers, enchaînant une séance après l'autre.

Le bar cosy où je retrouvais parfois Andreadéchirée entre la nécessité de garder mes distances et le désir de lui sauter au cou.

La librairie dont le patron, lorsqu'il me voyait franchir le seuil, me demandait en riant :

- Ce sera quoi cette fois ? Mongolie ou Turkménistan ? Peu probable qu'on ait le Lonely Planet, mais je vous le commande... comme d'habitude ?

 

Je dois me dépêcher parce que je suis en retard. Au bout de mes souvenirs déroulés en ruban, Dorian m'attend dans un café au nom choisi à dessein, tintant comme une promesse. L'Imprévu. Tout en coins et recoins, voisin du restaurant - fermé depuis - où, une éternité plus tôt, nous partageâmes notre premier dîner, il étire deux salles sombres semées de tableaux étranges et de chaises dépareillées.

Un rideau cramoisi bloque le fond de la première travée. Derrière, les violets, les oranges, les rouges éclatent à profusion en une ambiance de fumoir exotique.

Si le lieu est improbable, la carte l'est aussi : en sus des boissons, elle affiche un "renseignement approximatif à prix modéré", un "renseignement précis mais plus cher" et un "câlin du serveur, gratuit mais laissé à sa discrétion, selon la tête du client".

Prenant un jour l'intitulé au mot, je postulai pour un free hug. Le serveur, dont le goût ne penchait manifestement pas vers les femmes, me regarda des escarpins aux boucles d'oreilles avant de m'enlacer.

 

J'arrivai suffisamment à l'heure pour trouver le bar ouvert. Dorian, lui, s'était heurté à sa porte close. Un texto laconique me prévint :
"Suis en face, à La Plage."
La Plage... Pour une femme en partance vers les tropiques, cela semblait prédestiné.
Bar impersonnel. Musique trop forte. Rares clients et serveuses désœuvrées. La Plage n'avait de chaleureux que l'enseigne.

- Partons, proposai-je.

Nous traversâmes la rue. Franchîmes la porte vitrée de L'Imprévu. Le canapé du fumoir était libre. Nous nous y installâmes, poussés l’un vers l’autre par les ressorts fatigués formant un creux. Brusquement gênés, comme intimidés, nous nous taisions.

Trop de choses à dire et des mots qui ne sortaient pas.

Mon départ, le profil de Dorian, ses yeux clairs et une valse d'images voltigeaient, s'entrechoquant sans suite ni logique, juxtaposant les époques, l’ici et maintenant à l’ailleurs du passé.

 

Dorian départ 3C'est novembre et pourtant l'été.

Arrêtés sur un pont, Dorian et moi regardons les parasols des quais de Seine. Citadins en manque de plage, nous descendons jusqu’au fleuve nous mêler à la foule, désespérant de trouver un endroit autre que le bitume pour nous asseoir.

 

Deux places se libèrent soudain. Nous les prenons et je ris. Bien que côte  à côte, nous voilà assis face à face sur un siège en double U inversé, dans une position aux allures de scène d'un film. Celle de la séduction où, au restaurant sur leur 31, les ex-futurs-amants croisent leur bras pour entrechoquer leur verre.

Nous, ce n’est pas une coupe que nous tenons, mais des glaces qui dégoulinent sur leur cornet. Deux boules framboise-fruits de la passion, qu’il a commandées.

 

Nos vêtements légers manquent aussi de la classe de soirée. Robe portefeuille pour moi, chemise légère pour lui, chaussures ôtées et nos pieds nus qui fouillent le sable.

Mes orteils sont poussiéreux, mon vernis écaillé, ma cheville alors vierge de son tatouage. Dorian le suivra du doigt un autre été, sur les bords de Seine encore, n’osant remonter des fourches agressives du trident à mon genou, puis de mon genou à l’ourlet de ma robe rose.

Il est à cette époque des chemins que nous n’empruntions pas.

 

C’est le jour et pourtant la nuit.

Nous sortons d’un restaurant thaïlandais dont le nom nous amuse beaucoup : le Q Bar. Nom d’autant plus savoureux qu’il se tient à côté de… A la Bonne Franquette.

- Ca ne s’invente pas, gloussé-je.

Après la chaleur feutrée des fauteuils et des épices, le boulevard sombre paraît lugubre. Pas un chat alentour, juste des formes endormies sur les bancs du square. Nous longeons le trottoir en titubant un peu, nous heurtant au gré de notre marche.

Je prétexte que je n’ai jamais su marcher droit, ce qui est vrai. Mais la vérité est que nous avons trop bu et que cette ivresse est douce. Et que plus nous avançons, plus nous ralentissons.

 

La station de taxis se profile déjà dans le lointain. Je rentre chez moi où personne ne m’attend. Lui chez lui où sa compagne, endormie, ne l’attend plus, si tant est qu’elle l’ait attendu.

Je raconte des idioties pour reculer le moment à défaut de reculer l’espace. Des phrases sans queue ni tête guillotinées de leur fin. Des blagues stupides et des cochonneries qui mettent Dorian en joie.

Son rire sonore fuse et j’aime ce rire-là. Je lui glisse que dans ses soucis il se fait trop rare, mais je tais la suite. Ivre, certes, mais pas assez pour formuler ce qu'au fond je pense et qui le blesserait.

Un taxi nous lance des appels de phare. Une vitre descend sur un visage réjoui.

- Eh ! Vous allez où, les amoureux ?

- Nulle part, dis-je.

Dorian dépose une bise sur ma joue puis une, maladroite, au coin de mes lèvres.

 

C’est mon corps en bonne santé et pourtant la maladie.

Evanouie dans le métro alors que je rejoignais Salomé, je suis évacuée par les pompiers. Lentement je remonte des entrailles de la terre à la lumière, exposée sur une civière aux regards des badauds. Surprise, compassion, mouvements de recul. Qui sait, je suis peut-être contagieuse…

A l’Hôtel Dieu le mal nommé, la sonde passée dans mon œsophage me relie au mur. Prisonnière de ce fil, je ne peux ni bouger, ni me reposer, ni bien sûr dormir.

Je suis en observation mais, hormis le plafonnier qui m’éblouit, personne ne m’observe.

Une infirmière m’a demandé si j’avais quelqu’un à prévenir. J’ai acquiescé, elle a tourné les talons pour ne jamais revenir. Les portables sont interdits, le téléphone de ma chambre hors service.

Personne ne sait que je suis là. Si je ne sors pas, au bout de combien de temps mon absence inquiètera-t-elle ceux que j’aime ? Je pense que mon indépendance m’isole. Que Salomé, qui m’a attendue en vain avec son bébé, doit être furieuse.


Dorian départ 4Je me sens mieux. Les heures défilent et j’en ai assez. Une tête passe soudain par l’entrebâillement de la porte. On vérifie que je vis toujours ou que je ne me suis pas sauvée.

Avant qu’elle ne disparaisse, j’ai trois secondes pour hurler :

- Je veux sortir !

La tête hésite. Elle va feindre, à coup sûr, de n'avoir rien entendu. Je répète, plus fort :

- Je veux sortir ! Sortir !

 

L’infirmière vient. Le médecin d'astreinte aussi. A deux ils me servent les mots qu’on adresse à une enfant rebelle.

- Non, enfin, pas question de quitter l’hôpital. Nous ignorons ce que vous avez. Et vous vivez seule, c’est dangereux. Qu’arrivera-t-il si vous perdez conscience ? Qui alertera les secours ? Soyez donc responsable ! Raisonnable !

Je signe une décharge.

 

Dehors, il pleut. Je ressuscite. Bras en croix, tête vers le ciel, je laisse l’eau tremper mes cheveux, mon visage, mes vêtements.

- Faut vous abriter, mademoiselle. Vous allez attraper la mort.

Le taxi compatissant me ramène à la maison. Le temps de me traîner sur cinq étages, il est une heure du matin.

Je suis épuisée. J’ai peur. Malgré mon entêtement, le médecin a réussi à m’effrayer.

A qui donc puis-je téléphoner si tard ? Qui m’écoutera sans en faire un drame ? Viendra vite si j’en ai besoin, tout en respectant que pour le moment, je préfère être seule ?

C’est Dorian que j’appelle. Sous sa garde, même lointaine, je me sens protégée.

 

 

Parce que ceci va si bien avec cela.

Et la suite.

Par Chut ! - Publié dans : Dorian, un amour particulier
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