Présentation

En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

Derniers Commentaires

C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

Mai 2024
L M M J V S D
    1 2 3 4 5
6 7 8 9 10 11 12
13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26
27 28 29 30 31    
<< < > >>

Recherche

Images Aléatoires

  • Un-ilot-perdu.jpg
  • Vue-du-grand-canal.png
  • Un saint sur le sein
  • Earrings
  • Monastere-de-Kong-Meng--Le-temps-des-orants.jpg

Syndication

  • Flux RSS des articles

Profil

  • Chut !
  • Le blog de Chut !
  • Femme
  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Jeudi 15 juillet 4 15 /07 /Juil 18:19

 

Chroniques incisives 1Il m’avait dit qu’elle avait de petites mains. Lorsque j'entrai, ce ne furent pas elles qui me frappèrent, mais la tache de vin s’étalant sur son visage. Elle avait des yeux brillants, qui se chargèrent d’empathie lorsqu’elle vit que je ne pouvais plus parler.

 Jamais jusqu’à présent je n’avais eu de vraie rage de dents. Celle qui irradie du front au cou et bat au rythme des artères. Qui vous empêche d’ouvrir la bouche pour boire ou manger. Qui vous réveille à peine avez-vous sombré dans le sommeil, gavé de paracétamol ou d’alcool. Pour oublier la douleur tous les moyens étaient bons, mais aucun ne marchait.

C’était à se taper la tête contre les murs. Littéralement.

 

Elle m’examina tout doucement, s’excusant quand mes glapissements rentraient mon corps dans le fauteuil. Vaines tentatives pour échapper à ses outils qui redoublaient dans mes os la pulsation de mon sang. Et pendant que ses doigts me fouillaient s'attachait à mon cerveau la magique pensée que tout se réglerait de soi-même. Que je me lèverais au matin délivrée. Enfin moi, tant la sinusite combinée à la rage de dents m’avait fait m’amoindrir, racornie dans la chaleur étouffante du bungalow, épuisée d’avoir si mal et de me sentir si seule.

Elle fit claquer ses gants dans une dénégation. Rien d’anormal. Il fallait cependant faire des radios, avaler des antibiotiques, des dérivés de morphine ou d’opium. Eux seuls pourraient museler la perceuse qui, me vrillant le crâne, menaçait de me rendre folle.

Lorsque je revins la semaine d’après, j’étais loin de me douter que cette visite n’était qu’un début vers l’enfer et l’amitié.

 

Au fil des semaines, ce cabinet médical perché à l’étage d’une grande bâtisse face à l’hôpital, un peu vétuste et toujours trop chaud, est devenu la dépendance de ma maison. La salle d’attente, exiguë, s’encombre d’un bureau et d’un canapé.

J’y ai passé des heures, somnolant alors que, de l’autre côté de la porte vitrée, la roulette stridulait. Par-dessus, comme pour en masquer le bruit, la télé braillait un film ou des chansons. Maladroit moyen pour faire tenter d’oublier ce vrombissement de guêpe surexcitée que craignent tant de patients.


Lorsque c’est enfin mon tour, j’entre et les retrouve toutes les quatre : elle, Rhoda, la dentiste ; Mabel, son assistante ; Iza et Neng, les petites mains dédiées au téléphone, à l’aspiration, à la préparation des outils et des pâtes.

Ces trois jeunes filles sont d’une rare beauté. Tandis que Mabel est penchée sur moi, visage à demi camouflée par un masque de chirurgie, j’aime attraper les amandes obliques de son regard. Voir perler à son front la fine bruine de sa transpiration. Redessiner la ligne arquée de ses sourcils, me fondre dans la mousse de son chignon ébène.

Parfois la chevelure détachée de Neng me caresse l’épaule. Et parfois, lorsque l’anesthésie ne suffit pas, Iza serre mes mains dans les siennes.

 

Chroniques incisives 2C’est arrivé au cours d’une séance particulièrement pénible. Trois heures que j’étais sur le fauteuil, cou tordu, mâchoires endolories de s'ouvrir, coins de la bouche écorchés à force d’être tirés.

Neng m’apporta un coussin volé au canapé. Mabel prépara une autre injection. Sur la tablette s’entassaient déjà quatre recharges vides, mais rien n’y faisait. L’anesthésie ne prenait pas, ou pas assez.


C’était toutefois mieux qu’au départ, où le simple effleurement d’un coton sur ma molaire me faisait  hurler. Mais là, il fallait ôter le nerf.

Six injections plus tard, je souffrais encore. Renzé, un jeune dentiste venu pour courtiser Mabel, fut mis à contribution. Et je fus bientôt entourée, ployées et attentives au-dessus de moi comme pour un accouchement, cinq têtes brunes. Mabel tenait la roulette, Rhoda la lampe, Neng le tuyau à aspiration et Iza mes poignets.

Renzé, lui, ne tenait rien. Il regardait.

Soudain, il s’éclipsa avec Rhoda. Entre les aigus de la roulette je crus percevoir un murmure bas. Ils ne me l’avouèrent qu’après : assis face à face au bureau, mains jointes, ils priaient. Le saint des causes difficiles ou Notre-Dame du Bon Remède pour me soulager.

 

Un autre jour une coupure de courant stoppa tout. La lampe médicale s’éteignit dans un brusque clac. Dans la main de Mabel la roulette cessa de tourner. J’étais là depuis des heures, j’aurais pu repartir mais la priai si possible de continuer. Elle acquiesça, un peu surprise. Prit de bizarres instruments pour remplacer celui qui ne marchait plus. La séance se poursuivit avec les moyens du bord : la lumière du téléphone portable de Neng braqué dans ma bouche.

A six heures Mabel déclara forfait. La clarté n’était plus assez forte, le soir trop avancé.

 

Un autre jour je fondis en larmes. Déjà plus d’un mois que je venais ici deux fois par semaine, nantie de l’interdiction de plonger. D’une session sur l’autre les problèmes s’ajoutaient aux problèmes, file continue de maux à soigner et d’erreurs à rattraper.

Après une dent c’était une autre qui lâchait, comme si toutes s’étaient donné le mot pour m’emmerder. Mille fois je maudis les « bons praticiens » français et leur travail bâclé.

Chaque semaine j’espérais que tout serait fini la suivante.

Chaque semaine je me trompais.

Maintenue hors de l’eau tel un poisson agonisant hors de son aquarium, je craquai, alignant sans suite des mots de déception et de colère. Rhoda faillit pleurer aussi. Honteuse de m’être laissé aller, j’ouvris aussitôt la bouche.

La séance pouvait commencer.

 

Chroniques incisives 3Au cours de ces semaines j’eus mal, j’eus peur. Peur que l’infection rongeant deux de mes molaires ne passe dans mon sang pour se répandre dans mon corps. Risque de septicémie, d’endocardite infectieuse majorée par mon souffle au cœur. Fichue valve mitrale qui résonne à chaque battement.

Alors, pour conjurer le risque, beaucoup d’antibiotiques. Beaucoup d’effets secondaires aussi. Nausées, épuisement, vertiges, problèmes cutanés, insomnies.


Jours de peine et de coton, de disette et de blues à l’âme. Cerveau englué au crâne, moite sous l’éphémère fraîcheur de la douche, rêvant d’établir asile dans mon frigo. Songeant parfois que je pourrais crever loin de ces amis qui ne prenaient ni ne donnaient de nouvelles.

Sauf elle, Méline, la compagne d’enfance à la voix rassurante et au visage de madone.

Et elle, virtuelle mais toujours présente pour accompagner mes pas.

Sauf lui, le samouraï des Perhentians, si lointain et pourtant si proche, s’inquiétant de mes silences et meublant mes nuits de messages en bouteilles à la mer.

 

Puis, à côté de ces moments, d’autres, drôles et légers comme des phares dans la brume.

Cette fête à laquelle Rhoda, devenue amie, me convia. Lorsqu’elle m’invita, je ne compris rien et me retrouvai, stupéfaite, à l’anniversaire de sa sœur, sans un cadeau à offrir.

La maison était splendide, vaste propriété ouverte sur deux jardins où des chiens gambadaient. Pas ces cabots utiles qui défendent de leurs aboiements un maigre lopin de terre. Ces chiens-là, shiatsus et caniches, étaient faits pour l’ornement et les caresses. Quant au buffet, il se tenait au salon, gargantuesque, montagnes de nourriture dévalant sur les assiettes.

 

Assise dehors, je vis défiler les invités.

Mabel, timide, m’interrogeant sur Paris comme si la capitale-lumière était la terre promise.

Un des frères de Rhoda, citoyen américain vendeur de médicaments et amoureux des armes à feu. Bowling for Columbine me trottait sur la cervelle alors que nous devisions et que j’évitai avec prudence les sujets qui fâchent.

Deux femmes apprêtées, touchantes, à l’anglais parfait. Elles s’étonnaient du mien alors que j’étais française, et mille fois s’excusèrent de quitter la place après avoir terminé leur assiette. Elles se levaient à l’aube, moi pas.

A peine toute l’assemblée fut-elle rassasiée qu’elle se sépara sans chichis. Pas plus aux Philippines qu’en Inde on ne s’attarde une fois le dessert avalé. Ici ou là-bas, la tradition du digestif-café n’existe pas, les conversations étirées en volutes dans la fumée de cigarettes non plus.

J’étais d’ailleurs, semble-t-il, l'unique fumeuse. Et par égard pour les poumons vierges de nicotine de mes voisins je m’abstins, préférant glisser un cure-dents entre mes lèvres.

 

Les longues discussions tenues au cabinet médical me remplissaient autant de joie que d’étonnement. Ni Rhoda ni ses assistantes n’avaient par exemple jamais vu de tampon. Aussi, tandis que j’en sortais un de mon sac, arrondirent-elles les yeux, me demandant si cela « ne blessait pas l’intérieur ». J’eus beau affirmer que non, elles me fixaient d’un air circonspect en se passant tour à tour la bourre d’ouate.

 

Chroniques incisives 4Quand la conversation tomba sur les pyjamas, je répondis que j’aimais dormir nue. Ma phrase fut saluée par un concert de gloussements incrédules.

Nue ? Je ne craignais donc pas de m’enrhumer ? N’avais-je pas au réveil mal au ventre ? Et si le feu se déclarait chez moi, comment me sauverais-je ? Sans vêtements ou avec une serviette hâtivement nouée ?

J’arguai que prendre froid sous un climat tropical était aussi improbable qu’un incendie ravageant ma maison. Bien qu’hochant la tête, sûrement par politesse, elles ne furent pas convaincues. Dormir nue leur paraissait aussi exotique que, pour nous, les palmiers ondoyant en plein hiver sur une mer d’huile.

 

Que je vive seule, libre et heureuse avec des amants de passage, cela leur semblait de la science-fiction. Lorsque Rhoda s’enquit du nombre de mes petits amis, elle me vit laborieusement les compter sur mes doigts. Puis m’arrêter en plein milieu pour la questionner :

- Mais euh… qu’appelez-vous boyfriends, au juste ?

S’il s’agissait d’hommes m’ayant retourné l’âme, une seule main suffisait. D’hommes avec lesquels j’eus une histoire, il me fallait solliciter mes pieds. D’hommes avec qui j’avais couché et nous y serions encore jusqu’à demain.

- Hu… As you like, trancha-t-elle sans trancher.

- They are too many anyway, louvoyai-je dans un sourire.

Un rire collégial cueillit ma réponse. Je ris aussi.

Comment leur exposer ma vision de l’amour et du sexe ?

Trop d’océans nous séparant rendent l’explication impossible ou tristement plate. Bien que femme, je ne suis promise à aucun homme, aucune moitié d’orange qui viendrait combler mes interstices. Et même si, midinette, je la cherche encore de par le monde, ce ne sont pas avec les moyens traditionnellement associés à mon sexe.

Coucher d’abord, réfléchir après.

Essayer avant de souscrire, sans oublier de lire les minuscules appendices au bas du contrat.

 

Dans trois jours Ethan arrive et ces quatre femmes en sont presque plus excitées que moi.

Pourtant Dieu sait que ça me fait plaisir. Diablement, même.

 

 

 

Et tu me demandes si j'ai bien pris ma dose ? 

 

Crédits, respectivement : photos de Hans Bellmer et Jeanloup Sieff.

Toiles de Sir Francis Bacon et Léon Spilliaert

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
Ecrire un commentaire - Voir les 4 commentaires
Retour à l'accueil
Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés