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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 25 janvier 7 25 /01 /Jan 03:00

Ivan a été un très bel homme, il l'est encore malgré ses soixante ans révolus.
Il a les yeux bleu glacier et le regard polaire qui jamais ne cille ni ne se détourne. La répartie sèche en uppercut, appuyant avec art sur tous les points faibles.
Ivan a l'humiliation facile
 des imprudents osant s'opposer à lui. Avec cette plèbe il ne discute pas, il ne crie pas, il parle sans s'interrompre d'une voix posée, méprisante, inflexible, cassante. Ses mots au curare font plier ses contradicteurs avant de les jeter à terre.
Je jurerais que, même en cas de lutte par trop inégale, il n'en conçoit jamais de remords. Seul son sens aigu des convenances lui interdit de piétiner les perdants à même le plancher.

Ivan a la prestance de son ancien métier d'homme d'affaires, de décisions, de terrain. Alors que certains passent leur vie à brasser du vent, lui, il la dépensa à brasser du fric et du pouvoir.
Je gage qu'un salarié convoqué dans son bureau - celui du patron, bien sûr - ne devait pas en fermer l'oeil de la nuit. Et qu'il arrivait
 au petit matin, tremblant et blême, rasant les murs, prêt à toutes les excuses, toutes les promesses, toutes les compromissions pour ne pas tomber en disgrâce.
Les tyrans inspirent une crainte qu'ils ont à cœur de cultiver. Elle est à la fois leur meilleure publicité, leur garantie d'avoir et le dessus et la paix.

Je me souviens de deux scènes terribles - parmi d'autres - à quelques années d'intervalle.
La première se déroule dans un restaurant chic où, pour une fois, la famille se retrouve presque au complet : Eliott, mon oncle
 plus jeune et son épouse, ma mèrema grand-mèremon beau-père et moi. Nous tous sauf Ivan et sa femme. Une réunion se prolongeant plus que prévu, paraît-il.
Alors nous les attendons, des heures.
Lorsqu'ils arrivent enfin, ils n'ont même pas un mot d'excuse. Que les gueux crèvent de faim n'est pas leur problème, que diable !
Au cours du repas, fidèle à lui-même, Ivan se change en statue de sel. Mutique, absent, un air de profond ennui scotché au visage, il affiche ouvertement qu'il serait mieux ailleurs. Peut-être pas seul mais sans nous, tant notre présence aussi décorative que bruyante le fait bâiller.
Il renaît à peine de ses cendres lorsqu'Eliott, en recherche d'emploi, relate un entretien avec une chasseuse de têtes.
Mais lorsqu'Eliott explique, c'est comme d'habitude : il commence par le milieu puis perd le fil, s'embrouille, s'attarde sur l'accessoire, oublie l'essentiel. Une vraie araignée engluée dans la toile qu'il vient de se tisser.

Un "tâte-mites" dans toute sa splendeur embarrassée. Le surnom inventé par ma mère lui sied comme un gant.

Frétillant comme un chien fier de ramener un os, Eliott veut nous épater, nous prouver qu'il a brillé face à "cette femme aussi intelligente que belle, qu'il aurait volontiers invité à dîner, d'ailleurs".
Délicat pour son épouse qui encaisse le choc à grand renfort de champagne.
Mais lui, planant dans les hautes sphères où il s'est - croit-il - hissé, ne s'aperçoit pas de sa goujaterie. Au contraire il en rajoute, mais cette fois sur lui-même, vantant ses qualités de 
concision, de clarté, de rapidité de décision.
Si vraiment il les possédait, le speech n'aurait pas duré une heure mais dix minutes.

Cet exposé par le menu horripile manifestement Ivan. Rompant soudain le silence dans lequel il s'est emmuré, il lâche soudain :
- Et tu ne te rends pas compte que tu as été nul ? Que tu as tout foiré ? Qu'elle t'a déjà rayé de ses dossiers ?
Une chape de plomb tombe sur la nappe.
Plus personne n'ose émettre le moindre avis, hormis ma grand-mère qui, comme toutes les mamans du monde, vole à la rescousse de son petit :
- Mais il est doué, Eliott... Moi, je suis sûre que cette femme le rappellera.
Évidemment, c'est Ivan qui eut raison.

La deuxième scène a lieu alors que ma grand-mère n'est plus en mesure de donner son avis : la maladie qui la ronge a déjà trop endommagé son cerveau.
N'empêche qu'elle tient à le fêter, ce Noël. Et comme les autres années s'il vous plaît, avec le plus beau chapon du traiteur, payé d'avance. Le problème du volatile, c'est son poids. Elle est trop faible pour le porter jusqu'à sa maison en haut de l'impasse. Du coup, le travail revient à Ivan et à sa femme. Laquelle pousse la porte, couvant l'animal d'un regard dégoûté, et braille avant même de dire bonjour :
- On n'en veut pas, on n'a pas faim !
En matière de salut amical, on fait mieux. Difficilement pire.

La convivialité la plus torride est atteinte à table. Au cours de la semaine, mon oncle et sa femme emmènent ma grand-mère dans le sud. Ses souvenirs ont beau se faire la malle, de ça, elle se souvient.
Aussi demande-t-elle d'une petite voix :
- Quand part-on, au juste ? Et pour combien de jours dois-je préparer ma valise ?
Personne ne lui répond.
Ma grand-mère hésite. N'aurait-elle pas parlé assez fort ? Ou oublié ce qu'on lui a déjà répété dix fois ?
Si je connaissais la réponse, je la lui aurais bien sûr donnée. Mais le secret des dieux était bien gardé.
De fait, la voilà obligée de s'abaisser encore à mendier :
- Quand part-on ? Combien de jours ? C'est pour ma valise...
À nouveau un silence glacial. Puis, enfin, Ivan qui s'adresse à sa femme :
- T'as qu'à lui dire, toi, puisque tu le sais !
Et elle de rétorquer, hargneuse :
- T'as qu'à lui dire toi-même, puisque c'est ta mère !
Tant de grossièreté me laisse si effarée que la colère se coince dans ma gorge.

Aujourd'hui,
 le petit peuple des esclaves d'Ivan marche toujours au pas cadencé. Mais sans moi, sortie du rang, moins en mon nom propre qu'en celui de ma grand-mère, qui a perdu le peu de raison qui lui restait.

Je l'ai fait placer sous tutelle.
Ivan me veut petite poupée
 inoffensive, manipulable à sa guise, soumise à ses injustices comme à son autorité. Mais la poupée a des ongles, des dents et un cerveau. Avec les années qui ont passé, elle n'est pas d'ailleurs plus une poupée.
Et elle n'est plus petite. À présent, elle est grande.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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