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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Lundi 24 décembre 1 24 /12 /Déc 10:46

Le jour où j'ai commencé à trier les affaires de ma mère, le sang s'est mis à couler entre mes jambes.
De semaine en semaine, je retournais à cet appartement d'adolescence à reculons. Je tournais la clef dans la serrure le ventre noué. Je poussais la porte le souffle court. J'avais la migraine, envie de vomir. Un sentiment terrible d'oppression me pesait sur la poitrine.

Au tout début du tri, j'ai saisi un sac dans le débarras. L'ai tiré trop fort. Une pluie drue de besaces, de pochettes, de réticules et de valises a dégringolé sur ma tête. Je n'ai pas eu le temps de m'en protéger. A moitié assommée, je me suis recroquevillée sur le plancher. Dépeignée, hurlante, ivre de tristesse et de rage mêlées.
Pourquoi me faisait-elle subir ça ?
Hors de moi, j'ai frappé les meubles, balayé les bibelots, lancé contre les murs ce qui me tombait sous la main. Piétiné le chaos en invectivant l'absente à travers les pièces désertes.
Pourquoi, pourquoi m'as-tu fait ça ?

Son héritage m'est tombé dessus, je n'en voulais pas. Il était un fardeau que je n'avais jamais sollicité, un poids trop lourd, un poids mort. Mais à mon corps défendant, je l'ai accepté. Impossible de le refuser à moins de me transformer en fille indigne.
Je suis, je dois être celle qui continue. Simple maillon d'une chaîne brisée, forgée bien avant ma naissance, perdurant bien après mon décès.

Souvent, ma mère me disait :
- Tout ce que j'ai, ce sera pour toi.
Je ne supportais pas d'entendre ça. Je ravalais mes larmes, je devenais violente. Je lui disais d'arrêter ses conneries.
D'autres fois, je me mordais les joues et ne répondais rien. Ce que l'on ne nomme pas n'existe pas. Naïvement, je croyais que taire la mort la tiendrait à distance.
Un jour, évidemment, ma mère mourrait. C'est ainsi qu'avance le train de la vie, poussant ses occupants sur la voie ferrée pour laisser de la place aux nouveaux arrivés. Mais ce jour-là, on se refuse à y penser. Il viendra toujours trop tôt.

La mort de ma mère m'a laissée face à la lente invasion qui gagnait son appartement, encombrait ses placards, débordait de ses penderies, rampait derrière le canapé, le dessous des lits, occupant jusqu'au moindre espace encore vacant. Même le vieux poêle à charbon était saturé de fleurs séchées, de cailloux et de brindilles.
Nombre d'affaires figuraient en double, en triple, en quadruple. Cette kyrielle me fendait le coeur. Je ne la comprenais pas. Je ne savais à quoi l'attribuer. Compulsion de la collectionneuse, coquetterie de jolie femme ?
Peu importe. La masse délirante du tout additionné sonnait comme une accusation.
Fallait-il que ma mère se sentît si seule pour dépenser encore et encore, entasser encore et toujours, poussant les meubles pour faire de la place, en achetant de nouveaux pour les bourrer jusqu'à la gueule ?
Le doute m'empoisonnait. La quasi-certitude me rendait malade : je ne lui avais pas assez donné, elle avait rempli le vide de la distance que j'avais instaurée entre nous. La béance d'un amour que, trop égoïste ou trop pudique, je n'avais pas su lui témoigner.

Depositaire 3Ces affaires, elle les avait achetées une à une, il me revenait de (les) payer au prix des larmes.
Combien de fois ai-je lâchement rêvé d''y foutre le feu ? De me ruer dans la cour pour rouler des poubelles sous ses fenêtres et d'y faire basculer l'ensemble, sans y toucher ? D'ouvrir grand sa porte et d'intimer aux passants de venir se servir ? D'appeler les encombrants ou les marchands des puces pour qu'ils m'en débarrassent enfin ?

Insidieusement, la liste toujours ouverte de ses possessions m'écrasait, m'empêchait de dormir, me réveillait en pleine nuit. Fatras incommensurable, arsenic et vieilles dentelles : vêtements remisés depuis les années 60, épousant toutes les modes, les époques, galets ramassés sur les plages des vacances, piles de magazines, étagères entières de livres, bibelots de brocanteur, assemblage hétéroclite d'assiettes, de verres taillés, de saladiers, de couverts en argent, collections inachevées de vieux outils, de médailles...
Les acteurs, les témoins d'existences entières se dressaient devant moi. Celle de ma mère, bien sûr, mais aussi d'ancêtres dont j'ignorais jusqu'au prénom.
A qui donc avait appartenu ce pot de chambre ? Ce bibi en plumes mitées ? Ces robes amoureusement pliées sous housse plastique, empestant l'oubli et la naphtaline ? Cette correspondance en allemand datant de la dernière guerre ?
Ces objets muets, forcément muets, me renvoyaient à un avant mystérieux. Intriguants et hostiles, ils me sommaient de disposer d'eux mais, surtout, de les reconnaître pour leur assigner une place.
Comment l'aurais-je pu ?
Ma mère était morte, ma grand-mère perd la mémoire. Pour toujours et à jamais, la serrure de la (re)connaissance me resterait verrouillée. Les attaches qui me reliaient à mon passé étaient sectionnées, ses deux clefs définitivement perdues.
J'ai beau faire partie du trousseau, je suis la clef surnuméraire, celle qui n'ouvre aucune porte.
Sous le signe du lien brisé(e), mon histoire m'échappait.

Malgré moi, je me retrouvais propriétaire d'objets que je n'avais pas choisis. Et de par la loi, je pouvais en user à ma guise, sans jamais les avoir possédés.
Mais de quel droit pouvais-je éparpiller ce qu'elle a passé sa vie à rassembler ? Vider ce qu'elle a empli, donner ce qu'elle aurait souhaité conserver, piller ses biens sans lui demander son avis ?
Tout héritage est une crise aiguë de conscience, toute transmission une dépossession et une prise de possession : hormis de beaux habits dans son cercueil, le mort n'a plus rien ; le vif, lui, se retrouve à la tête de son cheptel. Berger dérouté, égaré sur les chemins tortueux, rattrapé par testament.
En passant le relais, le mort saisit le vif.



Depositaire 2Pour finir, je voudrais remercier ceux qui m'ont aidée à traverser cette longue épreuve.

Sans vous, mes amis, je n'y serais jamais arrivée. Vous qui, pendant plus d'une année, avez pris de votre temps pour trier, séparer, jeter. Avez puisé dans votre énergie pour nettoyer, porter, empaqueter. M'avez conseillée pour la destination de certains objets, avez accepté d'en recevoir en cadeaux.
Maintenant, grâce à vous, des petits bouts d'elle sont disséminés dans la France entière et même à l'étranger. Le don d'ubiquité, exister à la fois ici et ailleurs, elle aurait adoré.
C'est bien le moindre des cadeaux que je pouvais lui offrir.

Alors, à tous - et à toi qui me liras aujourd'hui ou demain, j'en suis sûre -, merci du fond du coeur.

 

 

Photos : Mauricio Palos, Ken Graves et Eva Lipman.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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