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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Vendredi 29 mars 5 29 /03 /Mars 14:36

L'envie s'en mêlant, je poursuis une histoire débutée quelques mois. Elle se suffirait en l'état, mais il me fallait la sentir achevée. Et je crois qu'elle vous avait plu.

Il y a deux jours, une fausse manipulation avait entrainé la mise en ligne de ce billet encore incomplet. Un signe, peut-être ? Alors retour en Mongolie avec...

 

L'épisode précédent.

 

 

L'homme de la yourte 13terLe réveil est une épreuve. Éreintés de notre trop courte nuit, fourbus de plaisir et courbatus d'un mauvais sommeil, Ayal et moi rechignons à nous extraire des couvertures.

Je retrouve Bertille pour lui annoncer mon escapade : une journée et une nuit au parc national de Terelj.

Le réceptionniste m'écrit le nom et l'adresse de la guesthouse en mongol. Sans cette précaution, probable qu'aucun chauffeur de taxi ne pourra au retour m'y déposer.

Il me précise que peu de bus partent de Terelj, d'autant que je dois en changer à la périphérie d'Oulan Bator. Attente incluse, le trajet me prendra plusieurs heures.

- Tu es sûre de vouloir m'accompagner ? m'interroge Ayal. Je me sens coupable, c'est un voyage long et chiant... Pour rester peu sur place, au final.

- Oui, certaine, t'inquiète !

Plus tard il me dira que ma décision l'a à la fois surpris et charmé. Nombre de femmes, s'arrêtant au pénible de l'affaire, auraient à son avis renoncé.

- Pas toi. Tu n'as pas hésité et cela paraissait si facile... Je ne suis pas habitué !

Prudente, je décide néanmoins de quitter Terelj en fin de matinée. Aucune envie de me trouver bloquée dans un entre-deux urbain.

L'aller, lui, ne présente aucune difficulté : Ayal a commandé un taxi, rôle joué par le cousin du propriétaire qui arrondit ses fins de mois.

Les touristes, c'est une affaire de famille...


À l'heure dite, une vieille auto stoppe devant le portail.

- Vos affaires dans le coffre ! dit le cousin qui s'étonne du petit sac d'Ayal.

S'il savait...

Mon amant et moi nous installons, jambes mêlées, sur la banquette arrière. Son bras effleure mes épaules, ses doigts jouent avec mes cheveux. Durant toute la course, Oulan Bator, ses faubourgs, les montagnes et la steppe défileront derrière son visage tel un décor de cinéma.

Souvent je lis dans les yeux d'Ayal une attente, une tristesse ou un blanc.

Parfois il sourit en coin, dans le vide.

Sous son crâne défilent alors, j'en suis sûre, des instantanés de notre nuit.

Mes fesses blanches sur les couvertures sombres.

Mon corps en virgule relié à sa verge par mes lèvres closes.

Mes cuisses encerclant sa taille alors que ses mains se referment sur mes seins.

Assis ventre contre ventre, poitrine contre poitrine, sexes emboîtés, nous nous regardons ravis, émerveillés, comme amoureux. Sérieux et solennels aussi, muets de tous ces mots qui nous submergent.

En hébreu pour lui, en français pour moi... Tant de mots tus avec l'anglais au milieu.

À plusieurs reprises Ayal lâchera une phrase gutturale. Je dirai "Pardon ?" en m'en moquant, au fond. L'intonation me suffit. Il y a dans ses syllabes incompréhensibles la joie de s'être rencontrés, la tristesse de bientôt se séparer, la possibilité de vivre quelque chose si seulement... Et la beauté, et le plaisir, et la jubilation de baiser comme au dernier soir du monde.

Et en conclusion toujours ce sourire, bouleversant.


L'homme de la yourte 14J'ai un peu mal au coeur. La fatigue m'envahit en flux et reflux, tantôt m'étourdissant si fort que je crois défaillir, tantôt se muant en fébrilité sèche. Mes pensées jaillissent alors en désordre, fusées saccadées comme des automates de foire.

Je me loverais volontiers contre Ayal pour m'assoupir. Mais le temps nous est si compté que dormir, c'est le gaspiller.

Et mon amant, lui, a envie de parler.

Il se réjouit de revoir Boro, son guide. La personnalité de ce Mongol bourru, son calme à toute épreuve, son accueil chaleureux l'avaient marqué au fer rouge.

Boro parle très peu anglais. Peu importe.

Le reste est là, bien plus important : les regards, les sourires, les gestes.

De quoi en dire long sans blabla.

De quoi toucher l'essentiel sans se perdre en belles phrases.

- Nous avons beau nous connaître à peine, j'appelle Boro mon ami. Pour moi, c'en est un. Ça te paraît étrange ?

- Du tout. Nous nous sommes bien rencontrés avant-hier !

- Ah oui, vrai. Mais pour le coup, c'est l'impression de te connaître qui est étrange...

J'acquiesce. L'impression est partagée.


Oh, je ne m'abuse pas pour autant. Je sais pertinemment que d'Ayal, je ne sais presque rien. Ses habitudes, ses manies, ses tics, sa façon de décrocher un téléphone, de tenir un stylo, de se brosser les dents, de feuilleter le journal... J'en ignore tout, mais ce tout-là m'apparaît dérisoire.

Notre lien n'est pas celui du quotidien mais de l'exceptionnel. Pas celui de l'écorce mais du noyau, ce noyau dur qui, au fond de nous, englobe nos croyances, nos rêves, nos espoirs, notre vision de l'existence.

Bien que différents, le chemin d'Ayal se confond avec le mien.

Tous deux avons connu la douleur de la perte ainsi que la renaissance.

Tous deux avons, vacillante mais chevillée à l'âme, cette foi en la vie, ses surprises, ses signes, ses cadeaux, ses mystères. Cette faim, aussi, d'en aspirer le suc, de la mordre au travers.

L'intimité ignore la durée. Elle ne se mesure pas en semaines, mois, années mais peut éclore en un après-midi, inespérée, indéniable, profonde, à l'image de cette vallée sertie de hautes montagnes entre lesquelles notre voiture s'engage.


L'homme de la yourte 15bisAyal affirme qu'il ne veut plus partir à cheval mais rester avec moi. Deux jours, trois, quatre, jusqu'à ce que le transmongolien m'emmène en Chine.

La seconde d'après, il soutient que cette randonnée lui est essentielle. Dans la nature, l'isolement, le silence faire le point, renouer avec un lui-même si chahuté qu'il en a oublié qui il est.

J'approuve. De ces retrouvailles ne pas faire l'économie.

- Oui mais... Toi...

Mon amant s'embrouille.

Mon amant se contredit.

Ce qui est certain, c'est que son ami Boro est au bout de la route.

 

Boro est un nomade sédentarisé. Il n'habite plus une yourte mais une maison en béton cernée d'une palissade.

Dépourvue d'eau courante, elle oblige ses occupants à remplir des bidons à la rivière. Autant dire qu'à l'intérieur, il n'y a pas de salle de bains. Sombre et enfumée, l'unique pièce comporte une table, un poêle-gazinière, un évier et deux lits.

Un pour Boro et son épouse Odval, l'autre pour Sükh, leur jeune fils.

En comptant leurs deux amis invités au repas, la minuscule bâtisse est bondée.

Nous n'y logerons pas, pas de place. Notre domaine, c'est la yourte plantée dans le jardin.

Autour, de la boue entre deux bandes d'herbe pelée.

En face, les toilettes, un simple trou masqué par quatre planches

Le confort est rudimentaire, le froid pinçant.

Je souris de ce retour à la steppe, bien plus plus luxueux que les conditions parfois extrêmes de mon périple.

- Ça te va ? s'enquit Ayal embarrassé.

- Bien sûr !

Il s'avoue soulagé. Frappe ma paume de ses doigts étendus en signe d'alliance. Peu de femmes de son entourage, à commencer par sa compagne, supporteraient de passer une nuit ici.

Moi, je m'en fiche. J'ai connu bien pire, plus sale et plus précaire.

 

Son pantalon trop grand rapiécé aux fesses, son vieux pull dégoulinant sur sa chemise taché, vif, morveux, attendrissant, Sükh rôde autour de nous. Notre visite, c'est de l'imprévu qui le détourne de son ennui. Il tente d'engager en mongol une conversation qui tourne court.

Ni Ayal ni moi n'avons l'énergie de nous y lancer.

Assis sur le seuil de notre yourte, nous fumons en silence.

Sükh, monté sur un vélo déglingué, passe et repasse à toute allure. Il ne craint ni les flaques ni les cailloux, ni son chien qui, vite lassé de poursuivre ce virevoltant cheval de métal, se couche en travers de sa route.

Lassé lui aussi, Sükh abandonne son vélo et s'empare d'un ballon. Petit footballeur maladroit, il enchaîne passes et dribbles sous nos yeux las.

- Ouh la la, il me donne le vertige... dis-je à Ayal.

- Allons nous reposer, d'accord ?

Nous rentrons dans la yourte en laissant le petit bonhomme à sa partie.

- Zut, la porte ne ferme pas !

En effet le loquet pend du chambranle, cassé. Tant pis. Nous espérons que, si Sükh s'aventure chez nous, il aura l'égard de s'annoncer.

 

L'homme de la yourte 16À peine avons-nous déballé nos affaires que Boro nous appelle pour manger.

Nous voici sur un lit de la chambre-salle à manger-cuisine. Odval a préparé des nouilles mongoles : des morceaux de pâte épaisse coupés en longueur, nageant dans un bouillon agrémenté de rares légumes, de viande, de gras et d'os.

Du mouton, bien sûr, dont l'odeur musquée me soulève le coeur.

Sur la table, l'apéritif : des filaments de viande séchée, coriaces, filandreux, trop salés.

J'en goûte un puis passe mon tour.

Un gamin, deux ans tout au plus, s'amuse avec un fémur et un couteau. Le second lui sera sans hâte retiré des menottes. Le premier et ses rares morceaux de chair encore accrochés lui dureront une partie du repas.

Une fois l'os nettoyé, le petit le recycle avec forces gazouillis en batte, canne, massue.

Émerveillé, incrédue, Ayal l'observe :

- Dire que chez nous, les enfants ont de vrais jouets qui ne les amusent même pas !

Je me doute qu'il pense à ses enfants trop gâtés. À son aînée, surtout, capricieux bout de femme dont il m'a avoué, dans un sourire aussi charmé que vaincu, être l'esclave.

- Elle prend pour acquis que je serai toujours là. Parfois elle me commande comme un domestique et me parle comme à un valet.

Esclave, domestique, valet... Les mot me choquèrent. Je ravalai mon effarement.

Critiquer une éducation auprès de ceux-là même qui la délivrent est le plus court chemin vers une dispute. Aussi clairement que je sais qu'Ayal et moi n'avons aucun avenir.

Il pourrait quitter sa femme, sa clinique, son pays. Ses enfants, jamais.

C'est à leurs côtés, jour après jour, que sa vie se tient. D'eux qu'elle tire sa valeur, sa direction, son sens.

Ayal est, je le crois, père avant d'être homme. Ce qui, pour moi qui ne suis pas mère, se tient hors de ma portée. Si je vois son amour infini pour ses enfants, si je le sens, je ne le saisis pas, je ne le ressens pas.

Malgré notre concorde, cette différence-là, énorme, creuse un gouffre entre nous.

 

À suivre.

 

Photos : Paul Outerbridge, William Wegman, Brassaï, Anna Hurtig.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 27 mars 3 27 /03 /Mars 18:50

L'épisode précédent ici.

 

RV escort 15Warren est nu, à l'exception de ses bottes et du châle vert qui ceint sa taille.

Sous l'étoffe ajourée sa peau se devine.

Autre chose aussi, une protubérance qui oscille à chacun de ses pas.

Je fronce les paupières pour mieux voir.

Oui, le tissu forme bien une bosse. Une grosse, me semble-t-il.

Soudain de profil, Warren en exhibe la taille plus que respectable. On jurerait un faune priapique rivés dans des santiags.

Moi qui m'attendais à un sage strip-tease, me voilà soufflée.

Warren utilise-t-il un accessoire ? Un godemiché, peut-être ? Une banane coincée dans un slip couleur chair ?

Mais d'ailleurs, en porte-t-il un, de slip ?


On a dark desert highway...

Mon cerveau récite en vain les paroles des Eagles. Celles-ci ne viennent pas. Le show sera purement instrumental, et durant sa totalité je rétablirai les paroles manquantes.

Warren ondule au rythme des guitares, me présente son dos musclé, agite sa croupe, gonfle ses biceps. Sous l'arceau de ses coudes ses yeux cherchent les miens. S'y rivent alors qu'il se retourne, transfiguré.

Ce n'est plus le jeune homme un peu timide qui évoquait ses chasses aux oursins dans un sourire de gosse.

Ce n'est plus le fils sentimental montrant le tatouage gravé au nom de son père.

Ce n'est plus l'escort butant contre ma chaise, touchant mon épaule en se retenant de l'étreindre, frôlant mon dos sans oser le caresser.

Ce n'est plus le compagnon d'alcool trinquant avant chaque gorgée, le non-fumeur allumant une cigarette pour se donner une contenance.

C'est un homme mûr, provocant, sûr de ses gestes, de son pouvoir sexuel et de sa verge érigée. Un homme à l'affût de mes réactions tandis qu'il écarte ses lèvres, darde sa langue et la promène sur ses dents. Qu'il lèche ses doigts et agace ses tétons. Qu'il tend un bras dans ma direction et feint de me remorquer jusqu'à la scène. Qu'il engouffre une main entre ses cuisses, en sort à demi son chibre et le coince sous la frange de son châle.

Rouge contre vert, hypnotisée je fixe ce gland congestionné. Et je redoute, oui, une brutale intervention du vigile.

 

 

RV escort 16Warren a-t-il le droit de se dénuder entièrement ? En public et dans un pays ausi conservateur que les Philippines ?

Je croyais que le spectacle avait pour limites celles de la bienséance.

Le buste, le ventre, les jambes, passe, il n'y a pas de quoi fouetter un chat.

Les fesses, pourquoi pas.

Mais une érection ?

Naïve je supposais que la partie explicite était réservée à l'obscurité du fond de salle, à l'intimité d'une chambre d'hôtel.

Je me trompais. Sauf si le vigile ne se décide à violemment arracher Warren du podium.

Rien ne se produit.


Soudain je comprends pourquoi la préparation à cette danse fut si longue. Et me demande, forcément, si Warren tiendra la distance.

Hotel California dure six bonnes minutes. Planté sur une scène surchauffée, trempé de sueur, aveuglé par les spots, un homme peut-il sans faiblir rester six bonnes minutes dur comme un tronc, un caillou, une clef à molette ?

Warren le peut, en effet, mais il triche. Se tripote au détour d'un accord, s'astique sur un solo, le tout sans cesser, jamais, de me contempler.

Aguicheur, insolent, obscène, il semble vouloir me donner un avant-goût de notre nuit si je l'invitais à l'hôtel. Un aperçu de notre débauche par un étalage de virilité, une démonstration de ses talents, une preuve de sa capacité à bander encore et encore pour me satisfaire, quitte à devoir relancer la machine.

Mais ai-je envie de l'inviter ?

Telle sa verge oscillante je balance entre oui et non. Et n'ai pas le temps de me fixer qu'il s'éclipse de la scène.

Pour foncer droit sur moi.

 

Deux notes électriques et mes lèvres font face à son ventre nu.

Je me dandine gênée. Loin de me réconforter, mes furtifs coups d'oeil alentour confirment mon intuition : tous les clients, tous les escorts, tous les serveurs d'El Navigator m'observent. La mine intriguée pour certains, amusée pour d'autres.

Sûr qu'ils spéculent, tous, sur mon prochain mouvement.

Moi aussi.

Que suis-je censée faire ? Qu'ai-je d'ailleurs envie de faire ?

La présence de ces spectateurs curieux me dérange. Il y a trop de monde, trop de lumière, trop d'attentes auxquelles je suis sommée de répondre.

Warren dénoue son châle qui tombe sur le sol.

Me voilà nez à nez avec sa bite.

Je pourrais l'embrasser, la branler, la sucer que son propriétaire ne me repousserait pas. Sûrement même est-ce ce qu'il souhaite.

Je pourrais faire tout ce que je veux, oui, sauf une chose : me ruer sur mon portefeuille pour gratifier mon stripteaseur d'un pourboire.

D'abord parce que ses cuisses collées à mes rotules m'empêchent de bouger.

Ensuite parce qu'il n'a nul endroit où coincer un billet. Ni pantalon à poches ni slip moulant comme dans les effeuillages à la télé. Ni même l'élastique d'une longue chaussette, puisque Warren n'en porte pas.

Alors que suis-je censée faire ?


RV escort 17Warren m'a laissé carte blanche. Je ne l'ai pas jouée, il tranche à ma place. Penche le menton vers mes iris, s'empare de mes paumes et les pose sur ses tétons.

Puis, comme son collègue un peu plus tôt, les pousse le long de ses côtes. Jusqu'au rêche de ses poils publiens, jusqu'au velouté de sa hampe.

Mains recroquevillées sur les miennes, il leur imprime un lent va-et-vient.

Sa verge se raidit encore tandis que je me dérobe.

Warren déplace la table qui dans son dos le gêne. Aussitôt un serveur se précipite pour l'enlever.

Ma chaise, un îlot égaré dans un océan de musique.

Mon corps, une brique flanquée toute droite.

J'ai trop de bras, trop de jambes, trop de pieds. Un duo de cuisses crispées que Warren soudain enfourche bottes écartées, coudes amarrés à mon échine.

Que ressent-il à étreindre une femme de marbre ? À embrasser une gisante ?

Je l'ignore. À sa place je n'apprécierais pas.

Une brusque avancée de bassin projette sa bite au creux de mon estomac.

Un brusque recul la fait heurter mon entrejambe.

Avant, arrière, Warren ondule et se déchaîne. Mes genoux supportent un automate remonté à bloc, un lapin Duracell dopé aux pilules bleues, une machine à forniquer ma robe.

Une impression d'irréalité doublée de ridicule me submerge.

J'ai envie de rire, aux éclats. De crier pour de faux. De m'ébrouer comme une pouliche. De me reculer au risque de précipiter mon fardeau sur le plancher. De lui ordonner d'arrêter parce que décidément, il faut que ça s'arrête.

Hotel California est encore long. Bien trop.

Une paume ferme contre son coeur suffira.

Mon galant se lève, me sourit, frôle ma joue et regagne la scène. Le sillage blanc des spots l'accompagne.

Le serveur remet prestement la table en place.

Et moi, je respire.

 

Un autre danseur a succédé à Warren. Lui m'a rejointe. Il porte son short et son T-shirt. Il sent le savon et le parfum. Il me pelote le bras. Il me picore de baisers. Il m'enlace. Il rigole.

- Vraiment, tu ne t'y attendais pas ?

- Du tout !

- Mais c'est ça, mon métier...

Ça quoi ? je me retiens de dire. Les bandaisons déhanchées ? Les cavalcades sur les jupes des filles ?

Je lui explique que les spectateurs m'embarrassent. Que certains gestes, trop privés, supportent aussi mal la clarté des lustres que la promiscuité. Dans un club libertin, pourquoi pas. Mais là, à côté du bakla et de la tablée de Philippins...


RV escort 18bisJe ne m'aperçois pas que mon discours équivaut à une invitation. Qui n'échappe pas à mon vis-à-vis, bien sûr.

- Tu me voudrais dans ta maison ?

- Non, dis-je spontanément.

Warren opine du chef, déçu. Je comprends alors que j'ai peut-être mal compris : ma maison, c'est pour moi ma villa sur un îlot, pas l'hôtel de cette grande ville de passage.

Warren l'entend sans doute différemment.

Tant pis.

- Mais vraiment, tu ne t'attendais pas à mon show ?

Ma surprise et ma gêne le mettent en joie. Je m'en amuse aussi, d'autant qu'il me promet une seconde danse.

Je pouffe.

- Chiche !

La seconde sera identique à la première. Enfin, pas tout à fait.

Pour venir à moi Warren gardera son châle. En étendra les pans pour cacher mes paumes à l'assemblée. Gémira alors qu'elles courront, tour à tour légères et appuyées, sur son ventre, ses fesses, son sexe. Mêlera sa langue à la mienne avant de refermer le tissu sur notre secret.

Longtemps mes doigts retiendront ses effluves.

 

Lorsque je quitterai la salle, mon escort refusera de lâcher ma main. C'est pressé contre mes flancs qu'il m'accompagnera jusqu'au taxi et m'embrassera une fois, deux, dix, comme si je partais pour un long voyage. Recommandera au chauffeur de conduire avec prudence. Me soufflera par la vitre ouverte avec une tendresse, un désir peut-être authentiques :

- Come back, I'll be waiting for you !

Revenir à Cebu, c'est en effet pour bientôt.

Mais à El Navigator ? Je l'ignore. Je crois que oui.

 

 

Photos : 1re : Vincent Bousserez ; 2e : Christer Strömholm, 3e : Araki.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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Lundi 25 mars 1 25 /03 /Mars 19:10

L'épisode précédent ici.

 

RV escort 10Le jeune homme me regarde avec attention. Je l'imite sans savoir que lui dire.

C'est lui qui rompt la glace d'une formule convenue :

- Is it your first time here ?

Mon petit diable intérieur brûle de répondre que non. Que chaque soir me cueille dans un club de gigolos pour choisir une proie. Et que je la dévore.

Sans pitié. Toute crue.

Pas certain que mon vis-à-vis goûterait la plaisanterie. Peut-être même croirait-il que je suis une dangereuse psychopathe.

Aussi dis-je platement :

Yes, first time.

Il acquiesce d'une mine complice, une qui sous-entend beaucoup mais ne parle guère.

Je garde aussi le silence en lui laissant, non sans curiosité, l'initiative.

Divertir les femmes, c'est son métier, non ? Alors j'attends d'être divertie.


- My name is Warren. Nice to meet you !

Thanks ! Me too, hu... Warren.

Mon hésitation est perceptible.

Warren, vraiment ?

Pour se protéger, préserver leur anonymat et se garder des clients intrusifs, tou(te)s les escort(e)s que je connais travaillent sous un faux nom. Probable que Warren ne s'appelle pas Warren mais Dodong ou Harry. Warren doit être son nom de nuit, son identité de scène, sa persona d'homme public.

Pour un peu je le prierais de ne pas me mentir, de jouer cartes sur table même si l'on joue.

Mais qui suis-je pour l'exiger ?

Warren, Dodong ou Harry, cela fait-il d'ailleurs une quelconque différence ?

Aucune.

Va pour Warren, alors.

- And your name ?

Nouvelle hésitation. Lequel lui donner ? Celui de mon passeport ou celui de mon choix, que nombre de personnes utilisent ? Ou un autre, inventé, dont je me fiche, une identité jetable qui n'est pas mienne ?

Cela fait-il d'ailleurs une quelconque différence ?

Aucune.

Va pour le nom de naissance, alors.

- Oh, what a beautiful name !

Warren le répète en arrondissant les lèvres. On dirait une volée baisers suspendus dans l'air moite.

Sa chaise vient buter contre la mienne.

Notre intimité naissante s'enorgueillit d'un nouveau pas, je crois. 


RV escort 12Un serveur accourt. Suis-je d'accord pour offrir un verre à mon compagnon ?

- Of course !

Je suppose que chaque verre lui rapporte une commission.

Je suppose également que des clients refusent, ce qui me paraît radin.

À moins qu'un refus ne s'inscrive dans un code tacite : repoussé, le jeune homme doit quitter la table. Pour qu'il y reste, le verre devient une obligation.

Payer, c'est donc lui signifier qu'il plaît. Et Warren ne me déplaît pas, c'est certain.

Coup de torche sur l'addition de son rhum-Coca : 250 pesos, soit 100 de plus que mon gin-tonic, signature requise.

Les consommations des danseurs semblent plus onéreuses que celles des clients. Une façon de rémunérer leur compagnie, sans doute.

À la vue de mon portefeuille, le serveur rit.

- Non, Mââm, vous paierez à la fin, en sortant !

Ah. Une tactique commerciale, sans doute. Facile de perdre le décompte des verres lorsqu'on ne les règle pas un à un. Voire, pour les clubs malhonnêtes, de trafiquer l'addition.

 

Tchin tchin !

Warren lampe une large gorgée. Je me demande s'il boit vraiment du rhum-Coca.

Nombre de bars à champagne ne servent que de l'eau gazeuse à leurs hôtesses. Tromperie vis-à-vis du client, certes, mais sans préjudice pour leurs santés : au train où les filles enchaînent les verres, beaucoup finissent alcooliques.

Mes réflexions se brisent sur la voix de mon compagnon.

Penché à mon oreille, celui-ci souffle :

- Where do you come from ?

- From France.

Oh, voilà donc pourquoi je suis belle ! Beaux, tous les Français le sont, c'est connu.

Cliché, le compliment me pousse à sourire. Sous une forme ou une autre, il doit être servi à chaque client. Essentiel de les flatter, crucial qu'ils se sentent précieux, uniques, et par-dessus tout désirés.

Suis-je vraiment au goût de Warren ? Je l'ignore.

Cela fait-il d'ailleurs une quelconque différence ?

Aucune. Mais à plus d'une reprise je le surprends à me scruter à la dérobée, pupilles ricochant de mon front à mon cou, de mon nez à mes seins, de ma bouche à mes cuisses. L'air interrogateur, comme s'il s'étonnait de me voir là. Ou s'étonnait de se voir, lui, à mes côtés.

Je lui demande s'il doit parfois se forcer.

Souvent, hélas. Mais ce soir, Warren est heureux. Il n'a vu qu'une belle femme dans le club et cette belle femme, il l'a abordée.

Même qu'il va danser spécialement pour elle. Bientôt.


 

RV escort 11En attendant, Warren a envie de papoter.

- Are you married ? No ? You have a boyfriend, then ?

Je manque de m'étrangler au gin-to. Quelles drôles de questions !

- Me too, I'm single ! poursuit-il réjoui.

- Really ?

Je pouffe du tour surréaliste de la discussion. Familière, cependant, car tous les Philippins qui m'abordent la déroule à l'identique.

Auraient-ils leur chance ?

Si je suis célibataire, ils la courent.

Sauf que venu d'un danseur-escort, le propos me paraît décalé. Absurde, même.

One more rhum-Coke for Warren, Mââm ?

D'accord.

Warren remercie, trinque avec moi, accepte une de mes cigarettes qu'il laisse se consumer dans le cendrier.

Sans doute ne fume-t-il pas, mais refuser serait une faute.

Nouvelle cigarette. Mon escort allume la sienne sans me proposer le briquet.

Erreur, me dis-je aussitôt.

Ce mélange de professionnalisme et de maladresse naïve me rend Warren sympathique. Comme s'il tentait d'endosser un costume qui ne cesse de glisser, de porter un masque qui ne cesse de se fissurer. Comme s'il n'arrêtait pas de mentir sans cesser de se trahir.


30 ans et toujours célibataire, j'ai pourtant du mal à le croire.

Aux Philippines, cette situation est rarissime. 25 ans équivalant à une date de péremption, ceux et celles qui n'ont à cet âge pas trouvé preneurs ont en général un truc qui cloche. Un sérieux, même.

Quant aux autres, ils mentent.

Mais peut-être Warren dit-il la vérité, après tout. Peut-être appartient-il à la minorité des esprits forts, celle qui refuse que les règles sociales dictent leurs choix, leurs amours, leurs conduites.

Sa profession ne le place-t-elle pas en marge de la société ?

Pour le coup, c'est moi qui me montre curieuse.

Comment est-il arrivé à El Navigator ?

C'est son frère qui l'a incité à postuler, il y a deux ans. Le casting ? Danser devant le patron. Peut-être davantage, qui sait. Je m'abstiens d'aborder le sujet comme celui de son orientation sexuelle. J'ai déjà ma petite idée : Warren préfère les femmes.

Quant à sa famille, est-elle au courant de son métier ?

Non. Vu qu'elle habite une autre île, peu de risque qu'elle ne le découvre. Pour les siens Warren occupe toujours son ancien poste : serveur à Jollibee, le McDo philippin. Emploi quitté sans regret à cause du salaire dérisoire.

Puis travailler en club, c'est plus amusant. Avec son frère, son quasi jumeau, Warren a mis au point un numéro qui remporte un franc succès : exécuter la même danse, face à face dans les cages dorées.

- Libres comme deux oiseaux !

- Oui, Warren, deux oiseaux en cage...


RV escort 14À la table voisine, le bakla pelote les cuisses d'un beau danseur. Le plus dégourdi de la troupe, à l'attitude provoc et au sourire ravageur.

Un quart d'heure plus tôt il a quitté la scène pour offrir son torse nu au bakla. Puis a stoppé devant moi, main gauche tendue.

Bizarre pour un salut, pensai-je.

Je la serrai néanmoins. Le jeune homme rit en happant ma paume qu'il posa contre sa poitrine.

Son coeur y était calme, sa peau douce et brûlante.

Nous nous fixions tandis qu'il poussait mes doigts le long de son ventre. Ma caresse moite mourut sur le renflement de son sexe.

Il m'invita à le saisir à pleines phalanges.

Surprise, je résistai.

Il rit encore, insista alors que je me dérobai, me lança un baiser, tourna les talons et se déhancha jusqu'à la scène.

Et là, c'est au fond de la salle obscure qu'il accompagne une cliente.

- Que font-ils, Warren ?

Celui-ci ne me comprend pas.

Par-dessus la musique je lance alors :

- Are they going to fuck ?

Warren me jette un regard étrange, presque choqué.

- Oh non, il l'accompagne aux toilettes !

- In the toilets, then... Are they going to fuck ?

- No, no !

Nouveau regard choqué. Je manque de m'étouffer de rire.

Un escort qui s'effarouche du verbe baiser, c'est bien la meilleure.

Serait-il licite de faire et non pas de dire ?

Jusqu'où l'hypocrisie sociale ne va-t-elle pas se nicher ?

- Excuse-moi, il faut que j'aille me préparer. Ma danse sera pour toi, as-tu une préférence ?

- Aucune. Musique, chorégraphie, costume... Up to you !

Mon compagnon se lève sur un sourire entendu. Je reste seule.

Longtemps.

Il semble qu'un code interdise à quiconque de me tenir compagnie. Sauf si je le veux, bien sûr.

Des regards glissent sur moi. Des sourires, de petits gestes me sont adressés.

Je ne bouge pas et rien ne se passe. Certainement suis-je devenue la chasse gardée de Warren, la femme à ne plus approcher.

Sauf que le jeune homme, il se fait attendre.

C'est alors que le DJ l'annonce sur Hotel California.

Quand Warren apparaît dans la lumière crue des spots, je réalise mon erreur.

Musique, chorégraphie, costume... Sûrement n'aurais-je pas dû lui laisser le choix.

 

La fin ici.

 

Photos : Housk Randall, Ellen Von Uwerth, Frank Horvat, Cristina Garcia Rodero.

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Dimanche 17 mars 7 17 /03 /Mars 20:10

Le début ici.

 

RV escort 5Moins une que je ne me ravise au dîner. Mon voisin de table, un jeune bakla* en couple avec un Canadien âgé, connaît lui aussi un club d'escorts.

Plusieurs crans au-dessus d'El Navigator, affirme-t-il. Avec une meilleure musique et de plus beaux garçons.

C'est donc là, à El Jaguar, que je devrais me rendre.

El Jaguar... Drôle de nom.

De félines visions soudain m'assaillent. Des hommes bruns aux muscles plus saillants que des pattes de lion, aux dos courbés et luisants, ondoyant entre les chaises et feulant dans la pénombre...

Ongles manucurés devant la bouche, mon voisin pousse alors un cri aigu.

- Non, Mââm, je me suis trompé ! Le nom, c'est Cheeta. Sorry !

Je pouffe dans mon verre.

Cheeta ou El Jaguar, bienvenue dans le monde animal... À choisir, je préfère le jaguar au chimpanzé de Tarzan.

Je demande à tout hasard :

- Et vous y êtes allé, à Cheeta ?

- Oh non !...

Regard en biais vers le bienfaiteur canadien. Il ne s'agirait pas de froisser sa susceptibilité déjà rudement éprouvée lors du repas. Malgré l'insistance de son amant, le bakla refuse de le présenter à sa famille afin d'officialiser leur relation.

Au vu des cheveux mal teints, des rides poudrées, des cils rares gaufrés au mascara et des lèvres en bec de canard du Monsieur, je comprends que, tout riche qu'il soit, il n'est guère le bienvenu au foyer.

- ... mais on me l'a garanti !

- Ah. Je vous crois.

Cheeta ou El Navigator ?

J'hésite. Repense à mes chauffeurs de l'après-midi, aux informations précises de Joel. Me décide pour le second, quitte à en partir rapidement pour cingler vers le premier.

La nuit est encore jeune et la comparaison entre deux clubs pas inutile. De quoi élargir ma vision pour ma petite enquête.

Si l'envie demeure, bien sûr.

 

Nouveau taxi. Conducteur taciturne, cette fois. Le nom El Navigator lui arrache à peine un haussement de sourcils.

Il opine du menton. Il connaît.

Je m'assure d'un retour facile. Mandaue se trouvant à une quinzaine de minutes de Cebu centre, pas question d'y rester coincée.

No worries, Mââm ! Il y a toujours des taxis postés à la sortie du club.

Le club, justement. Il semblerait qu'on en approche.


RV escort 6Coup de frein. La voiture s'arrête.

 - It's here !

Une rangée d'immeubles crasseux baignés d'une lumière chiche, des enseignes éteintes, un trottoir défoncé... Rien qui ne ressemble, de près ni de loin, à une boîte de nuit.

Tout semble fermé, noir, désert.

Are you sure ?

Le chauffeur rit.

- Yes, yes, inside !

Il me désigne une courette pavée. Au fond, onze lettres clignotant du E au R.

Je remarque alors, accroché à un bâtiment, un panneau jaune : El Navigator, gay club.

Club homosexuel ? Me serais-je trompée ?

Tant pis, il est trop tard pour faire demi-tour.

 

L'entrée vitrée contient à grand-peine une musique tonitruante.

A deux mètres des vitres, un guichet.

Derrière le guichet, un employé, l'inévitable vigile armé - pistolet, matraque, menottes -, un jeune mignon à la silhouette compacte.

C'est sa tenue qui me frappe : un débardeur trop étroit pour son torse bodybuildé, un mini-short gainé sur ses attributs, des chaussettes tirées jusqu'à mi-cuisses, des santiags. 

- Un fouet et hop, voilà un parfait Maître BDSM ! me dis-je.

Sans crier gare, des souvenirs de folles soirées parisiennes s'invitent dans la courette.

Le trio échange quelques phrases animées avant de me saluer. Choeur de voix chaleureuses, larges sourires sur dents blanches, mines ravies quoique surprises. Probable que peu de putis (des Blanches) se risquent ici. A fortiori non accompagnées.

- Une seule entrée, Mââm ?

- Yes, please.

- 100 pesos*.

Mon billet disparaît, prestement troqué contre un coupon vert. Le garde s'en empare pour me conduire jusqu'à l'entrée. 

Dans une seconde la porte va s'ouvrir. Un frisson me parcourt.

Je brûle de percer le mystère de ces vitres opaques. Curieuse et impatiente, certes. Mais également intimidée, un peu, en dépit de ma promesse sonnant en réconfort : n'être obligée à rien, et surtout pas à rester.

- Enjoy your evening, Mââm !

- I will ! Thank you !

C'est d'une démarche presque assurée que je pénètre dans le club.


RV escort 7L'intérieur est si sombre qu'un employé doit m'y guider à la lueur d'une lampe de poche.

Face à nous, le comptoir d'un bar avec ses piles de bouteilles.

À droite, un passage pour accéder à la grande salle.

Au milieu, une vaste scène surélevée. Je compte une, deux, trois barres de pole dance.

De chaque côté, deux hautes cages. Ne servent-elles que d'ornements ? Je l'ignore, mais l'échelle abandonnée dans l'une d'elles me souffle que non.

Autour, des tables recouvertes de nappes, isolées ou assemblées en longs rectangles.

Partout des lustres à pendeloques, des guirlandes, de fausses feuilles de lierre, des décos kitsch et dorées.

Perchée sous le plafond, la cabine du DJ. Sa platine reliée aux enceintes crache des décibels à en fissurer le béton. Poussé au maximum, le son se brise, crachotant et distordu.

Ce pur style philippin me réjouit. Tout pour l'apparence, quitte à ce que le tout tienne grâce à des bouts de ficelle. El Navigator, par exemple, se voudrait chic mais ne l'est pas. Il dégage une impression de négligé, d'usagé, de nostalgique de jours meilleurs. Il sonne faux, d'une prétention trahie par le moindre détail : des lampes défectueuses, un mobilier en plastique, des objets qui traînent dans les coins.

L'ultime et amusant détail est l'émission de radio diffusée par un haut-parleur. Quelqu'un a oublié de l'éteindre, sans doute. De fait, un concert de voix nasillardes meuble chaque silence et duplique, parfois, les vociférations atténuées de la musique.


- Mââm, where do you want to sit ? interroge mon guide à la lampe de poche.

J'hésite un instant.

- Here, please !

Le choix est stratégique. Il me faut une table bénéficiant d'un peu d'éclairage, proche de la scène mais pas trop. Simple précaution au cas où un danseur, emporté dans son élan, déciderait de m'y convier.

N'oublions pas que tous sont à demi-nus, outrageusement moulés sous chaque couture et chaussés de bottes - la marque distinctive du club, apparemment.

C'est ainsi qu'à cette minute, un garçon en tenue réglementaire offre le meilleur de son show. Si l'on peut appeler "show" une succession de mouvements estampillés gymnastique, exécutés face aux miroirs qui couvrent les murs.


RV escort 9Narcisse face à l'étang, pupilles rivées sur son propre reflet, l'air indifférent, front lisse et lèvres boudeuses, l'homme danse.

Oscillations du buste, déhanchés du bassin, arc ployé de l'échine, allers-retours de croupe.

Courbettes des jambes, l'une pliée, l'autre tendue. Pause et brusque saut afin d'inverser la position.

Renversé de menton soulignant la gorge arquée.

Ronde des bras, énergiques fouettés d'air, valse des poignets enserrant les dures saillies des épaules, poings fermés brandis vers les cieux...

Certains pas coulent, d'autres s'enchaînent avec maladresse, au bord du déséquilibre. Le spectacle a pour seul but, semble-t-il, d'exhiber des biceps, trapèzes, pectoraux, abdominaux gonflés et un corps glabre ruisselant de sueur.

Superbe corps, certes, pour qui les aime taillés, travaillés, tatoués.


Imperturbable, la guitare égrène ses accords électriques. L'interprète ouvre son short, en écarte les pans, touche son sexe.

L'élastique du slip coupe ses reins d'une ligne sombre, allusivement abaissée jusqu'au haut de ses fesses. Soulignant la pente de son bas-ventre, sa toison pubienne apparaît.

Le dévoilement devrait être sensuel. Il ne l'est pas vraiment.

Le public ne paraît guère compter aux yeux de Narcisse ivre de son image. Mais le public est rare, il est vrai. Mardi est un jour creux et, à en croire le nombre de tables vides, sûrement le monde afflue-t-il le week-end.

Les silhouettes massées au fond ne comptent pas. Leurs tenues indiquent des collègues attendant leurs tours de piste.

Je me retourne.

Tapi dans l'obscurité, un duo masculin sirote une bière.

A ma droite, trois clientes. Détendue et replète, l'aînée porte un carré court et, entre les sourcils, un rond rouge à l'indienne. Plus tard, lorsqu'elle se lèvera, je m'apercevrai qu'il s'agit d'un bakla.

En rang d'oignon à ma gauche, deux couples dans la trentaine et une de leurs amies aux allures de paysanne. Les maris affichent des mines amusées. Leurs compagnes, elles, se poussent du coude et rient, très fort, à chaque geste osé du danseur. Leur attitude évoque des collégiennes en goguette, des oies blanches venues s'encanailler dans la zone rouge du strip-tease.

 

RV escort 8- Mââm ?

Un serveur me tend la carte des boissons. Flash de lampe torche sur les prix : 105 pesos une petite bière, 150 un rhum-coca, 180 un cocktail.

Cher, mais sans excès. Je m'attendais à pire.

- Gin and tonic, palihog!

Le serveur tourne les talons.

Narcisse quitte la scène d'une démarche chaloupée pour disparaître dans un réduit. Le vestiaire, je suppose.

Le DJ annonce l'unique, l'inoubliable, le magnifique Jimmy sur une chanson de Bon Jovi.

Mon verre se matérialise sur la nappe.

Les spots s'éteignent en plongeant les lieux dans la pénombre.

Le soda de mon gin n'a pas de bulles.

J'allume une cigarette.

Soudain, sur le dossier de la chaise voisine, une main se pose.

Mes yeux remontent le long d'une paire de bottes. Au cuir succèdent la peau des cuisses, le jeans effrangé d'un short, le coton d'un débardeur blanc, une gorge mate, un menton aigu et enfin, une bouche fine qui sollicite ma permission : 

- May I sit down ?

J'acquiesce.

La musique renaît de ses cendres alors que le jeune homme s'assoit. Très vite, comme s'il redoutait que je ne change d'avis.

 

La suite ici.

(Et le prochain commentaire sera le 1000e !)

 

 

*Bakla : homosexuel efféminé. Certains, comme mon voisin de table, portent des vêtements féminins, les cheveux longs et du maquillage. Ces travestis - opérés ou non - sont mieux acceptés aux Philippines qu'en France, où ils déclencheraient certainement de vilaines moqueries sur leur passage - si tant est qu'ils osent sortir de chez eux habillés en femme !

*100 pesos correspond environ à 2 euros. Pour avoir une idée des prix pratiqués par le club, une grande bouteille de bière coûte environ 50 pesos au supermarché. Quant au salaire minimum journalier, il est d'environ 250 pesos.

*Palihog : "s'il vous plaît" en Bisayan.


Photos : Bérénice Abbott, Eiko, Christer Strömholm, Francesca Woodman, ArthurTress.

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Jeudi 14 mars 4 14 /03 /Mars 17:40

      Cebu City, mardi 12 mars 2013.

 

 

EscortAyleen Guindelcor dit en riant que je suis folle. Et encore ne sait-elle rien de ma nuit.

Sinon elle n'aurait plus ri du tout.

Et m'aurait traitée de folle.

Pour de bon, cette fois.


Voilà longtemps que le sujet de la prostitution masculine aux Philippines m'intrigue. Que je souhaite m'y intéresser de près et écrire sur le sujet.

Mon séjour obligé à Cebu est un déclencheur : deux nuits à l'hôtel, aucun programme et une chambre en solo, des balades le nez au vent, un brin d'audace, un de curiosité, un de défi, un d'envie.

Non, deux d'envie.

Ce soir, c'est décidé, promis-juré de moi à moi, je m'aventure dans un club où les hommes sont disponibles.

Contre rémunération, of course.

 

Je suis aussi lasse d'imaginer que de parler à la ronde de ce projet, déclenchant soit des gloussements gênés, soit une stupéfaction choquée, soit un intérêt qui se heurte vite à mon ignorance.

Comment se passent vraiment ces rencontres ?

J'ai bien des idées, des hypothèses, des ouï-dire, des récits de bars à champagne* émanant d'hôtesses et de clients. Rien de concret, cependant. Rien de vécu.

Ce sont ces manques que je veux combler ce soir. Même si, je le suppose, la prostitution masculine ne diffère guère de son pendant féminin.

Peu importe.

Je veux les contempler, ces hommes. Apercevoir leurs client(e)s dans la pénombre complice de la salle. Des positions peut-être lascives, des mains peut-être hardies, des baisers sans doute profonds, des étreintes sûrement esquissées pour des accords conclus.

Une liberté sexuelle à l'oeuvre aux prudes Philippines, en somme.

Je veux sentir l'ambiance du lieu. La moiteur, la chaleur, le stupre. Ou à l'opposé la retenue hyprocrite, cette respectabilité de façade épousant l'équation "ce qu'on ne montre pas n'existe pas".

Je veux ouvrir grand mes yeux et mes oreilles. Scruter, m'imprégner, communiquer.

Je veux rire, m'amuser, profiter d'une soirée en forme de bascule. En Thaïlande, en Inde, en Indonésie, aux Philippines, au Laos, au Cambodge, en France, en Hollande... Ce sont toujours, toujours les hommes que j'ai vus choisir une femme.

Pourquoi moi, femme, n'aurais-je pas le droit de choisir un homme ?

 

Escort 2terJe ne me fixe aucun couvre-feu, aucune limite. Outre le respect des gens se trouvant là, la seule sera celle de mon bien-être.

Si je me sens mal, je m'en vais.

Si j'ai envie de payer pour un homme, je paye.

À la condition expresse d'être librement choisie, la prostitution ne me pose ni problème ni dilemme de conscience.

Fut un temps, j'avais - comme tout le monde ? - une opinion sur le sujet. Plutôt défavorable, l'opinion, à base d'idées préconçues et de morale, un peu.

J'avais ce conformisme du prêt-à-penser qui m'agace, conjoint à la volonté de m'en défaire.

Alors j'ai lu, échangé, écouté, rencontré des clients et des filles en activité. Beaucoup appris, beaucoup questionné, beaucoup réfléchi. Remis mes certitudes en cause, entièrement revu mes jugements, affiné mon regard.

Tant et si bien que j'ai songé à moi-même sauter le pas.

Sacré renversement.


Mais pour l'heure se pose une question aussi urgente que cruciale : où me rendre ?

Quels - rares - établissements emploient des escorts disponibles pour des femmes ? Ou pour des hommes et des femmes ?

Quand tu ne sais pas, demande à celui qui sait... et celui-là est tout trouvé : un taxi. Eux seuls connaissent les rues, les bars, les clubs comme leur poche.

Quant aux demandes étranges, ils en entendent chaque jour.

Magnéto arrière, Cebu deux ans plus tôt.

Je glousse encore du quiproquo avec mon chauffeur :

- Un bar à putes ? Mais il y en a partout, Mââm !

De son étonnement lorsque j'avais précisé :

- Non, pas des "putes" comme vous dites, mais des gigolos, please.

De son regard insistant dans le rétroviseur. Muet, perplexe à détailler mon visage, mon cou, ma poitrine, ma robe.

- But you don't have to pay, Mââm !

De mon rire à sa réponse. Je n'ai pas besoin de payer, certes.

Mais là n'est pas la question.

La question, c'est : où me rendre ?

 

 

Escort 2bisMon premier chauffeur de la journée n'est pas sûr, dit-il. Mais en insistant, il le devient et finit par lâcher un nom, puis deux.

Je les répète :

- Trasan à Lapu-Lapu, Naa Biguitor à Mandaue.

Naa en Bisayan* signifie "il y a".

Mais biguitor ?

Des hommes, du plaisir, du sexe ?

Mystère.

Je descends de la voiture sans demander.


Autre taxi, même question. À ce jeu-là mieux vaut croiser les sources, recouper les informations.

- El Navigator, Mââm ! s'exclame aussitôt Joel, le conducteur.

Un club chic, affirme-t-il. Pour femmes, oui, et homosexuels. Avec de beaux gars musclés. Et un show dont il ignore le contenu.

Ravie de tomber sur un interlocuteur aussi coopératif, je pousse mon avantage :

Quel âge ont en moyenne les clientes ?

Les transactions s'opèrent-elles en secret ?

Combien coûte un escort ?

Les détails, Joel les ignore. Tout dépend de l'escort, probablement.

Il sait en revanche que ceux des clubs sont plus chers que les call boys qui battent le pavé, à l'affût des voitures qui ralentissent. Une vitre baissée, un échange de regard, un prix.

Marché scellé.

Les rues des tapins, il peut m'y emmener, mais pas aujourd'hui. Elles ne s'éveillent qu'après vingt heures et non en fin d'après-midi. Et après cette course, le taxi rentre au garage.

Plus loin, Joel me désigne néanmoins un carrefour :

- C'est ici. Là-bas aussi, dans la perpendiculaire.

Je le remercie. Non sans objecter qu'à mon avis, peu de femmes ont recours aux call boys. Sûrement préfèrent-elles un minimum de confort. Pas du romantisme, non, mais pas la sauvette clandestine d'un trottoir non plus.

Sans compter qu'un espace public garantit leur sécurité. Si les risques que courent les garçons sont évidents, ceux que prennent les clientes ne sont pas à négliger.

N'importe qui peut monter dans la voiture, les menacer et les brutaliser, pas vrai ?

Le club permet de nouer un premier contact, de discuter et sentir l'autre pour peut-être se raviser. Sans drame ni scène, les vigiles armés y veillent.

Joel approuve.


Escort 4Mon chauffeur sait aussi que pour repartir avec un escort, il faut s'acquitter d'un bar fine*.

Autrement dit, d'une somme fixe qui dédommage le club de l'absence d'un employé (ou correspond à la mise en relation prostitué(e)/client ?).

La rémunération pour la nuit se discute ensuite.

J'acquiesce. Le système est le même qu'en Thaïlande.

- El Navigator, very good, Mââm !

Soudain j'éclate de rire.

Naa BiguitorNavigator...

Il s'agit sans l'ombre d'un doute du même lieu. Seul l'accent visayan en a déformé le nom.

Deux chauffeurs, deux réponses identiques.

Je tiens mon endroit.

Ce soir, donc, c'est décidé, promis-juré, cap sur El Navigator.

 


La suite bientôt !

 

*Bars à champagne : bars employant des hôtesses poussant le client à consommer, souvent contre - de menues - faveurs. Afin de ne pas être accusé de proxénétisme (banni en France alors que la prostitution y est légale), l'établissement interdit en général les rapports sexuels dans son enceinte. Hôtesses et clients peuvent en revanche convenir d'un rendez-vous à l'extérieur.

*Visayan (ou Bisayan) : langue parlée dans les Visayas. Les deux langues officielles des Philippines sont l'anglais et le tagalog, totalement différent du Visayan. La quasi totalité des habitants des Visayas le maîtrise également.

*Fine ("faillne") : amende en anglais.

 

Photos : Ellen Von Unwerth, Eugène Atget, René Maltête, Weegee.

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