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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Jeudi 23 mai 4 23 /05 /Mai 15:34

Le début ici.

 

Trinidad 3bisDe l'autre côté de la vitre, un Yankee égosille un air de jazz. La terrasse du club de ce quartier chic est bondée. Trop de bruit, de fatigue et de chaleur... Mes tempes se resserrent en étau. Dans ma mâchoire la pression monte encore d'un cran.

Mon crâne va exploser.

Je grimace.

Stefan ne remarque pas ma lassitude. Sans relâche il parle et s'écoute parler. De ses affaires. De son business florissant entre l'Europe et l'Asie. D'économie mondiale. De sujets sérieux dont, à cette minute, je me contrefous, d'autant que son accent mêlé au brouhaha ambiant me le rend difficile à comprendre.

Je lâche prise. Je grimace. Je m'ennuie.

Je brûle de rentrer seule au studio, d'allumer la clim et de m'allonger dans un parfait silence.

Mais qu'est-ce qu'il a, cet homme, à parler comme ça ?

Est-ce sa manière de séduire ? Montrer à la femme qu'il convoite à quel point il est ambitieux, avisé, aisé. Un requin parmi les requins, un loup parmi les loups.

Ce qu'il ignore, c'est que voilà le meilleur moyen de me repousser.


Ambition, ambition...

Jailli en rafales des lèvres de Stefan, le mot tournicote entre nos verres pour filer dans ma bouche, là où je le recrache d'un :

- Moi, d'ambition, je n'en ai aucune.

Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Mais peut-on appeler "ambition" le simple désir d'être en paix et heureuse ? De continuer à voyager, à plonger, à écrire ? D'espérer que ma vie se poursuive sans trop dérailler ?

Non, je ne crois pas. J'ai des désirs, des souhaits, des projets, des passions. Mais des ambitions ?

Stefan s'arrête, saisi :

- I beg your pardon ?

Il me fixe paupières plissées. Me soupèse comme si j'appartenais à une espèce inconnue, qu'il m'avait méjugée et qu'il ignorait, surtout, que me répondre.

Son étonnement sera de courte durée.

Bientôt le fil de son discours reprend.

Bientôt je grimace encore.

Dans ce déluge de paroles, des mots me tirent brutalement de ma torpeur :

"Engagement total envers son partenaire. Fidélité."

Je lève un sourcil circonspect.

- L'exclusivité sexuelle, tu veux dire ? Bah... Quelle importance ?

Nouvelle pause interloquée. Évidente, la surprise de voir le fil de la conversation lui échapper.

 Nouveau regard inquisiteur. D'interlocutrice muette me voilà promue au rang de personne, voire d'adversaire. 

Montée de ses prunelles, une lueur d'intérêt, de curiosité ou d'amusement - ou des trois à la fois. Soudain en alerte, mon vis-à-vis vide son cocktail tequila-concombre et se carre sur sa chaise pour mieux m'écouter.

- Quelle importance, dis-tu ?...


Trinidad 4Avec moi Stefan ira de surprise en surprise. Singleton dans son monde, je suis à ses yeux une drôle de femme très femme, une vraie "bouffée d'air frais".

Peut-être parce que sa richesse me laisse de marbre et qu'au restaurant, je paye également l'addition.

Que je préfère les gargotes de rue aux établissements chics.

Que je me moque de sa montre en or en exhibant mes bijoux en toc.

Que malgré son bagoût, Stefan ne m'impressionne pas.

Que je ne l'écoute pas sans moufter.

Que je l'ai baptisé "Monsieur L'Avocat", le rhétoriqueur qui toujours trouvera des justifications à tout, le casuiste prêt à couper les cheveux en huit afin de mieux couler le poisson.

Pour Monsieur L'Avocat je suis franche, ce qui l'étonne.

Sans détours, ce qui l'amuse.

Sans fioritures, ce qui le repose.

Tout ça, oui, et autre chose.

Une élégante dont il salue chaque jour les tenues.

Une maladroite dont il surveille les pas sur le trottoir, s'esclaffant lorsque je trébuche, me secourant lorsque je chancelle.

Une sentimentale si peu romantique qu'au lieu de loger ma paume au creux de la sienne tendue, j'y accroche mon sac pour m'éloigner sur un "merci, ah, c'était lourd !"

Une amoureuse qu'il aime fesser, pétrir et prendre.
Une imprévisible obsédée sans honte ni barrières, à la faim qui égale la sienne.
Une amante repue qu'il enlace au seuil du sommeil, jambe à cheval sur ma hanche, ventre pressé contre mes fesses, lèvres collées à ma nuque.
Un cerveau qui l'intrigue et une compagnie dont il ne se lasse pas. Si bien qu'au troisième jour, Stefan me propose l'impensable :
- Je dois sortir de Thaïlande début juin. Et si je te rendais visite aux Philippines ?
Je lui renvoie en riant sa peur des relations. Me revoir, c'est déjà nous conjuguer au futur, créer une attente, amorcer un lien.
Un que nous n'avons jusqu'alors qu'ébauché.
Un qui était voué à se rompre dès mon départ de Bangkok.
Stefan, ses réticences et ses angoisses ont ancré notre histoire dans l'ici et le maintenant, pas dans l'ensuite ni la redite. Et voilà que, peut-être malgré lui, il brouille la règle du jeu ou en propose un nouveau, plus ouvert.
Plus risqué pour lui, aussi.
- Pas de chance. Mi-juin, je suis en Corée.
- Ah.
Stefan m'oppose une mine bizarre, une sorte de confirmation de ses pensées, de "pas grave, j'aurais essayé". Je le pousse du coude.
- Mais tu veux me rejoindre à Seoul...
- Reviens-tu à Bangkok dans les prochains mois ?
- Je ne sais pas, Stefan.
À cet instant il n'y a pas d'autre réponse possible. Je refuse d'avancer des "oui" à la place des "peut-être", d'entrebâiller une porte que je refermerai tôt ou tard.

Trinidad 5J'ai confiance en Stefan lorsque je suis avec lui. "Je le sens", comme on dit, mais ma confiance n'empêche pas la conscience.
Il y a dans son passé trop de zones obscures, des poches dangereuses desquelles, qui sait, je pourrais pâtir.
M'y aventurer ne m'intéresse pas.
Ignorance is bliss, parfois. 
Pourquoi Stefan habite-t-il en Thaïlande ?
Qu'y fait-il exactement ?
Pourquoi sa compagne l'a-t-elle si brutalement quitté ?
Ces réponses m'indiffèrent. Peut-être sales, elles lui appartiennent en propre, et je n'irai pas y fourrer les doigts.
Moi qui auparavant traquais la vérité dans ses moindres recoins, questionnais pour savoir et affirmais que la transparence est la condition du bonheur, j'ai changé.
Mon amant, je le prends tel qu'il est, avec sa gueule et ses mystères. Ses horaires de travail décalés et ses imprécisions. Son chiffre à atteindre et ses contradictions. Ses textos émaillés de points de suspension et tee-shirts au goût douteux.
Un corps de starlette dénudé se prolongeant jusqu'au V du col, pile là où commence le cou de Stefan.
Un visage aux lèvres carmins entr'ouvertes, feulant son plaisir au nez des passants.
Une Asiatique dans son bain, jambes lascivement pliées au-dessus de la mousse.
Drôle d'assemblage avec mes sandales à talons, mes créoles en perle, mes robes bleues, outremer et horizon.
En lui ouvrant ma porte je m'exclame :
- Mais vous adorez, Monsieur L'Avocat, porter des femmes sur votre poitrine !
En guise de plaidoierie il m'attrape par les poignets, me soulève telle une brindille et me jette sur le lit pour affirmer :
- L'Asiatique lubrique, c'est en ton honneur !
Sans doute parce que la veille, nous avons fait les courses.

 

Photos : Polly Morgan, Horst P. Horst.

Toile de Sarah Moon. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Samedi 18 mai 6 18 /05 /Mai 15:45

StefanStefan a ce qu'on appelle une gueule. Un visage oblique et un crâne rasé, des paupières lourdes recouvrant de larges iris noirs, un nez fort, une lèvre inférieure avançant sur sa bouche fine.

Sa peau olivâtre trahit un métissage, la pâle Angleterre mêlée du sombre Trinidad et Tobago. Lisse, follement soyeuse, une peau d'Asiatique pour un corps de demi-Noir.

Grand et massif, plus épais à la taille, le corps de Stefan s'habille d'un tatouage japonais. Sur sa poitrine, un duo de carpes aux nageoires transformées en yeux pâles.

Des yeux qui me transpercent alors que je le déshabille.


À 17 ans j'aurais été folle de Stefan.

Folle de sa tranquille assurance, de ses airs de truand des faubourgs, de sa voix douce et de ses "non" très anglais.

Folle de ce mystère qu'il tente de dissiper mais qui le pare d'une aura de soufre.

Folle de ses secrets alors qu'il jure que de secrets, il n'en a plus. Qu'il s'est rangé des voitures, qu'il aspire à une vie calme. Son but ? Atteindre un certain chiffre pour ne plus travailler du tout, s'acheter un voilier et larguer les amarres. Mais en attendant trimer dur, priorité boulot en court-circuitant le reste.

Il faut dire que les chiffres effraient moins Stefan que les sentiments.

Depuis une rupture catastrophique, la perte de contrôle l'effarouche, l'engagement l'angoisse, l'ombre d'un possible amour le terrorise. Lorsqu'une relation s'installe, Stefan s'enfuit.

À 17 ans j'aurais sûrement relevé ce défi. Voulu réparer - fût-ce contre son gré - cet homme cabossé, lui montrer que toutes les femmes ne sont pas lâches ni cruelles.

À 17 ans, oui...

 

Notre rencontre eut comme beaucoup d'autres lieu sur un hasard. Quoique Stefan fût mon voisin, je ne l'avais jamais croisé. Mais ce soir-là, Bertille quittait notre studio de Bangkok. 2 semaines, 14 jours, 336 heures à vivre sous le même toit, à respirer le même air et à dormir dans le même lit entre des va-et vient à l'hôpital.

J'accompagnai mon amie à l'entrée de la résidence. Le gardien stoppa un taxi en maraude. Par chance, celui-ci accepta de mettre le compteur en marche.

Une fois les valises chargées, je serrais Bertille contre moi.

- Bon voyage... et à très vite !

Au même instant, reconnaissable au chauffeur en gilet orange, une moto-taxi déboula.

Le passager enleva son casque, sauta à terre, sourit à la ronde et resta planté à nous observer, elle qui montait en voiture et moi qui lui lançais des au revoir.

Avant de claquer la portière, Bertille me souffla la mine complice :

- Lui, il est pour toi !

Je ne l'entendis pas. Je pensais à autre chose. Sans doute à cette première soirée sans elle. Étrange de partager autant avec une seule personne pour se retrouver finalement seule, transition du plein au vide toujours délicate à négocier.

Oh, bien sûr, être rendue à moi-même me convenait. Mais que cet entre-deux était bizarre !


Stefan 2À l'entrée de la résidence mon tee-shirt trop rouge électrisait la nuit. Ma jupe battait mes mollets. Trop serrées, les brides de mes sandales m'écorchaient les talons.

Accoudé à la grille l'homme était toujours là, immobile, à m'observer. Je feignis de ne pas le voir pour mieux lui tourner le dos.

Lui ne l'entendait pas de cette oreille.

Aussi lâcha-t-il, très vite :

- Are you Russian ?

Je souris. Yeux bleus, cheveux blonds et hautes pommettes, cette question-là me poursuivait sur toute la planète.

- No, sorry. French.

L'homme dégaina alors une phrase que j'ai oubliée. Sûrement en français, puisqu'il avait vécu à Cannes. Aux Philippines aussi.

Déjà deux points communs.

Trois en comptant Bangkok.

Je me souviens, en revanche, de mon équilibre précaire sur un seul pied. De mes poignets qui battirent l'air et d'une paume qui s'avança pour me rattraper au cas où. D'une question "are you alone here ?" puis d'une invitation à boire à verre.

Ce soir si j'étais libre.

Mon diable sur l'épaule ricana quelque chose à propos de ma solitude. Il se moquait, je crois. De moi et de mon impression d'être parfois si seule, comme abandonnée.

Le temps d'une éclipse un souvenir de mon père s'interposa :

- Et tu voudrais, dis-tu, être vraiment belle ? Mais ma fille, combien d'hommes te disent non quand tu veux qu'ils te disent oui ?

Mon silence renfrogné avait répondu à ma place.

Ce soir-là, si je le voulais, ma solitude serait de très courte durée.

Trop courte, même.

Je m'inventai un travail à finir.

Stefan s'inclina, nota mon numéro et promis de m'appeler. Ce qu'il fit dès le matin tandis que je dormais encore.

 

 

La suite ici.


Photo : Chas Ray Krider. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Lundi 15 avril 1 15 /04 /Avr 15:03

GentlemanLe soleil est brûlant. À peine un souffle de vent agite les palmiers.

Sur la route je suis un point bleu, outremer coton au dos dénudé.

Sur mon épaule mon sac pèse lourd.

Une pause. Une gorgée d'eau.

 J'attache mes cheveux.

De chaque côté de la route, des Philippins me souhaitent le bonjour.

Maayong hapon*, Mââm !

J'agite la main. Je souris. J'avance encore.

Mes yeux filent le long de l'asphalte. L'horizon fume sous un brouillard de chaleur.

Je guette un habal-habal pour m'emmener au centre de plongée. Cinq minutes en moto mais bien trop loin à pied, surtout par une pareille canicule.

Un minivan déglingué s'arrête. À l'intérieur, deux passagers.

Le conducteur me demande :

- Vous allez à la plage, Mââm ?

- Oui.

- Montez, je vous emmène !

Je grimpe dans l'habitacle. Les trois Philippins connaissent Olüg, mon propriétaire. Cela nous fait au moins un sujet de conversaton.

Puis, à brûle-pourpoint, le chauffeur me dit :

- Normalement, je ne prends pas de passagers. Mais puisque vous êtes jolie, je me suis arrêté.

- Ah ? Merci.

- Oui, insiste-t-il. Les jolies femmes, je les prends. Mais les moches, je les laisse marcher !


Nous arrivons à la plage. Je m'enquiers du prix de la course.

- Non, Mââm, pour vous, c'est gratuit !

Je me retiens de questionner :

- Et pour les moches, c'est combien ?

Tant de galanterie m'a laissée sans voix.

 

 

* Maayong hapon : "bonne après-midi" en visayan. Il n'y a pas moins de 5 façon de saluer selon l'heure de la journée.

 

Photo de Cartier-Bresson.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines - Communauté : les blogs persos
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Dimanche 14 avril 7 14 /04 /Avr 16:35

Ma grand-mèreL'égalité hommes-femmes, ma grand-mère n'y croyait pas. Probable même qu'elle n'y avait jamais réfléchi.

Sans doute taxerait-elle les féministes d'aujourd'hui de folles furieuses, de révolutionnaires sans objet, de chercheuses d'emmerdes, de Donna Quichotte d'un ordre à ne surtout pas bouleverser.

L'ordre d'un monde qui dit que les femmes, ça file droit.

Soucieuse de ne froisser quiconque, ma grand-mère ne le tournerait pas ainsi, mais botterait en touche par une formule frappée au coin du bon sens :

- Il faut de tout pour faire un monde.

- Les goûts et les couleurs...

- Un jour comme ça, un jour autrement.

Elle agiterait en signe d'impuissance ses mains usées par une vie de labeur, lèverait au ciel des yeux qui en ont vu d'autres - et des pires -, conclurait d'un pauvre sourire avant de retourner à sa routine.

Les commissions, la cuisine, le coup de balai, la lessive dans la bassine.


Née en 1915, ma mamie appartenait à une autre génération. Une qui pensait que les femmes, sexe faible, devaient marcher dans l'ombre des hommes, sexe fort, accéder à leurs désirs, obéir à leurs ordres, respecter leurs diktats sans jamais les contredire.

Une qui professait que les femmes devaient être gentilles, douces, accommodantes. Surtout pas, non, trop indépendantes ou trop libres.

À la maison, en société ou au lit, même non-combat.

Monsieur a ses besoins ? De bon ou mauvais gré, Madame doit s'y plier. Offrir ses fesses en attendant que l'affaire soit finie, voilà l'unique option envisageable. Se dérober au devoir conjugal parfois si bien nommé serait aussi malséant que dangereux : l'envie de forniquer ailleurs risquerait de s'en mêler...

C'est ainsi que ma grand-mère a vécu. Dans l'autoritaire sillage du mari de toute une existence. S'occupant de la maison, de leurs enfants et le secondant au magasin. Se gardant d'exprimer une opinion lorsque lui, le Chef, avait parlé. Se levant de table dès qu'il réclamait du sel. Abandonnant toute activité dès qu'il la sommait d'apparaître.

Lors de ses séances de bricolage, par exemple. Avait-il besoin d'un marteau ou de la perceuse qu'au lieu de descendre de l'échelle, mon grand-père hurlait :

- Mamie ! MAMIE !

Ses cris transperçaient le plafond du garage et déboulaient, impérieux, dans la cuisine. Ma mamie lâchait aussitôt son ouvrage pour se ruer dans l'escalier.

Dire à ce grand assisté que ses outils, il pouvait les prendre lui-même ne lui aurait jamais effleuré l'esprit.

Servante dévouée, épouse exemplaire, elle était là pour lui.

Ça ne la dérangeait pas. C'était normal.

Le Pépé était un homme.


Ma grand-mère 2BISÉlevée à mi-temps par cette femme que j'adorais, son modèle m'a en partie forgée. Enfant rebelle, trop gâtée peut-être, j'imitais mon papy : je la commandais.

En retour elle me cajolait, cuisinait mes plats favoris, rangeait mes affaires, m'autorisait à regarder tard la télé et ne me forçait pas à me brosser les dents.

Ravie de ce régime de vacances, j'en profitais, en abusais parfois. Piquais des crises au supermarché, m'accrochais à la caisse, courais loin devant ou refusais d'avancer, me traînais dans le couloir en frappant ses casseroles.

- Tu m'assourdis, ma puce !

Je continuais de plus belle. Elle s'énervait, criait, accusait mes "lel manières".

Les lel manières... Un leitmotiv incompréhensible.

Ce n'est qu'adolescente que je compris son secret. Qui n'existait pas puisque j'avais mal entendu.

En vérité point de lel manières.

Mais de laides manières, oui.

Une fois à bout de patience, ma mamie dégainait la menace ultime : me dénoncer à mon père. Je m'esclaffais en la traitant de rapporteuse. Elle m'aimait trop, je le savais, pour m'exposer à la violence du paternel.


Si ce modèle d'un autre temps berça mon enfance, je m'aperçus en grandissant qu'il clochait.

Pourquoi ma grand-mère courbait-elle toujours l'échine devant les hommes ?

Pourquoi reproduisait-elle avec son gendre le schéma qui l'attachait à son époux, alors décédé ?

La réponse était simple : mon père aussi était un homme.

À ses paroles dures jamais elle ne réagissait. À ses avis tranchés jamais elle ne s'opposait. Dans nos conflits elle se gardait prudemment d'intervenir. Me donnait-elle raison en privé qu'elle me désavouait en public.

Son ultime argument en appelait autant à la famille qu'à la virilité :

- C'est ton père, quand même...

Ses reculades me mettaient en rage. Je l'accusais de ne pas prendre parti, de ne pas me protéger. D'être faible, d'être hypocrite. Pire, de me trahir.

Je ne comprenais pas que ma mamie ne pouvait faire autrement. Ou plutôt, je ne l'acceptais pas.

Je la poussais à secouer ses chaînes. À sortir de ce que j'estimais sa passivité. À dire non, à dire merde.

Merde à ce qui lui déplaisait.

Merde aux contraintes.

Merde à l'autorité.

Merde aux bonshommes.

Merde !

Impossible pour elle, bien sûr. D'autant qu'elle n'était ni frustrée, ni malheureuse.

Un merde pour quoi, alors ? Pour rien.


Ma grand-mère 3Cette soumission programmée eut sur moi de drôles d'effets. Entre distorsion et écartèlement j'évoluais sans harmonie aucune, chaque pied ancré sur la rive d'un gigantesque fossé.

D'un côté je considérais de mon devoir de satisfaire les hommes - a fortiori le mien.

Si quelqu'un devait, en plein repas, ramener le beurre, c'était moi.

Si l'un de nous deux devait céder, ce serait encore moi.

L'amour à mort m'obsédait.

L'abnégation me subjuguait.

L'abandon de soi pour l'autre me fascinait.

Appartenance, ferveur et dévotion me tranportaient.

Je trouvais des beautés au sacrifice, un goût enivrant à la docilité, un grisant vertige à l'esclavage.

"Ma facette ancillaire", comme je l'appelle. Elle amuse ceux qui me connaissent bien, étonne ceux qui me croient si forte et libérée. Aussi incongrue que déplacée, à l'opposé de ce que je dégage.

J'ai tenté de la chasser, cette importune. Elle est restée. Quoiqu'elle et moi ne soyons pas encore réconciliées, il me revient à présent de l'accueillir.

On ne se défait pas si aisément de l'héritage de sa lignée.


De l'autre je vomissais toute emprise et refusais toute tâche qui, par tradition, revient aux femmes.

Le ménage ? Hors de question pour moi bordélique en diable !

La couture ? Encore moins, sauf pour créer des robes importables.

La cuisine ? Allons donc, infichue que j'étais de cuire des pâtes !

Mon plus fidèle allié, c'était le micro-ondes que je bourrais de conserves et de steak haché. Deux années à Paris sans allumer une fois mes plaques de cuisson.

Mes lacunes ne me dérangeaient pas. Loin d'y remédier, je les brandissais comme autant de fiertés, autant de médailles raflées à la guerre des sexes.

Bizarre guerre, paradoxale même, puisque jamais je n'ai considéré les hommes en ennemis. N'empêche qu'après l'ère "fée du logis", je décrétai l'avènement de la "marâtre de l'immeuble".

Hilare j'affirmais que personne ne m'épouserait pour mes qualités domestiques. Ce qui tombait bien : aucune envie de devenir femme de. D'accord pour le nom, mais niet pour la particule. Sauf pour le symbole, et encore...

Par plaisanterie je disais que le jour dudit mariage, je choisirais également un avocat.

Pour mon futur divorce.

Mon nez reniflait dans cette institution trop de possibles relents de soumission, trop de risques inutiles auxquels exposer mon indépendance. Ma préférence allait à l'union libre.

Pour le "libre" dedans, sans doute.

 

Ma grand-mère 4En attitude, en volonté, en crudité, je me suis longtemps efforcée d'égaler les hommes.

Parfois avec bonheur, souvent avec excès.

Je ne reculais devant aucun défi qu'ils auraient, eux, relevé. Les prenais pour mieux les congédier. Collectionnais les amants en hurlant à l'injustice qui m'étiquetait "salope" alors que mes partenaires se transformaient en Don Juan.

Je jurais comme un charretier, fumais comme deux pompiers. Parlais fort, gouaillais grossier, à propos de sexe si possible.

Mes interlocuteurs se récriaient ?

Je jubilais.

Petites natures !


Après l'équitation qui, gamine, affermit mon caractère déjà bien trempé, je choisis un des plus violents sport de combat. Enjoignais mes adversaires à lâcher leurs coups, m'énervais de leur réserve et les frappais en retour à pleine puissance.

Qu'ils comprennent enfin que je n'étais pas là pour tricoter !

Je m'agaçais des filles agissant en fifilles. Méprisais les mijaurées, les chichiteuses, les capricieuses. Les jamais contentes à la récrimination perpétuelle. Les vénales qui exigeaient d'être couvertes de cadeaux. Les princesses qui refusaient de bouger le petit doigt. Les gnagnagna qui se plaignaient d'avoir à ouvrir une porte.

Je les accusais de se comporter en assistées. De nourrir le cliché de l'infériorité féminine. De porter tort à leurs semblables.

Elles réclament respect, indépendance, égalité ? Qu'elle oeuvrent pour, bon sang !


Je clamais que lorsque la liberté n'est pas offerte, il faut la conquérir.

Ma grand-mère me désapprouvait, bien sûr. S'inquiétait, aussi.

- Change, ma puce. Sinon, tu ne trouveras jamais d'homme !

Lassée de la prédiction, je finis par rétorquer :

- Pas grave, j'en aurai plusieurs !

Elle pouffait. S'amusait de mon franc-parler qui lui arrachait des :

- Ah lala, sacrée toi !

Je riais aussi. Sans trouver ça drôle, au fond. Surtout lorsque le sujet de mes ruptures tombaient sur le tapis :

- Avec le copain, ça marche encore ?

- Non, mémée, c'est terminé.

- Mais pourquoi donc ?

Mes raisons lui tiraient des mimiques sceptiques. En général ma vibrante tirade butait sur un :

- Tu en demandes trop, ma chérie ! Faut accepter !

- Accepter ? Pourquoi donc ? Et si ça me déplaît ?

Anticipant une dispute, ma grand-mère battait en retraite :

- Bah, je dis ça, je dis rien... Tu fais bien comme tu veux...

- Voilà, merci. Comme je veux.


Ma grand-mère 5Chacune de mes relations avortées renforçait son intime conviction : sa petite-fille préférée se condamnait au célibat.

À force d'être martelée, sa conviction devint mienne. En toute inconscience ma mamie m'avait enferrée dans un réseau de "trop" et de "pas assez".

Trop libre. Trop exigeante. Trop difficile à vivre.

Pas assez douce. Pas assez soumise. Féminine d'apparence, certes, mais pas assez femme en dessous.

- Qui voudra de toi, je me le demande...

Moi aussi je me le demandais. Me persuadais que je ne tournais pas rond. Que la solitude était mon lot sans consolation, mon unique horizon, ma fatalité.

À jamais je serais la clef sans trousseau, la boîte sans couvercle, l'orange sans moitié. Mon coeur était d'or, peut-être, mais mon âme déficiente.


- Toi, jamais tu ne trouveras d'homme !

J'espère bien que ma grand-mère se trompait. Car aujourd'hui je le sais : l'opinion de nos proches sur nous n'est qu'une opinion, non une vérité.

Leur regard ne nous résume pas.

Leurs certitudes peuvent s'avérer fausses, leurs oracles mensongers.

Le reflet qu'ils nous renvoient, les critiques dont ils nous abreuvent, l'image dans laquelle ils nous enferment devient une prison si et seulement si nous y souscrivons.

Là où la liberté n'est pas offerte, il faut la conquérir. La lutte commence par détricoter, maille après maille, le carcan qui colle à notre être véritable telle une seconde peau.

Si familière qu'on en oublie qu'elle n'est pas la nôtre.

Si rassurante que, par peur de l'inconnu, on la laisse nous asphyxier.

Si profondément ancrée qu'on lui permet de nous couler corps et biens.

Ce qui ne m'empêche d'être toujours célibataire... mais heureuse.

 

 

Photos : Will Wegman, Zhang Peng, Saudek, Jeanloup Sieff, Marcin Twardowski.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso - Communauté : les blogs persos
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Jeudi 4 avril 4 04 /04 /Avr 18:53

What for 1Les larmes de Bertille se mélangent à l'eau salée. Mon amie s'essuie les yeux en vain. La vague qui déferle sur nous la gifle pour mieux retremper ses paupières.

Je lui tendrais bien un mouchoir, mais que faire d'un mouchoir en plongée ?

Évidemment que je n'en ai pas.

Bertille et moi dérivons dans le courant. Orange délavé, nos marqueurs de surface* s'entrechoquent en crevant à grand peine la masse liquide.

De près comme de loin, on jurerait deux verges à l'érection chancelante.


À l'horizon notre bateau à balanciers n'est qu'un point. Dès la mise à l'eau le courant nous a empoignées et, par 25 mètres de fond, emportées de plus en plus bas.

30 mètres, 31, 32, 33...

Nous luttions pour remonter tandis que le fond sableux s'éloignait à toute allure. Bientôt nous le perdrions tout à fait de vue.

J'ai proposé à Bertille de palmer vers la côte.

Elle a refusé et pointé son pouce vers la surface.

En réponse mes doigts ont dessiné un rond. Le OK des plongeurs.

20 minutes, la plongée la plus courte de notre amitié.

Et nous voilà le ventre douloureux, la poitrine bloquée, la gorge serrée.

Bouche grande ouverte vers le ciel, Bertille hurle.

Je hurle en écho.

Minuscules silhouettes filant dans le bleu sous l'implacable soleil, nous hurlons.

De rire.

 

En attendant que le bateau vienne nous chercher, j'ai parlé à Bertille de Pio. Pio, l'apnéiste dont elle avait remarqué l'arrivée au dive shop.

Vrai qu'il est difficile de ne pas remarquer Pio, ses épais cheveux bruns encadrant son visage de médaille, ses lèvres charnues et sa peau bronzée, ses épaules puissantes et ses fesses musclées.

Où qu'il aille, Pio attire l'attention des femmes.

Dès le premier regard Pio m'a plu.

Dès le premier regard je l'ai voulu sans trop y croire.

J'avais tort puisque la nuit nous trouva dans le même lit. La nuit d'après aussi, entrelardée de deux longues journées.

Deux journées à m'imprégner de Pio, à le regarder jusqu'à plus soif, à le désirer jusqu'à plus faim, à cheminer sur ses muscles et à dessiner son profil.

Au troisième jour son visage m'était presque aussi familier que le mien.

 

What forPio pourrait avoir l'assurance facile des hommes presque trop beaux.

Heureusement il n'en est rien.

Sinon je ne l'aurais plus désiré du tout.

Agaçants, ces hommes-Narcisse en pâmoison devant leur propre reflet.

Irritants, ces bellâtres contemplant les femmes les contempler.

Loin de tirer avantage de ses atouts, Pio est réservé, mesuré, timide, secret. Et Pio a parfois de drôles de réactions. Inattendues. Étonnantes. Déconcertantes.

Candides, même. De celles qui vous font lever les yeux et tomber les bras.

C'est pile pour cette raison que Bertille rit à s'en étrangler, à s'en étouffer, à s'en péter la glotte et le gilet. Et que moi, emportée par ses irrésistibles hoquets, je me comprime les côtes à les briser.


La dernière nuit Pio était en moi lorsque je dis :

- J'ai envie que tu m'encules.

Pio n'a plus bougé.

Pio n'a pas dit "oh yes", ni "no way". Ni "j'adore", ni "je déteste". Ni "ça me dégoûte", ni "oh, quelle bonne idée !". Ni "ce serait ma première fois", ni "c'est mon fantasme", ni "allons donc !".

Non. Pio n'a rien dit de tout ça. 

Pio a simplement dit :

- T'enculer... Mais pour quoi faire ?

 

 

* Marqueur de surface : longue saucisse reliée à une bobine, qu'un plongeur remplit d'air pour lancer à la surface avant de remonter. Ce dispositif indique aux bateaux qui passent que des plongeurs se trouvent en dessous, et permet à notre propre bateau de nous repérer.

 

Photo : Chas Ray Krider.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X - Communauté : les blogs persos
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